En avril dernier, Ingenuity a réalisé son 50e vol sur Mars ; un véritable exploit technique pour ce petit hélicoptère unique en son genre. Mais il a bien failli rater cette échéance. Dans un billet de blog de la NASA, Travis Brown, ingénieur en chef d’Ingenuity explique que l’agence a perdu le contact avec son protégé pendant six jours consécutifs. Un délai inquiétant qui rappelle que malgré ses prouesses, le premier engin volant interplanétaire ne sera pas éternel.
Au premier jour de cette panne, la NASA n’était pas particulièrement préoccupée. Après tout, ce n’était pas la première fois qu’Ingenuity manquait un rendez-vous avec ses créateurs. L’année passée, il avaient déjà eu beaucoup de mal à le contacter pendant environ deux jours. Au début de l’impitoyable hiver martien, sa batterie était tombée à plat. Cela a réinitialisé son horloge interne et généré un problème de synchronisation du protocole de communication avec les équipes au sol.
Heureusement, les ingénieurs ont pu résoudre le problème rapidement une fois que l’engin a rechargé ses batteries. Mais cette fois, la situation était autrement plus préoccupante : pour la première fois, la NASA a été confrontée à un blackout total. Un scénario aussi inhabituel que préoccupant. « En 700 sols (jours martiens), nous n’avons pas traversé un seul blackout radio total », explique Brown. « Même dans les conditions les plus difficiles, nous avons quand même capté des bribes d’activité ».
Et plus le temps passait, plus les perspectives d’avenir du robot s’assombrissaient. Après cinq jours de mutisme, l’équipe avait commencé à se faire une raison : le parcours exceptionnel d’Ingenuity venait peut-être de prendre fin. Mais ils ont continué de chercher un signal, et bien leur en a pris. Six jours après son dernier contact, Ingenuity a enfin émis un petit accusé de réception.
Un problème de topologie
Un grand soulagement pour Brown et son équipe. Mais ils n’ont pas eu beaucoup de temps pour s’en émouvoir. Leur priorité, c’était d’étudier méticuleusement le parcours d’Ingenuity, la topologie de la zone et les relevés des différents capteurs afin de déterminer pourquoi le drone leur a fait une telle frayeur. Et après plusieurs semaines de travail acharné, ils pensent enfin avoir trouvé une réponse satisfaisante : il s’est aventuré un peu trop loin de la star de la mission, le rover Perseverance. Et cette escapade ambitieuse a bien failli lui coûter cher.
En effet, en tant qu’engin volant, Ingenuity doit absolument être le plus léger possible. Au moment de la conception, les ingénieurs ont donc choisi de se passer de système de communication longue portée ; il est bien incapable de communiquer tout seul avec la Terre. Pour y parvenir, il doit passer par un relais installé à bord de son compère de toujours.
Or, au terme de son 49e vol, Ingenuity s’est posé dans une zone très accidentée, encerclée par de vastes crêtes. Et comme les habitants des zones montagneuses le savent déjà, le relief ne fait pas toujours bon ménage avec la communication. Cette topologie du terrain a grandement perturbé le signal radio d’Ingenuity.
La NASA ne l’a pas remarqué tout de suite, mais lorsque le rover s’est éloigné, le récepteur de Perseverance s’est retrouvé du mauvais côté, ce qui a fini de rompre ce signal déjà bancal. L’hélicoptère s’est donc retrouvé coupé de son partenaire — et par extension, de la Terre — pour la première fois.
Un rôle de précurseur
Et la bonne nouvelle, c’est que la NASA va pouvoir tirer de précieuses leçons de cet épisode. Il convient de rappeler que le parcours du drone est déjà exceptionnel. À l’origine, il devait simplement s’agir d’une preuve de concept prévue pour voler… cinq fois en tout et pour tout. Autant dire qu’il a déjà pulvérisé tous les rêves les plus fous de ses concepteurs. « Nous avons dépassé le temps de vol attendu de 1250 % et la distance de trajet prévue de 2214 % », indique Teddy Tzanetos, un autre responsable de l’équipe.
Depuis, ces exploits lui ont permis de changer de rôle. Il est devenu l’assistant attitré de Perseverance, qui recherche des traces de vie passée dans la roche martienne. Il a joué un rôle d’éclaireur qui a été formidablement utile au rover lorsqu’il a dû se frayer un chemin dans les dangereux pièges géologiques de la Planète rouge (voir notre article).
Et surtout, il va aussi devenir le premier représentant de ce qui pourrait être une longue lignée d’engins d’exploration. La NASA prévoit désormais de construire de nouveaux hélicoptères sur le même modèle. Ils joueront un rôle central dans le programme Mars Sample Return, qui permettra la récupération des échantillons inestimables que son compagnon collecte en ce moment même.
Vous l’aurez compris : les hélicoptères martiens hériteront bientôt de missions beaucoup plus importantes. C’est pour cela que ce travail d’investigation est crucial. Il ne s’agit pas seulement de sauver Ingenuity ; le vrai objectif, c’est d’apprendre à prendre soin de ses futurs successeurs. Et même si cela génère beaucoup de stress, ce genre d’épisode est finalement bénéfique. Cela permet de prendre conscience des limites des systèmes qui équipent cette première version.
Un héritage déjà énorme, même si la fin approche
Les ingénieurs pourront mettre cette expérience à profit lorsqu’ils attaqueront la construction des nouveaux hélicoptères. Puisqu’ils ont désormais une bien meilleure idée des contraintes, ils pourront développer un système de communication plus performant, et surtout mieux adapté aux difficultés de la topologie et de la météo martienne. Ces informations seront aussi importantes pour la planification des futurs itinéraires.
Mais il va probablement falloir patienter quelque temps. Car si Ingenuity est encore vivant, il n’est pas en parfaite santé pour autant. C’est en grande partie à cause de la poussière qui s’accumule sur ses panneaux solaires, et représente donc une menace de premier plan pour ces engins. Le dernier à en avoir fait les frais, c’est la sonde InSight, asphyxiée par les particules cramoisies en décembre 2022 — et Ingenuity pourrait aussi en faire les frais.
À cause de cette même poussière, l’hélicoptère va mettre un certain temps à récupérer de son passage dans le coma. Et même s’il revient au top de sa forme, la NASA s’attend à ce que ces pannes de courant deviennent de plus en plus fréquentes jusqu’au moment fatidique. « Au grand chagrin de l’équipe, nous n’avons probablement pas fini de jouer à ce jeu de cache-cache à haut risque avec notre petit hélicoptère », concède Brown.
Ils pourront se consoler en se rappelant que cette lente agonie permettra là encore de tirer des informations très utiles pour les prochaines missions. Une dernière contribution de taille pour ce formidable petit précurseur pas bien grand, mais décidément vaillant qui a déjà laissé une marque indélébile dans l’histoire de l’exploration spatiale.
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Très bon article, merci ! Il en a de la resource ce petit hélico 😀
Perdre un robot sur devon island c’est ennuyant …