Lorsqu’on pense aux télescopes de pointe qui observent les confins de notre univers, on pense souvent à des engins positionnés directement en orbite. On peut citer le vénérable Hubble ou le James Webb. Mais d’autres approches existent également. C’est le cas du Super-pressure Balloon-borne Imaging Telescope, ou SuperBIT pour les intimes. Cet appareil est suspendu en altitude à l’aide… d’un gigantesque ballon. Et si la démarche peut paraître surprenante, on sait désormais qu’elle fonctionne. L’observatoire vient de rapporter ses premières images scientifiques, et il va désormais se concentrer sur une questions les plus importantes de l’astrophysique.
L’engin est le fruit d’une collaboration internationale entre les universités de Durham, de Toronto et de Princeton, sous la direction de la NASA. Il cherche à capturer des images de galaxies en très haute résolution dans le visible et l’ultraviolet. Il couvre donc à peu près la même gamme de fréquences qu’Hubble. La première différence, c’est qu’il propose un champ d’observation bien plus étendu que son illustre aîné âgé de 33 ans.
Un drôle de télescope atmosphérique
Il se démarque surtout d’Hubble par son positionnement. Comme indiqué plus haut, il n’est pas confortablement installé sur une orbite. À la place, il est suspendu à environ 33,5 km d’altitude à l’aide d’un ballon aérostatique à hélium de la taille d’un terrain de football.
À première vue, la démarche peut sembler curieuse. En effet, les observatoires spatiaux ont besoin d’être extrêmement bien stabilisés pour prendre des images nettes et exploitables. Cela ne pose généralement pas de problème pour les observatoires terrestres ou orbitaux. Mais c’est beaucoup plus difficile d’y parvenir entre les deux.
Certes, les particules d’air et les turbulences sont rares dans la zone occupée par SuperBIT. Mais il a tout de même fallu trouver un moyen de faire en sorte qu’il reste véritablement figé. Pour y parvenir, la NASA a équipé son ballon d’un système qui contrôle le volume du ballon en permanence, avec un degré de précision élevé. Il peut ainsi faire face aux changements de température et de pression en restant positionné exactement au même endroit. Lors des dernier tests, le capteur n’a bougé que d’ 1/36 000e de degré en un peu plus d’une heure ! Impressionnant pour un objet qui flotte librement dans l’atmosphère.
Un oeil braqué sur l’invisible
Le concept en lui-même n’a rien de nouveau. Ce qui rend cette mission intéressante, c’est plutôt l’observatoire en lui-même. En effet, l’engin est consacré à l’étude de la matière noire. C’est une substance mystérieuse qui joue un rôle prépondérant dans le modèle standard de la physique des particules — l’ensemble de théories qui décrivent le comportement de la matière à la plus petite des échelles.
Les modèles actuels suggèrent qu’elle est présente en très grande quantité dans le cosmos,. En revanche, elle ne semble pas interagir ni avec la matière normale, ni avec les ondes électromagnétiques. Il est donc très difficile de documenter ses propriétés.
Pour cette raison, elle n’a jamais été observée directement à ce jour ; techniquement, elle est donc toujours hypothétique. On sait seulement que de très nombreuses structures cosmologiques se comporteraient différemment sans son influence. Il s’agit donc d’un sujet d’étude particulièrement important pour les astrophysiciens.
Et SuperBIT va bientôt jouer un rôle important dans cette grande quête scientifique. Il a pris sa première photo de la Nébuleuse de la Tarentule, une zone du Grand Nuage de Magellan sur lequel le James Webb s’est penché l’année dernière (voir notre article). Il a aussi capturé les Galaxies des Antennes, un couple de galaxies en interaction dans la constellation du Corbeau.
La précision du cliché s’est avérée excellente grâce à la stabilité exceptionnelle du ballon. SuperBIT est donc fin prêt à passer aux choses sérieuses : cap sur l’étude de cette fameuse matière noire.
Comment SuperBIT va-t-il étudier la matière noire ?
Pour y parvenir, il va utiliser ce qu’on appelle une lentille gravitationnelle. C’est une technique basée sur la relativité d’Einstein. Elle stipule, entre autres, que les objets génèrent une force gravitationnelle proportionnelle à leur masse, et que cette dernière conduit à une déformation de l’espace-temps.
Or, la lumière suit précisément la courbe de ces déformations. Cela permet aux astrophysiciens d’utiliser certains corps célestes comme s’il s’agissait de la lentille d’un énorme télescope à l’échelle du cosmos. Récemment, le JWST l’a utilisée pour prendre une superbe photo d’un magnifique Anneau d’Einstein.
En observant la déviation de la lumière, les chercheurs peuvent déduire des tas d’informations sur l’objet utilisé comme lentille. C’est déjà très utile pour étudier des galaxies lointaines, par exemple. Et c’est encore plus intéressant dans le cas de la matière noire.
Puisqu’elle est plus ou moins inerte et n’interagit pas avec la matière ordinaire ou la lumière, on ne sait pas l’observer directement. En revanche, elle est sensible à la gravitation. Les chercheurs peuvent donc se baser sur ces interactions pour déduire sa répartition dans l’espace.
SuperBIT va s’appuyer directement sur ces propriétés. Il s’en servira pour vérifier si des particules de matière noire peuvent entrer en collision les unes avec les autres. Le cas échéant, cela aurait des implications excessivement profondes pour la cosmologie fondamentale.
« Il faut toute la puissance gravitationnelle d’une galaxie entière pour déplacer ces quantités de matière noire, et SuperBIT va observer des amas de galaxies qui entrent en collision », explique Richard Massey, physicien à l’Université de Durham dans un communiqué.
« En substance, on utilise les plus gros accélérateurs de particules de l’univers pour faire s’entrechoquer des amas de matière noire, puis observer où les morceaux s’envolent. Si la matière noire s’écrase, ou que des morceaux sont arrachés, nous pourrions enfin découvrir de quoi elle est constituée », résume-t-il avec enthousiasme.
Une approche peu onéreuse mais très prometteuse
Le dernier point très intéressant, c’est que cet engin est aussi extrêmement économique. Il n’a coûté que 5 millions de dollars. Les auteurs expliquent qu’un satellite aux performances équivalentes aurait coûté environ 1000 fois plus cher. À titre de comparaison, le satellite Euclid de l’ESA, qui est aussi un chasseur d’énergie noire, a coûté environ 605 millions de dollars.
Cela signifie qu’il sera possible de déployer d’autres SuperBIT encore plus performants pour construire un réseau entier pour un prix assez raisonnable — et tout ça sans avoir besoin de lancer la moindre fusée. Avec un peu de chance, c’est peut-être cette approche qui permettra enfin de tirer les vers du nez à la mystérieuse matière noire.
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