Il y a deux semaines, les planétologues du monde entier ont eu droit à une nouvelle fantastique lorsqu’une équipe a enfin réussi à confirmer des traces d’activité volcanique sur Vénus, prouvant du même coup que la deuxième planète du système solaire n’est définitivement pas géologiquement morte (voir notre article). Mais l’euphorie a été de courte durée. Dans la foulée, la NASA a choisi de couper les fonds à une mission importante qui promettait de faire passer l’étude de ce volcanisme à la vitesse supérieure.
Le contexte de cette grande découverte était assez particulier. Les planétologues cherchaient à trouver des signes indiscutables d’activité géologique sur Vénus depuis des décennies, sans succès. En y parvenant enfin, ils ont ouvert la porte à tout un tas de découvertes fascinantes sur l’histoire géologique — et potentiellement biologique — de la planète.
Le timing était parfait. Car à partir de 2030, la NASA va se détourner de sa priorité scientifique actuelle, à savoir Mars, pour se concentrer sur l’autre voisine de la Terre. En ce moment, l’agence commence déjà à préparer les principaux acteurs de cette « Décennie de Vénus ».
VERITAS, pour Venus Emissivity, Radio Science, InSAR, Topography and Spectroscopy, doit être le premier engin à retourner sur place depuis les années 90. Il a hérité d’une mission particulièrement intéressante. Son objectif est d’étudier les circonstances qui ont poussé Vénus, parfois présentée comme la « jumelle diabolique » de notre Terre, à emprunter une trajectoire aussi différente.
C’est une perspective fascinante pour les planétologues. Une étude de ce genre pourrait fournir des informations cruciales sur les mécanismes qui conditionnent l’apparition de la vie. Mais malheureusement, ils vont devoir prendre leur mal en patience.
Les yeux plus gros que Vénus
La NASA a annoncé un report substantiel de la mission ; le départ a été repoussé de trois ans au minimum. Dans le meilleur des cas, l’engin ne partira plus en 2028, mais en 2031. « Nous avons analysé la question sous tous les angles, et nous avons choisi de repousser VERITAS », explique Lori Glaze, directrice de la division Science Planétaire à la NASA. « Il n’y avait aucune option satisfaisante », déplore-t-elle.
Et surtout, le projet a aussi subi de grosses coupes budgétaires. Pour justifier ce choix difficile, la NASA cite d’abord des problèmes logistiques au niveau du Jet Propulsion Lab. Il s’agit d’une des divisions les plus prestigieuses de l’agence. On lui doit une liste longue comme le bras d’engins révolutionnaires comme Galileo, les légendaires sondes Voyager ou Cassini, le télescope Spitzer, ou encore les rovers Curiosity et Perseverance.
Le problème, c’est que l’administration de la NASA a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre. Le JPL est aujourd’hui en sous-effectif et n’arrive plus à tenir le rythme démentiel imposé par la multiplication des projets.
Plus précisément, c’est la mission Psyche qui pose problème en ce moment. Son objectif est de visiter des astéroïdes métalliques pour étudier le cycle de vie des planètes telluriques. Le départ était prévu l’année dernière. Mais il a été repoussé à cause de nombreux retards liés au manque de main-d’œuvre. En retardant VERITAS, la NASA espère pouvoir boucler le dossier Psyche une bonne fois pour toutes et avancer sur les autres projets en suspens.
La grogne monte à la NASA
Mais cette explication a du mal à passer chez les acteurs de la mission. Ils ont déjà manifesté leur mécontentement sur les réseaux sociaux à travers le hashtag #SaveVERITAS.
La mort dans l’âme, la responsable principale du projet Sue Smrekar a estimé qu’il y avait du souci à se faire pour le futur de VERITAS. Elle a d’ailleurs fait preuve d’une véhémence assez inhabituelle. Elle considère qu’un délai court aurait effectivement été approprié, mais qu’un report de trois ans n’est tout simplement pas justifiable. « [Ce délai long] n’a rien à voir avec les effectifs du JPL ou les retards de Psyche », insiste-t-elle, visiblement amère.
Elle accuse l’agence d’avoir eu les yeux plus gros que le ventre. Pour Smerkar, la NASA a érigé VERITAS en bouc émissaire afin de compenser les dépassements de budget pratiqués par d’autres équipes. Probablement difficile à accepter, sachant que l’équipe avait mis un point d’honneur à respecter son budget et à rester dans les délais.
Elle insiste aussi sur le fait qu’il ne s’agit « pas d’un simple report ». Pour elle, l’impact de cette annonce est beaucoup plus profond. Afin d’appuyer son propos, elle explique notamment que tous les fonds destinés à l’ingénierie ont purement et simplement disparu !
Un message inquiétant pour les ingénieurs…
Cela signifie qu’une grande partie de l’équipe d’ingénieurs et de techniciens qui travaillait sur VERITAS depuis plus de 10 ans va probablement être dispatchée sur d’autres projets. Un vrai crève-cœur et un non-sens pour Darby Dyar, investigateur principal de VERITAS cité par Space.com. « L’idée de mettre cette équipe en retrait et de l’affecter à d’autres missions n’a pas de sens, et ça va introduire des risques considérables », peste-t-il.
C’est une situation assez unique. Certes, il n’est pas rare que l’agence décide de mettre fin à certains programmes qui ne sont plus jugés pertinents. Mais avec VERITAS, on parle d’un grand projet déjà bien avancé qui doit jouer un rôle important dans la fameuse « Décennie de Vénus ».
Or, lorsqu’une mission aussi importante est validée une fois pour toutes, le financement est typiquement garanti. En cas de retard important, les laboratoires concernés reçoivent généralement quelques dotations ponctuelles. De quoi permettre aux équipes de fonctionner au ralenti le temps de débloquer d’autres fonds.
Le traitement infligé à VERITAS inquiète donc beaucoup les troupes de la NASA. Selon David Mimoun, un planétologue de la mission InSight cité par The Verge, cette décision établit un « précédent » lourd de conséquences. Cela envoie un message aussi clair que préoccupant aux responsables des différents projets. Aucune mission n’est désormais à l’abri, indépendamment de son importance, même si elle respecte les délais et reste dans son budget.
… et les partenaires de l’agence
L’autre souci, c’est que ce report va avoir tout un tas de conséquences logistiques dont l’agence et ses partenaires se seraient bien passés. En effet, la NASA n’est pas la seule concernée. Ses homologues français, allemands et italiens, vont aussi en faire les frais.
Dyar explique à The Verge que ces autres agences doivent aussi jouer un rôle important dans la conception de la sonde. Elles ont déjà « commandé du matériel onéreux, engagé des postdoctorants, et commencé à travailler sur leurs contributions ». L’annonce de la NASA leur a donc fait l’effet d’un uppercut au foie.
Puisqu’elles ont été cueillies à froid, elles se retrouvent dans une situation très compliquée. Des ressources considérables ont déjà été investies, mais il n’y a plus la moindre garantie pour la suite de la feuille de route. Un signal assez nauséabond qui pourrait avoir des conséquences considérables sur la coopération interagences. « Ce n’est pas rien d’imposer a à nos partenaires étrangers », déplore Dyar.
Des retombées logistiques et scientifiques
Et il ne s’agit pas seulement de relations entre institutions. Le report aura aussi un impact sur le versant scientifique. En plus de cette sonde, deux autres engins vont aussi explorer notre voisine pendant la prochaine décennie : DAVINCI et EnVision. Comme VERITAS, ce dernier a également vocation à étudier la topographie de Vénus depuis l’orbite. Même si les données en question seront assez différentes, très sommairement, elles serviront à répondre au même type de questions.
L’idéal serait donc d’envoyer ces deux engins non pas en même temps, mais l’un après l’autre. Cela permettrait de garder un œil sur la planète aussi longtemps que possible. Mais à cause de ce délai, les deux missions pourraient finalement se chevaucher. Et cela représenterait un manque à gagner considérable en termes scientifiques. Tout sauf idéal, sachant que l’étude de Vénus fait désormais des priorités absolues…
Entre-temps, l’agence a déclaré qu’elle avait pris bonne note de ces protestations. Mais elle continue de se montrer inflexible, affirmant que ces coupes budgétaires étaient indispensables. Il conviendra donc de suivre attentivement les retombées de ce feuilleton. Il pourrait avoir un impact significatif sur la prochaine décennie d’exploration spatiale.
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