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Avis de recherche : le microbiote de nos ancêtres est porté disparu

Une bonne partie des micro-organismes hébergés par nos ancêtres a disparu au fil de l’évolution, et ce constat pourrait faire émerger des pistes de recherche très prometteuses en termes de santé publique.

Le corps humain est une véritable arche de Noé biologique. En plus de ses propres cellules, notre organisme héberge aussi tout un tas de micro-organismes indépendants — on parle de microbiote —, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ils ne sont pas tous nuisibles. Il s’agit souvent de relations symbiotiques mutualistes dont les deux camps peuvent tirer des bénéfices.

En effet, des tas de bactéries et autres petits êtres jouent un rôle déterminant dans notre physiologie. Avec les progrès des techniques de séquençage et d’analyse in vivo, de plus en plus d’études commencent à documenter les propriétés fascinantes de ces populations.

Le « deuxième cerveau » du corps humain

On peut par exemple citer le microbiote intestinal. Celui-ci est particulièrement important ; c’est le siège d’une foule de processus indispensables au bon fonctionnement de notre organisme. Si son équilibre subtil est endommagé, cela peut avoir des conséquences physiologiques très concrètes que l’on peut relier à des maladies comme le diabète de type 2.

Pour ces raisons, certains chercheurs en parlent même comme d’un organe à part entière. Certains spécialistes avancent même que l’intégrité du microbiote intestinal pourrait aussi nous affecter au niveau psychologique et cognitif, ce qui conduit parfois certains vulgarisateurs à parler de « deuxième cerveau ».

De très nombreux laboratoires tentent donc de développer de nouvelles techniques médicales centrées sur cette faune microscopique. On peut notamment citer la transplantation de selles qui produit souvent des résultats convaincants. Mais pour maîtriser tous ces processus, il faut déjà que les chercheurs puissent savoir exactement à quoi ils ont affaire. Cela implique d’étudier la nature de ces micro-organismes ainsi que leurs rôles respectifs. Mais c’est évidemment très difficile compte tenu de leur variété.

C’est sur ce sujet que travaille une équipe de biologistes de l’Université de Cornell, aux États-Unis. Ils se sont notamment penchés sur l’histoire évolutive du microbiote intestinal humain en le comparant à celui des bonobos et des chimpanzés — les plus proches parents des humains – et de notre plus proche ancêtre commun.

44% du microbiote intestinal de notre ancêtre manque à l’appel

Les chercheurs ont procédé à des analyses métagénomiques. Très vulgairement, cela consiste à séquencer et à étudier l’ADN non pas d’un individu précis, mais de toute une population de micro-organismes dans un même environnement — le système digestif dans ce cas. Cela permet de déterminer facilement quelles espèces sont présentes dans l’échantillon, et dans quelles proportions.

Une famille de bonobos au zoo de Cincinnati
Depuis que l’évolution a séparé les humains des autres primates (ici, des bonobos), une part significative de notre microbiote ancestral commun est passé à la trappe. © Sean Foster – Unsplash

Après avoir analysé 9640 métagénomes d’humains et d’autres primates, ils ont mis le doigt sur un élément très intéressant. Il se trouve que 44 % des groupes de micro-organismes descendant d’un même ancêtre commun (ou clades) qu’ils ont trouvé chez les grands singes étaient absents chez les humains. Ce chiffre monte même à 54 % chez les populations des pays industrialisés. Autrement dit, plus de la moitié des souches de micro-organismes qui ont évolué au contact des grands singes d’Afrique ont abandonné le navire au fil de l’évolution.

Une question d’alimentation ?

Il est important de découvrir pourquoi, et ce que cela implique pour l’avenir de notre espèce. Pour l’instant, les chercheurs n’ont pas encore réussi à apporter une conclusion tranchée à ce mystère. Mais ils formulent tout de même quelques suggestions, dont une qui leur semble particulièrement prometteuse : l’alimentation. Alors que notre ancêtre se nourrissait essentiellement de polysaccharides contenus dans les fruits et les feuilles des plantes, l’arrivée de grandes quantités de graisses et de protéines animales dans notre régime aurait considérablement altéré la nature du microbiote intestinal.

« Ces pertes de microbiote qui concernent toute la population humaine, indépendamment du style de vie, ont probablement été amenées par un changement de régime qui date du début de l’évolution humaine, peu après que nous ayons divergé des chimpanzés et des bonobos », explique Andrew Moeller, auteur référent de l’étude.

La dynamique du microbiote, un enjeu majeur en médecine

Les implications de cette découverte ne sont pas encore parfaitement claires. Mais elles pourraient servir de base à d’autres études complémentaires aux retombées beaucoup plus concrètes. Car au-delà des différences entre les grands singes et notre espèce, cette étude est surtout un premier pas vers une étude à très grande échelle du microbiote humain.

En comparant ainsi le microbiote des différentes populations humaines tout en se focalisant sur les souches qui ont disparu d’une population à l’autre, il serait possible d’identifier certains des facteurs qui peuvent endommager ces populations microbiennes. Et connaissant leur importance au niveau physiologique, ces travaux pourraient conduire à de grands progrès en santé publique.

Par exemple, on sait déjà que certains antibiotiques et composés alimentaires font des ravages au niveau de la flore intestinale. Une fois que la dynamique du microbiote sera mieux comprise, il sera beaucoup plus facile d’éviter ces dégâts en amont. À terme, cela pourrait aussi ouvrir la voie au développement de nouvelles techniques pour le régénérer facilement, ce qui pourrait permettre de soigner des syndromes très handicapants dont les origines restent encore nébuleuses aujourd’hui.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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