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Fumer tue, mais ce tabac-là va sauver des vies

Beaucoup de savoir-faire, un plant de tabac et un zeste d’ingénierie génétique : c’est tout ce dont une équipe de chercheurs australiens a eu besoin pour produire un éventuel traitement contre la sclérose en plaques.

Chacun sait aujourd’hui que la cigarette est un fléau qui a un impact désastreux au niveau de la santé publique. Mais les plants de tabac présentent aussi des propriétés fascinantes qui pourraient les rendre très intéressants en médecine, et plus précisément en pharmacologie. C’est l’objet des travaux d’un duo de chercheurs de l’Université de Queensland ; dans leur dernière publication, ils ont prouvé que Nicotiana benthamiana, une souche de tabac originaire d’Australie pouvait être utilisée comme bio-usine pour produire toutes sortes de médicaments à grande échelle.

David Craik et Mark Jackson, spécialistes de la biologie moléculaire, sont partis d’un constat simple : la production pharmaceutique moderne est basée sur un modèle excessivement dispendieux. La production de ces composés complexe est très chère. De plus, elle fait intervenir de grandes quantités de substances chimiques dont une part significative a tendance à être gâchée, selon les auteurs.

Pour pallier ce problème, ils travaillent depuis dix ans déjà sur une autre approche : utiliser les outils extrêmement puissants dont la nature a progressivement doté les végétaux au fil de leur évolution. L’idée, c’est de détourner la machinerie cellulaire des plantes pour aboutir à un nouveau système de production de médicaments performant, économique et durable.

Des boucles d’ADN contre la sclérose en plaques

Certaines espèces de végétaux, dont Nicotiana benthamiana, sont capables de produire des boucles d’acides aminés (les éléments qui composent les protéines autour desquelles la vie est construite). On parle alors de cyclotides.

La structure de ces cyclotides les rend particulièrement stables. Ils peuvent traverser tout le système digestif sans être endommagés, ce qui leur confère des propriétés très intéressantes en médecine. Cela permet notamment de les intégrer à des médicaments administrés par voie orale.

Plusieurs études ont déjà suggéré que ces composés pourraient permettre de traiter des maladies graves comme la sclérose en plaques. Aujourd’hui, il n’existe pas encore de solution thérapeutique vraiment satisfaisante pour soigner cette maladie auto-immune très handicapante qui touche le système nerveux central.

Malgré de gros progrès ces vingt dernières années, avec la montée en puissance des immunothérapies ciblées, les résultats sont encore assez mitigés et s’accompagnent souvent d’effets secondaires lourds. Il y a donc urgence à trouver des méthodes alternatives pour améliorer le quotidien de ces patients.

Reprogrammer les plantes par ingénierie moléculaire

En partant de ces constats, Craik et Jackson ont dégainé leur arsenal de bio-ingénierie. Leur objectif : utiliser Nicotiana benthamiana pour concevoir un traitement à la fois pratique, économique et efficace.

Ils ont commencé par identifier les gènes qui permettent à la plante de synthétiser ces fameux cyclotides. Ils ont ensuite fait appel à un laboratoire spécialisé dans la production de vecteurs. Dans ce contexte, ce terme désigne des petits morceaux d’ADN artificiels à la séquence bien précise qui peuvent être greffés au patrimoine génétique d’un être vivant grâce à des outils d’ingénierie moléculaire, comme Crispr-Cas9.

Cela permet aux chercheurs de modifier certaines fonctions physiologiques à loisir. En d’autres termes, cela revient à reprogrammer la machinerie cellulaire du tabac pour qu’il produise non pas ses peptides habituels, mais une version chimiquement différente.

En l’occurrence, la cible est [T20K] kB1. C’est un cyclotide qui fait actuellement l’objet d’un essai clinique, car il présente un potentiel important dans la lutte contre la sclérose en plaques.

Les chercheurs ont amplifié tout ce matériel en utilisant la réaction en chaîne par polymérase, ou PCR. Cette technique permet de cloner très rapidement une séquence d’ADN à grande échelle. Lors de la pandémie de Covid-19, elle était utilisée quotidiennement pour amplifier les prélèvements collectés chez les patients, afin de maximiser les chances de détecter les particules virales. Ici, l’objectif était de produire de grandes quantités de matériel génétiquement modifié sans devoir insérer ce fameux vecteur des milliers de fois.

Ce gène modifié a été intégré à Agrobacterium tumefaciens, une petite bactérie très prisée des généticiens moléculaires. Elle a en effet la capacité d’introduire un fragment d’ADN directement dans le génome d’une cellule végétale. Les chercheurs l’utilisent donc régulièrement pour réaliser différentes manipulations basées sur la transgenèse.

Juste avant la floraison, l’équipe a inoculé cette bactérie aux plants de tabac. Cela a permis de transférer ce fameux gène modifié aux plantes en pleine croissance. Cinq jours plus tard, ils ont procédé à la récolte avant de congeler le matériel produit pour le réduire en poudre.

Après étapes de purification supplémentaires et un passage à la centrifugeuse, ils ont obtenu une quantité significative du [T20K] kB1 évoqué plus haut. En d’autres termes, ils ont pu reprogrammer” la plante pour qu’elle produise une substance susceptible d’améliorer la prise en charge de la sclérose en plaques.

Un potentiel vaste et très concret

L’autre avantage, c’est qu’en théorie, il est assez facile d’augmenter l’échelle de production. Pas besoin d’aménager une usine de pointe extrêmement chère. Il suffit de cultiver davantage de plantes en utilisant seulement de la lumière, de l’eau et un cocktail de nutriments.

Le plus intéressant, c’est que cette méthode n’est pas réservée à la sclérose en plaques. En théorie, il suffit de pouvoir construire le vecteur génétique nécessaire et de trouver un hôte adapté. A partir de là, on peut imaginer produire tout un tas de molécules thérapeutiques différentes. Le tout en évitant les contraintes de l’industrie lourde.

« Grâce à la biologie moléculaire moderne, nous pouvons apprendre aux plantes à produire les molécules qui nous intéressent », explique Craik dans un communiqué. « Nos travaux proposent une plateforme pour la cultivation d’autres traitements contre la douleur, le cancer ou encore l’obésité. »

Le texte de l’étude est disponible ici.

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