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L’Europe dévoile enfin sa nouvelle stratégie de défense spatiale

L’Europe se met en ordre de marche pour défendre ses intérêts stratégiques, à une époque où les enjeux de l’espace deviennent de plus importants chaque jour.

L’espace d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’il y a dix ans, et cette évolution ne va certainement pas ralentir. Les enjeux de ce domaine n’ont jamais été aussi importants, que ce soit en termes scientifiques, économiques, militaires ou diplomatiques. L’Union Européenne a donc choisi de se mettre à la page; elle vient de présenter une nouvelle stratégie spatiale dans l’objectif de défendre son autonomie technologique et politique ainsi que ses intérêts stratégiques.

L’espace joue un rôle vital à la fois dans notre économie et nos intérêts sécuritaires, mais c’est aussi une arène de plus en plus contestée où des acteurs aux intérêts divergents sont en compétition”, résume Thierry Breton, commissaire européen responsable du marché intérieur. “La nouvelle stratégie de l’UE marque un changement de paradigme, avec l’objectif de renforcer nos capacités de défense dans et à partir de l’espace”, indique-t-il.

Des menaces naturelles…

Précisons qu’il existe déjà un mécanisme institutionnel de réponse à une menace spatiale. Mais pour l’instant, il permet seulement de veiller sur la constellation Galileo, le cousin européen du GPS. Cette protection sera désormais étendue à tous les autres engins spatiaux européens, en collaboration avec l’Agence Spatiale Européenne et l’Agence de Défense Européenne.

L’un des axes les plus importants de cette stratégie, c’est l’identification précise de ces menaces qui pèsent sur les engins spatiaux et les infrastructures terrestres. L’UE a identifié plusieurs catégories distinctes.

Le premier groupe rassemble les menaces d’origine naturelle; on y trouve notamment les débris et les micrométéorites. En orbite, ces petits objets voyagent à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres par heure. Ils représentent donc des menaces de premier plan pour tous les engins, des satellites civils et militaires aux stations spatiales. Un facteur dont il faudra impérativement tenir compte pour éviter un scénario catastrophe de type Syndrome de Kessler, dans un contexte où le trafic orbital augmente très rapidement.

La seconde menace naturelle, ce sont les ondes électromagnétiques émises par le Soleil et les autres corps célestes. En effet, lors de certains épisodes radiatifs comme des éruptions solaires particulièrement intenses, certains appareils électroniques peuvent être mis complètement hors service.

De telles défaillances pourraient avoir un impact énorme si elles touchaient des systèmes critiques, comme le réseau GPS. Il faudra donc absolument en tenir compte à l’avenir, surtout que nous sommes dans la phase ascendante du cycle d’activité du Soleil.

…et d’autres militaires

L’autre catégorie concerne les menaces non naturelles. Pour commencer, il y a les chasseurs orbitaux, des engins armés de bras robotiques spécialisés dans la traque et la destruction de satellites ennemis. On trouve ensuite les armes antisatellites (ASAT) cinétiques. Ce terme désigne simplement une sorte d’arme à feu spécialement conçue pour viser des satellites ou une fusée en cours de lancement. La Russie a notamment réalisé un test de ce genre il y a quelques mois (voir notre article).

Le document mentionne aussi des ASAT non cinétiques. L’idée est sensiblement la même qu’avec les ASAT classiques, à cela près qu’elle n’implique pas de projectile physique. Ce genre d’arme mise plutôt sur des technologies comme des lasers à haute intensité.

une vue d'artiste d'une communication laser entre un satellite et l'ISS
© NASA’s Goddard Space Flight Center / Dave Ryan

Enfin, l’UE a aussi insisté sur l’aspect logiciel. Il faudra impérativement défendre les infrastructures au sol et les engins en orbite contre des attaques informatiques aux conséquences potentiellement désastreuses. C’est un point particulièrement important, car ce genre d’attaque ne ferait pas que miner nos capacités opérationnelles; cela pourrait aussi permettre à des acteurs mal intentionnés d’accéder à des informations stratégiques extrêmement sensibles.

L’institution précise qu’elle n’a aucune intention de lancer une grande course à l’armement spatial. “L’Union européenne reste engagée dans la prévention d’une course à l’armement et milite activement pour une réduction des menaces à travers l’établissement de normes, de règles, et de principes de comportement responsable”, explique le communiqué.

Mais elle reste déterminée à défendre ses intérêts stratégiques. À partir de maintenant, tout l’enjeu va être de se prémunir contre ces menaces. Pour cela, les institutions européennes ont établi plusieurs axes de développement.

Une législation spatiale à l’échelle européenne

Le premier est strictement réglementaire : il s’agit d’un projet de législation spatiale à l’échelle de l’Europe. Cela permettrait de mettre en place un cadre commun pour définir des normes de sécurité et de durabilité afin de renforcer la cohérence du programme européen.

Dans cette même optique, la Commission Européenne va aussi mettre en place une institution baptisée ISAC (pour Information Sharing and Analysis Center, ou Centre de partage et d’Analyse des Informations). Cette structure sera le centre névralgique de la défense spatiale européenne. Comme son nom l’indique, elle doit servir de plaque tournante à travers laquelle les États membres pourront partager les informations stratégiques collectées par leurs services de renseignement respectifs dans le contexte de l’espace.

© Scott Graham – Unsplash

La Commission veut aussi mettre en place un cadre réglementaire autour de la préparation des lancements. L’objectif est de définir une procédure globale qui forcera les acteurs privés et gouvernementaux à respecter certaines règles afin que chacun puisse bénéficier d’un accès à l’espace sur le long terme.

Autonomie technologique et souveraineté politique

Enfin, et c’est probablement le point le plus important, l’UE a mis l’accent sur les questions d’autonomie et de souveraineté. En effet, plus le temps passe, et plus l’accès à l’espace devient important en termes de défense et de sécurité. Cela signifie que les nations qui seront incapables de mettre elles-mêmes leurs propres engins en orbite souffriront d’une énorme perte d’influence sur la scène internationale.

Or, la situation de l’Europe commence justement à pencher dans cette direction. Entre la guerre en Ukraine qui a compliqué les rapports avec Roscosmos et le report d’Ariane 6, dont nous attendons toujours le vol inaugural, l’aérospatiale européenne soufre aujourd’hui d’un vide logistique criant. Elle est donc forcée de collaborer étroitement avec son homologue américain (voir notre article). Et cela implique une forme de dépendance stratégique lourde de conséquences.

Pour inverser la tendance, la Commission veut dorloter les acteurs industriels afin de renforcer la souveraineté technologique du Vieux Continent. Cela se traduit par des investissements conséquents dans les entreprises qui développent des instruments scientifiques, des technologies de lancement, des satellites et des outils logiciels.

L’Union européenne veut aussi muscler ses capacités d’observation. Cela passera notamment par une extension de Copernicus. C’est un vaste programme d’observation centré autour des satellites Sentinel. Il permet de collecter des tas de données sur l’atmosphère, les cultures, le réchauffement climatique, le trafic maritime… En substance, c’est un peu l’œil de l’Europe dans le ciel.

Mais pour l’instant, le programme ne travaille pas sur les questions en lien avec la Défense. La Commission Européenne estime qu’il serait intéressant de faire évoluer Copernicus dans ce sens. Elle propose d’y intégrer de nouveaux engins spécialement conçus pour la surveillance militaire, avec une foule de fonctionnalités avancées comme le chiffrement quantique.

Drapeau de l'Union Européenne
© Christian Lue via Pixabay

Dans l’ensemble, il s’agit de signaux très encourageants. L’annonce de cette nouvelle stratégie montre au grand public que les instances européennes sont parfaitement conscientes des enjeux énormes de la maîtrise de l’espace.

Au-delà de l’aspect technique de cette transition, qui s’annonce déjà fascinant, il conviendra donc d’observer les retombées géopolitiques de cette stratégie avec une attention toute particulière. Elle pourrait en effet avoir un impact considérable sur le rayonnement de l’Europe lors des prochaines décennies. Avec un peu de chance, elle permettra au Vieux continent de jouer des coudes au milieu des autres grandes puissances spatiales qui sont en train d’émerger.

Vous pouvez retrouver les différents communiqués de la Commission Européenne et de ces représentants ici et .

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