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Les chasseurs de météorite ont ruiné des milliards d’années de données

Des chercheurs affirment qu’une technique populaire chez les chasseurs de météorite aurait provoqué la perte de milliards d’années de données précieuses contenues dans des météorites.

À cause de leur rareté et de leur provenance, les échantillons de météorites sont souvent des ressources scientifiques précieuses. Certains types sont même carrément inestimables, car les chercheurs peuvent en extraire des tas d’informations sur les origines de notre univers; ce sont de véritables archives cosmiques. Malheureusement, des chercheurs du MIT et de l’Université Paris Cité ont récemment découvert qu’en cherchant à les étudier, les spécialistes ont aussi détruit une grande partie de ces données inestimables par inadvertance.

Pour tirer les vers du nez à ces roches venues de l’espace, les chercheurs peuvent utiliser plusieurs angles d’attaque. En plus d’en étudier la composition chimique et leur structure minéralogique, les chercheurs s’intéressent aussi à d’autres indices plus discrets, mais tout aussi révélateurs.

Cela concerne des phénomènes physiques comme le magnétisme. En effet, de nombreuses roches contiennent des minéraux dits ferromagnétiques. Pendant la formation du matériau, ces minéraux ont tendance à s’aimanter et à s’aligner avec le champ magnétique des objets avoisinants. Une fois la structure figée, la roche conserve donc une trace des conditions dans lesquelles elle s’est formée.

Le magnétisme, une archive universelle

Une aubaine pour les chercheurs, car l’étude de ces vestiges magnétiques peut apporter des tas d’informations. Il s’agit même d’une discipline à part entière : on parle de paléomagnétisme.

C’est un ensemble de techniques très importantes qui ont joué un rôle déterminant dans l’étude de la Terre. Ce qu’on sait de l’origine de notre planète et de sa dynamique, on le doit en grande partie aux propriétés des minéraux ferromagnétiques. Par exemple, c’est ce paléomagnétisme qui a apporté certaines des preuves les plus convaincantes à la théorie de la dérive des continents pour aboutir à la tectonique des plaques moderne. Ce phénomène a été mis en évidence grâce aux inversions successives du champ magnétique terrestre qui ont été enregistrées dans la roche, notamment à proximité des dorsales océaniques.

un aimant qui attire des vis
© Christan Paduret – Unsplash

Et cela ne concerne pas que notre bonne vieille Planète bleue. Lorsqu’elles se forment au cœur d’un champ magnétique, les autres planètes et les météorites ferromagnétiques peuvent aussi enregistrer des informations de cette façon. À chaque fois qu’un objet de cette catégorie arrive sur Terre, c’est donc un véritable paquet cadeau scientifique qui tombe du ciel.

Un trésor scientifique rendu inexploitable

Le problème commence avec l’ authentification de ces météorites ferromagnétiques. Il existe en effet un test simple qui consiste à placer une pierre suspecte à proximité d’un aimant. Si elle présente des propriétés magnétiques alors qu’elle a été retrouvée dans un terrain géologique qui en est dépourvu, c’est généralement une bonne indication qu’il s’agit d’une météorite. Par la suite, d’autres aimants sont utilisés pour conduire d’autres tests en laboratoire.

Mais ces vérifications ont aussi des conséquences perverses. En effet, la présence d’un aimant, même faible, peut altérer l’intégrité des archives magnétiques contenues dans la roche. Les auteurs de l’étude citent notamment le cas particulièrement représentatif de NWA 7034, une météorite martienne retrouvée au Maroc en 2011.

C’est l’un des objets les plus anciens à avoir voyagé vers la Terre depuis la Planète rouge. En effet, la météorite s’est formée il y a environ 4,4 milliards d’années, au tout début de l’histoire du Système solaire. Les chercheurs espéraient donc en tirer des tas d’informations fascinantes sur les origines de notre voisinage cosmique.

En se penchant sur les échantillons, ils ont effectivement pu collecter des informations très intéressantes (voir notre article ci-dessus). Mais au moment de procéder à l’analyse magnétique, ils ont rapidement déchanté. Ils n’ont pas trouvé la moindre trace de ces fameuses archives magnétiques, même pas une vulgaire bribe d’information exploitable. En d’autres termes, ce sont potentiellement des milliards d’années de données qui sont parties en fumée lors de la démagnétisation. Un crève-cœur pour les planétologues.

Des dégâts potentiellement assez fréquents

Ce n’était pas la première fois qu’une telle déconvenue était documentée. En revanche, le phénomène n’avait jamais été étudié dans sa globalité. Une lacune que Foteini Vervelidou, une planétologue au MIT, a cherché à combler avec ses équipes.

Les chercheurs ont commencé par modéliser l’effet du champ magnétique d’un petit aimant néodyme sur des roches de différentes tailles. Cela leur a permis de vérifier la solidité de ces simulations en exposant des pièces de basalte terrestre à ce même aimant. Ils ont obtenu des résultats cohérents. Cela signifie que leur modèle décrit correctement la façon dont l’aimant affecte la roche.

Ils ont ensuite comparé ces résultats à ceux qu’ils ont collectés en analysant différents fragments de NWA 7034. Et là encore, tout correspondait parfaitement au modèle. Cela suggère que le processus d’identification en lui-même a joué un rôle important dans la démagnétisation de NWA 7034, et par extension dans la perte de ces précieuses données.

Et surtout, cela signifie que des tas d’autres météorites potentiellement prometteuses auraient pu être ainsi “stérilisées” par inadvertance, simplement parce qu’un chasseur de météorite a été un peu trop enthousiaste avec son aimant. C’est la première fois qu’une étude permet d’appréhender l’ampleur du phénomène, et il va falloir en tirer les conclusions qui s’imposent.

De nouvelles mesures de protection s’imposent

La bonne nouvelle, c’est qu’ils ont aussi montré que cette démagnétisation n’est pas instantanée. Elle est progressive, et suit apparemment une courbe bien précise que les chercheurs ont réussi à coucher sur papier. Cette courbe de référence permettra à d’autres chercheurs de savoir assez précisément à quel champ magnétique ils peuvent exposer un morceau de météorite avant de ruiner les informations qu’il contient. Cela devrait aussi faciliter la recherche d’échantillons exploitables.

Ils ont toutefois tenu à conclure leur papier avec une mise en garde. Selon les auteurs, il sera indispensable de tenir compte de cette démagnétisation à l’avenir. Cela sera d’autant plus important pour les missions les plus prestigieuses. Les chercheurs mentionnent notamment le transport des échantillons de la mission Mars 2022.

La petite famille du programme Mars Sample Return au complet. © NASA / JPL-Caltech

En effet, le rover Perseverance collecte en ce moment des échantillons de roche sur la Planète rouge. Ce matériel sera rapatrié sur Terre à l’horizon 2030 dans le cadre de la mission Mars Sample Return (voir notre article). Les chercheurs espèrent y trouver des tas d’éléments fascinants sur l’histoire de Mars et de ses voisines. Et cela passera notamment par l’étude des minéraux ferromagnétiques.

Les auteurs de l’étude avertissent donc qu’il faudra prendre des précautions pour les protéger. Il faudra faire très attention à ne surtout pas exposer ce matériel à un champ magnétique trop intense pendant et après le voyage. Dans le cas contraire, il y a un risque de ruiner une partie de ces informations inestimable. Une issue inacceptable, sachant que ce matériel aura mis presque 10 ans à revenir après avoir été collecté à 250 millions de kilomètres de la Terre lors d’une mission à plusieurs milliards de dollars…

Le texte de l’étude est disponible ici.

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Source : Science

1 commentaire
  1. C’est quelque chose qu’on observe dans tous les domaines où des hobbyistes de type “chercheurs de trésors” font concurrence à des scientifiques. Les premiers cherchent un objet, et une fois qu’ils le trouvent, ils vont se l’accaparer et jouer avec pour montrer ce qu’ils savent faire. Mais dans le même temps, ils vont détruire un tas d’informations de contexte que seul le spécialiste peut évaluer. Hélas, ces gens sont impossibles à raisonner. Leur façon de penser est proche du complotisme, et dès qu’on essaye de leur expliquer, ils deviennent violents.

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