Mozilla est une entité un peu à part dans l’écosystème numérique d’aujourd’hui. Dans ce domaine où la collecte de données est devenue la norme et où les navigateurs brassent des cookies en quantités industrielles, la Fondation a toujours revendiqué une approche qu’on pourrait presque qualifier d’humaniste, à travers son fameux Manifeste et son slogan « Construire un meilleur Internet ». Aujourd’hui encore, ses principaux arguments restent la fiabilité et la confidentialité.
Son célèbre navigateur Firefox est clairement en perte de vitesse depuis belle lurette. Le renard incandescent émarge péniblement à 2,93 % de part de marché en février 2023. Mais la firme continue de rassembler un noyau dur d’adeptes irréductibles, séduits par la philosophie de l’organisation à but non lucratif. Pour se relancer à l’approche de son 25e anniversaire, elle veut désormais appliquer cette approche dans la niche technologique la plus en vogue du moment : l’intelligence artificielle.
La première émanation de cette initiative, c’est Mozilla.ai. Il s’agit d’une toute nouvelle startup spécialisée dans le machine learning financée à hauteur de 30 millions de dollars. Dans une tribune publiée par Fortune et repérée par nos confrères de Presse Citron, l’activiste et directeur exécutif de la fondation Mark Surman a livré quelques détails sur cette nouvelle aventure en compagnie de Moez Draief, futur directeur de Mozilla.ai.
Sa mission est de construire une nouvelle plateforme IA avec un seul maître mot : la confiance. En effet, cette initiative est partie de l’effrayante dualité des systèmes IA actuels. Cette technologie affiche un potentiel absolument dément qui commence déjà à transformer profondément le monde numérique. Pour le meilleur, mais aussi pour le pire.
Contrer la domination préoccupante de la Big Tech
Car au-delà des services que peuvent nous rendre les chatbots, générateurs d’images et assistants en tous genres, l’IA présente aussi des risques non négligeables. C’est d’autant plus vrai à notre époque où le web est dominé par des corporations très puissantes. On peut notamment citer Microsoft. la firme de Redmond est l’un des principaux actionnaires d’OpenAI, l’entreprise qui développe l’incontournable GPT.
En effet, ces entités ont un intérêt financier évident à faire une utilisation commerciale des données traitées par leurs algorithmes. Et c’est quelque chose qui inquiète beaucoup les deux dirigeants. « Nous risquons d’accentuer les dégâts de l’ère moderne de la tech : monopoles, désinformation, et déséquilibre du pouvoir économique régional », expliquent-ils dans leur tribune.
« Des entreprises déjà bien implantées utilisent cette nouvelle vague de l’IA pour consolider leur contrôle sur le cloud computing et les autres composantes fondamentales de l’Internet moderne. Les géants de la tech déploient rapidement des services cloud conçus pour verrouiller le marché et l’infrastructure dont les startups auront besoin pour utiliser ces nouveaux outils. Et s’ils arrivent à leurs fins, il sera presque impossible de changer les règles du jeu et les problèmes de l’Internet moderne vont probablement empirer », déplorent-ils.
Pour Moez Draief et Mark Surman, la conclusion est donc claire comme de l’eau de roche. Ils considèrent qu’il faut impérativement couper l’herbe sous le pied des titans du numérique. Autrement, ils auront tout le loisir de poser une chape de plomb sur tout l’écosystème IA. Et ce avant même qu’il ne soit arrivé à maturité.
Et c’est précisément la raison d’être de Mozilla.ai. La startup ambitionne de transcender l’IA telle qu’elle existe en ce moment. Elle veut la faire passer du statut de produit commercial à celui d’outil au service de la civilisation. Cela représenterait un grand changement de paradigme.
La fondation rappelle toutefois qu’il ne faudra pas exclure les titans du secteur de cet effort. Au contraire. Ils devront devenir des moteurs de ce changement au lieu d’essayer de consolider leurs positions respectives. « Les joueurs dominants qui façonnent le paysage IA aujourd’hui devront aussi faire partie de la solution — mais seulement une petite partie », expliquent Surman et Draief.
Une IA open-source, décentralisée et digne de confiance
Concrètement, Mozilla.ai veut développer une plateforme IA qui serait « digne de confiance par défaut ». Elle pourrait donc être intégrée sans risque à n’importe quel type de service en ligne. Le premier élément important du projet, c’est qu’il reposera entièrement sur une architecture décentralisée. « Nous pourrions imaginer une infrastructure digitale décentralisée, peu chère, et avec un impact carbone raisonnable », expliquent Surman et Draief.
« Elle pourrait être possédée et gérée par un réseau de petites entreprises sur tous les continents. Il pourrait aussi s ’agir d’une plateforme contrôlée par une coopérative de développeurs, de designers, et d’autres acteurs. Peu importe la porte que ça prendra, ça sera une alternative aux plateformes américaines et chinoises qui contrôlent le marché aujourd’hui », assurent-ils.
Dans tous les cas, Mozilla.ai va donc miser sur un modèle intrinsèquement collaboratif. « Nous avons commencé à travailler avec une équipe qui développe des algorithmes pour aider les gens à déterminer quand l’IA produit des hallucinations [des résultats incohérents qui témoignent d’une erreur dans le traitement des données, NDLR] ou des résultats trompeurs », explique Surman.
En plus des spécialistes de l’intelligence artificielle, la firme veut aussi s’entourer d’un certain nombre de chercheurs indépendants. La startup compte faire appel à des partenaires issus de domaines variés, de la santé mentale à l’économie. Il ne s’agit donc pas seulement de développer un produit commercial. Mozilla.ai, c’est une démarche holistique qui compte assainir l’écosystème IA dans sa globalité.
Mozilla se réjouit aussi des initiatives de certains décideurs politiques. En effet, certains gouvernements ont annoncé leur intention de financer des travaux sur une infrastructure cloud publique. Et la Fondation espère bien devenir un partenaire privilégié de cet effort qu’elle juge très pertinent. « Ils pourraient bâtir une infrastructure qui permettrait aux chercheurs, startups et ONG de travailler sur des projets comparables à ceux des acteurs dominants de la tech. Cela aiderait à décentraliser et à diversifier l’innovation en intelligence artificielle », estiment les auteurs.
Au bout du compte, Mozilla.ai, c’est un peu la transposition de la philosophie Mozilla au monde de l’IA. Il sera très intéressant d’observer jusqu’où la fondation pourra pousser cette démarche à la fois saine et surtout absolument nécessaire, et comment elle se concrétisera techniquement parlant.
« Une meilleure IA n’a pas besoin d’être de la science-fiction. Les spécialistes ont déjà montré qu’ils pouvaient construire des outils qui permettent de créer facilement des choses incroyables. Nous devons améliorer cette boîte à outils pour qu’il soit tout aussi facile d’intégrer les notions de confiance, de sécurité et de bien-être dans les choses fantastiques que l’on crée. Et nous devons le faire urgemment. »
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