D’après le South China Morning Post, des ingénieurs chinois viennent de boucler la construction d’une installation record : la soufflerie hypersonique la plus puissante de la planète est désormais opérationnelle. Une excellente nouvelle pour l’aéronautique et la balistique chinoise… et un peu moins pour les États-Unis, qui ne verront certainement pas cette nouvelle d’un très bon œil.
Une soufflerie, c’est une grande installation qui permet de tester les propriétés aérodynamiques d’un objet. Cela permet d’étudier l’écoulement de l’air autour d’un objet, et par extension de mesurer les contraintes mécaniques avec un degré de précision inatteignable en conditions réelles.
En pratique, ce dispositif baptisé JF-22 prend la forme d’un long tunnel de 4 mètres de diamètre. Un chiffre déjà impressionnant ; à titre de comparaison, le tunnel hypersonique du centre Langley de la NASA, l’un des plus performants au monde, affiche seulement un diamètre de 80 centimètres. Cet espace permettra aux chercheurs de tester des appareils relativement volumineux. Dans certains cas, ils pourront même éviter d’utiliser un modèle réduit, comme c’est souvent le cas dans ces souffleries.
Des vents à Mach 30
L’autre métrique très importante dans ce contexte, c’est la vitesse du flux d’air. Et c’est là que ce JF-22 devient réellement impressionnant. D’après les derniers tests techniques conduits le 30 mai dernier par l’Institut de Mécanique de Pékin, il peut générer des vents qui atteignent une vitesse absolument invraisemblable de… 10 km par seconde, ou Mach 30. Cela correspond à 30 fois la vitesse du son dans l’air.
Pour y parvenir, les chercheurs ont utilisé une méthode très originale. Comme l’explique cet article de l’université de Virginia Tech, les souffleries hypersoniques traditionnelles utilisent généralement un différentiel de pression. Les ingénieurs introduisent un gaz à très haute pression dans une chambre à très basse pression, ce qui génère un flux hypersonique pendant que les lois de la physique tentent d’équilibrer la pression. Jiang Zonglin, le chef de l’équipe qui a conçu le JF-22, a opté pour une autre méthode. Selon le SCMP, ils ont utilisé… des explosions.
Les détonations génèrent toutes une onde de choc ; l’impact que l’on ressent est produit par la collision entre le front d’onde à haute pression et une autre surface. Très vulgairement, lorsque deux fronts d’onde se croisent, ils peuvent “rebondir” l’un sur l’autre. C’est ce phénomène que les chercheurs chinois ont exploité. Toujours selon le SCMP, leur idée consiste à générer des explosions avec un timing bien précis de façon à ce que toutes ces ondes de choc se focalisent en un même point. L’énergie ainsi produite permet d’accélérer l’air à une vitesse gigantesque pour alimenter cette soufflerie.
Le vol hypersonique, un défi immense
Si la Chine a décidé de construire une telle installation, c’est parce que le vol hypersonique représente un défi d’ingénierie colossal. En dessous de Mach 5, on peut généralement considérer que l’air est incompressible, ce qui facilite grandement la conception. Mais au-delà, la fiction de l’appareil avec l’air génère des ondes de choc et des variations de température très violentes. Tout appareil hypersonique s’expose à des contraintes mécaniques dantesques. Il est donc très difficile de concevoir un engin à l’intégrité structurelle suffisante.
Mais ce n’est que la partie émergée du problème. Au-delà de ces considérations essentiellement mécaniques, il faut aussi tenir compte d’un grand nombre de réactions chimiques. Dans les conditions du vol hypersonique, la température et la pression sont si importantes que les molécules d’air sont carrément déchiquetées; on parle de dissociation. Les atomes ainsi arrachés peuvent se recombiner pour former d’autres espèces chimiques, qui peuvent à leur tour altérer le comportement de l’appareil.
Cette installation permettra aux chercheurs chinois d’étudier ces phénomènes sur des tas de prototypes de machines hypersoniques. Dans le contexte de l’aviation, ce terme désigne généralement tous les engins capables de voler au-delà de Mach 5, soit cinq fois la vitesse du son. Il en existe déjà de nombreux exemples, mais cette technologie est encore loin d’être entièrement maîtrisée.
Son développement est l’une des priorités du gouvernement chinois. En citant la feuille de route officielle du parti de Xi Jinping, le SCMP explique que l’objectif est de démocratiser le vol hypersonique d’ici 2035. À cette date, les responsables du programme espèrent pouvoir déployer une flotte entière d’avions capables de rallier n’importe quel point de la Terre en moins d’une heure, ou d’envoyer des milliers de personnes dans l’espace chaque année.
Mais l’aviation civile et l’aérospatiale ne sont pas les seuls domaines qui pourraient bénéficier de cette technologie. Si elle est considérée comme hautement stratégique, c’est parce qu’elle peut aussi servir à construire une nouvelle génération d’armes de destruction massive, à commencer par des missiles hypersoniques extrêmement difficiles à intercepter. Et ce point en particulier est déjà une source de friction importante sur la scène internationale.
Une technologie éminemment stratégique
Cela fait plusieurs années que la Chine travaille sur ces armes de cette catégorie — au grand dam de son meilleur ennemi l’Oncle Sam, qui a déjà investi énormément de ressources dans cette technologie. Le gouvernement américain a déjà condamné à plusieurs reprises les tests de missiles hypersoniques chinois, pour des raisons évidentes : ils constituent une menace évidente à la suprématie militaire qui lui tient très à cœur.
Et plus le développement avance, plus les tensions deviennent palpables, surtout dans le contexte géopolitique actuel. Car même si cette thématique est devenue un brin plus discrète ces derniers temps à cause de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la situation reste extrêmement tendue autour de Taïwan.
Par exemple, ces dernières semaines, les médias américains et chinois ont beaucoup discuté du déploiement d’une force navale américaine conséquente autour de l’île, coincée au milieu d’un bras de fer diplomatique entre les deux pays (voir cet article de Reuters). Or, le mois dernier, le SCMP a rapporté que des scientifiques chinois avaient conduit une simulation de frappe d’un porte-avions américain… à l’aide de missiles hypersoniques.
Si une guerre ouverte entre les deux nations n’est heureusement pas encore à l’ordre du jour, cet épisode montre bien l’importance du vol hypersonique dans ces rapports de force. On imagine donc que l’entrée en fonction du JF-22, qui est juste assez large pour accueillir un prototype de missile hypersonique, sera vue d’un mauvais œil par le Pentagone.
Il conviendra donc de suivre le développement de ces technologies avec attention, en particulier chez les Chinois et les Américains, car cette thématique pourrait conditionner une partie des relations diplomatiques entre les deux superpuissances — avec tout ce que cela implique pour le reste de la communauté internationale.
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