La NASA et plusieurs autres agences gouvernementales américaines ont récemment délivré un message sans ambiguïté au National Space Council (NSC), un bureau chargé de conseiller la Présidence sur toutes les thématiques en lien avec l’espace. D’après Space.com, le groupe estime que la législation en vigueur n’est plus adaptée aux pratiques de l’aérospatiale moderne, et qu’il faudrait établir un nouveau cadre réglementaire plus contraignant.
Cette industrie a énormément évolué au cours de la dernière décennie. Traditionnellement, l’exploration spatiale a toujours été pilotée exclusivement par des instances gouvernementales comme la NASA et Roscosmos. Mais depuis quelques années, cette dynamique a radicalement changé ; les acteurs privés jouent aujourd’hui un rôle central dans la conception et l’exploitation des engins spatiaux.
Cette dynamique a directement conduit à l’émergence de véritables titans industriels, comme SpaceX. Nous avons aussi vu émerger un tas de start-up innovantes qui veulent participer aux efforts de conquête spatiale à leur échelle. Mais il y a aussi un revers de la médaille : l’espace intéresse désormais tellement de monde que la situation commence à devenir un brin anarchique.
Un problème concret pour tous les pays
Cela concerne en premier lieu les satellites. En ce moment, des lanceurs décollent quotidiennement pour déposer de nouveaux engins en orbite. Et si des tas d’opérateurs continuent de déployer de vastes constellations au rythme actuel, le risque de saturation va exploser. Cela signifie que le risque de collision deviendra de plus en plus important, ce qui ouvre la porte à une réaction en chaîne catastrophique connue sous le nom de Syndrome de Kessler. Dans ce scénario, d’immenses nuages de débris nous fermeraient complètement les portes de l’espace pendant des décennies.
Et ça ne va pas aller en s’arrangeant. Car dans un futur proche, un autre problème va devenir de plus en plus concret : la prolifération des structures spatiales privées. En effet, plusieurs acteurs veulent commencer à installer des stations commerciales en orbite, puis de véritables bases sur la Lune et les autres planètes du système solaire. Et cela pourrait poser de gros problèmes de cohabitation entre les différentes entreprises et les gouvernements.
Aucun cadre réglementaire strict
Pam Melroy, ancienne astronaute aujourd’hui administratrice adjointe de la NASA, a rappelé que son agence n’avait aucune intention de se transformer en police de l’espace. « Nous ne sommes pas un régulateur, ce n’est pas notre rôle », a-t-elle martelé lors de son allocution. « Nous ne pouvons pas être responsables de toutes les activités à bord d’une station spatiale commerciale », insiste-t-elle.
Le problème, c’est qu’il n’existe aucun cadre réglementaire pour gérer cette nouvelle course à l’espace. Certes, la plupart des pays bien implantés dans cette industrie ont signé le Traité de l’Espace, un accord international qui définit les termes de l’utilisation de l’espace. Mais ce texte a été signé en 1967, bien avant que l’explosion de l’aérospatiale privée n’ait redistribué les cartes.
Le groupe qui s’est exprimé devant le NSC estime donc qu’il faut ériger des garde-fous dans les plus brefs délais. L’objectif est d’éviter que la situation ne dégénère, car les enjeux sont énormes. Mais il ne va pas être facile de se mettre d’accord, car les enjeux sont très différents pour les différents acteurs.
La conciliation s’annonce difficile
Certains grands noms de l’aérospatiale ont par exemple déjà montré qu’ils n’hésitaient pas à contourner les règles. On peut citer le cas de SpaceX, qui a récemment outrepassé un point important de la procédure de lancement au lieu d’attendre le feu vert du régulateur américain (voir notre article). De plus, la firme continue de déployer des Starlinks à un rythme effréné, ce que de nombreuses institutions ne voient pas d’un bon œil. Et connaissant le tempérament d’Elon Musk il sera difficile de le convaincre de ralentir la cadence par simple principe de précaution…
Et ce problème de coordination devient encore plus épineux sur la scène internationale. Par exemple, en 2021, la Russie a pulvérisé l’un de ses satellites lors d’un test militaire sans avertir ses partenaires. L’incident a généré un nuage de débris qui a directement menacé des satellites et la Station Spatiale Internationale elle-même (voir notre Bill Nelson, l’administrateur de la NASA. © NASA/Bill Ingalls). Mais dans le contexte actuel, en pleine invasion de l’Ukraine, on imagine assez mal comment les différents pays pourraient discuter sereinement de ces problématiques.
Il y a aussi le cas de la Chine, dont l’aérospatiale progresse très rapidement en ce moment. Le pays de Xi Jinping a fait de l’espace l’une de ses priorités, et prévoit par exemple d’installer une base sur la Lune d’ici quelques années. Or, sachant que la Chine et les États-Unis sont embarqués dans une sorte de “guerre froide” commerciale et idéologique (voir notre article), il sera forcément difficile trouver un terrain d’entente.
Il sera donc intéressant de suivre les retombées de cette affaire. D’ici quelques mois, le NSC pourrait s’appuyer sur les recommandations de la NASA pour poser les bases d’un nouveau cadre réglementaire, ce qui suscitera probablement des réactions chez SpaceX et consorts. Cela pourrait aussi inciter les autres pays à faire de même, puis à établir un nouveau traité commun susceptible de définir les termes de la colonisation spatiale pour les décennies à venir.
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