À la fin du XIXe siècle, les chimistes allemands Hermann Schmidt et Gustav Schultz ont synthétisé les premiers polychlorobiphényles, ou PCB. À l’époque, ils cherchaient surtout à développer de nouveaux colorants artificiels, et les PCB n’avaient pas beaucoup d’application pratique.
Ils ont toutefois gagné en importance dans les années 1930, quand des chercheurs ont réalisé qu’il s’agissait d’un excellent isolant électrique quasiment ininflammable et extrêmement stable. En quelques années, ils sont devenus incontournables dans plusieurs industries, notamment l’automobile qui y voyait des matériaux quasiment miraculeux. Ils ont été produits et utilisés en masse dans des transformateurs, condensateurs, et autres appareils de ce genre.
Mais comme souvent, l’humanité a mis la charrue avant le boeufs. Il s’est avéré par la suite que ces substances si prometteuses cachaient un sombre secret. Très rapidement, les ouvriers qui travaillaient au contact de PCB ont commencé à présenter des symptômes comme des irritations cutanées. Cela a motivé les organismes de santé publique à s’y intéresser de plus près… et leurs conclusions se sont avérées extrêmement préoccupantes.
Des matériaux toxiques et extrêmement stables
On sait aujourd’hui que ces substances sont toxiques. À forte dose, il s’agit souvent de poisons virulents. Et ils sont aussi problématiques à faible dose, car ils se comportent comme des perturbateurs endocriniens cancérogènes. Ils sont aussi liposolubles. Cela signifie qu’ils peuvent s’accumuler dans les tissus gras des êtres vivants — y compris le lait maternel ou les animaux qui constituent notre alimentation. Par extension, ils sont également très écotoxiques. Cela signifie qu’ils peuvent provoquer des dégâts catastrophiques dans des niches écologiques sensibles.
Ces éléments ont motivé l’interdiction des PCB dans de très nombreux pays. En France, ils ont par exemple été bannis en 1987. Mais cela ne signifie pas que l’humanité a fini d’en subir les conséquences. Comme l’amiante, les PCB font partie de ces anciens « matériaux-miracle » qui vont continuer de poser problème sur le long terme.
En effet, la stabilité exceptionnelle de ces matériaux qui était si intéressante pour l’industrie est devenue un immense casse-tête après l’interdiction. Certes, que la production a presque entièrement cessé depuis des décennies. Mais puisqu’ils sont quasiment invulnérables à la dégradation, ils continuent de poser problème. Ils sont aujourd’hui considérés comme des « polluants éternels ». Même s’il s’agit d’un abus de langage, ce terme montre bien que le problème ne va pas disparaître du jour au lendemain.
Des PCB deux lieues sous les mers
Les PCB sont donc devenus des polluants de toute première catégorie. Un peu comme les microplastiques, qui ont colonisé toute la planète du sommet de l’Everest à la fosse des Mariannes. On en retrouve des quantités préoccupantes dans des niches écologiques pourtant excessivement difficiles d’accès. Récemment, une étude parue dans le prestigieux Nature Communications a documenté la présence de ces matériaux dans les profondeurs de la Fosse du Pérou-Chili, une des fosses océaniques les plus profondes de la planète.
Ces travaux ont été menés par une équipe internationale de chercheurs sous la direction de l’Université de Stockholm. Ils ont prélevé des échantillons tout au long de cette immense tranchée de 4200 kilomètres de long creusée par la subduction de la Plaque de Nazca. Et les résultats de ces analyses les ont interpellés. Les auteurs affirment avoir trouvé des traces de PCB dans tous leurs échantillons sans exception. Y compris dans les recoins les plus profonds, qui atteignent les 8 kilomètres de fond !
À cette profondeur exceptionnelle, nous ne sommes même plus dans le domaine abyssal ; on parle de zone hadale. C’est une région si reculée que seules des espèces dites extrémophiles peuvent y survivre. Certes, dans l’absolu, la concentration en PCB y était plutôt faible. Mais le simple fait d’en avoir trouvé un petit peu est déjà préoccupant.
« Ces échantillons ne présentaient pas une concentration très importante, mais étant donné qu’ils ont été collectés au fond d’une fosse océanique, c’est quand même relativement élevé », estime Ronnie N. Gund, l’un des chercheurs à l’origine de ces travaux. « Personne ne s’attendait à trouver ces polluants dans un endroit pareil », souffle-t-il.
Quel impact sur les écosystèmes ?
On peut donc se demander comment cette substance s’est retrouvée dans un endroit aussi difficile d’accès. D’après Anna Sobek, professeure de chimie environnementale à l’Université de Stockholm et auteure principale de l’étude, les PCB auraient été acheminés sur place par du plancton.
« La fosse est située dans une zone de forte activité planctonique à la surface, ce qui conduit au transport de matériel organique jusqu’à la couche sédimentaire quand ce plancton meurt », explique la chercheuse. « Et quand cette matière organique sombre dans les profondeurs, elle emporte avec elle ces polluants qui ont tendance à se lier aux lipides et au carbone organique », précise-t-elle.
En règle générale, les cadavres de plancton qui s’accumulent au fond des tranchées sont recyclés. C’est une communauté microbienne extrêmement active qui se charge de transformer ce matériel en nutriments. Mais même ces organismes spécialisés dans le recyclage ne sont pas capables de dégrader la structure moléculaire des PCB. Ils continuent donc de s’accumuler, des décennies après leur interdiction.
Et ces travaux ne sont pas seulement une affaire de curiosité académique. Les chercheurs considèrent que la présence de ces matériaux dans la fosse pourrait avoir des conséquences écologiques très concrètes. Ils vont donc tenter de comprendre la façon dont ces polluants peuvent affecter la chaîne alimentaire du fond des océans.
Ils s’intéresseront notamment à l’impact sur la microfaune. Le mouvement du matériel organique dans l’océan est une des clés de voûte du cycle du carbone, qui décrit la vie d’une molécule de carbone et son passage par les différents réservoirs de notre planète (hydrosphère, biosphère, lithosphère et atmosphère).Il y a donc une possibilité que la présence de ce PCB dans les profondeurs génère un effet papillon, avec un impact significatif sur d’autres écosystèmes.
Il conviendra de suivre leurs prochaines publications, mais aussi celles qui se pencheront sur les autres types de pollution hadale. Le texte de l’étude est disponible ici.
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