En ce moment, des tas de laboratoires très prestigieux explorent de nouvelles façons de mêler la biologie à la technologie. On peut notamment citer les interfaces cerveau-machine comme Neuralink, qui cherchent à contrôler les processus neurologiques grâce à des électrodes implantées à même le cerveau.
Mais jusqu’à présent, aucun de ces travaux n’a réussi à résoudre entièrement le problème majeur de la biocompatibilité. Ce n’est un secret pour personne, les tissus biologiques sont très différents des circuits électroniques. Et puisque l’organisme se défend activement contre tout corps étranger, il n’est pas évident de faire cohabiter les deux au sein d’un même système.
Cela signifie-t-il que la biologie et la technologie moderne, basée sur l’électronique, sont fondamentalement incompatibles ? Pas nécessairement. Car plus la science progresse, plus la frontière entre les deux devient floue. Et les derniers travaux d’une équipe de chercheurs suédois pourraient même commencer à la faire disparaître complètement.
Des bio-électrodes qui poussent toutes seules
Le groupe dirigé par le professeur Magnus Berggren, de l’Université de Linköping, a développé un nouveau concept assez révolutionnaire. Au lieu de forcer l’organisme à accepter un corps étranger, ses chercheurs ont pris le problème par l’autre bout. Ils ont réussi à mettre la machinerie cellulaire à contribution pour qu’elle construise elle-même des électrodes au sein d’un tissu vivant.
Pour y parvenir, ils ont dû commencer par trouver un substrat acceptable qui ne serait pas rejeté d’emblée par le système immunitaire. Leur choix s’est porté sur un gel quasiment inerte. Sa particularité, c’est qu’il est truffé d’enzymes, des catalyseurs naturels indispensables à des tas de réactions chimiques physiologiques.
Une fois la substance injectée dans un tissu vivant, les enzymes se retrouvent au contact de nouvelles ressources avec lesquelles elles peuvent travailler. Elles se mettent donc à catalyser des réactions qui transforment progressivement le gel en électrodes fonctionnelles.
Un concept puissant, flexible, et en harmonie avec le vivant
Le premier avantage, c’est que les interfaces ainsi produites sont parfaitement biocompatibles, puisqu’elles ont été construites par la machinerie cellulaire du tissu lui-même. Cette approche est aussi extrêmement flexible. Il suffit d’adapter la composition du gel pour cibler des structures biologiques précises. On peut ainsi créer des interfaces sur mesure pour stimuler électriquement le cœur, les muscles, une aire cérébrale donnée…
Et d’après la publication scientifique, les chercheurs ont déjà réussi à proposer une preuve de concept. Ils ont réussi à faire pousser des électrodes dans divers tissus chez des poissons-zèbres et des sangsues. « En changeant la chimie du gel, nous avons pu développer des électrodes qui ont été acceptées à la fois par des tissus et par le système immunitaire », expliquent-ils.
De plus, après quelques semaines de suivi, ils ont constaté que les électrodes avaient poussé sans le moindre dommage collatéral. Les tissus avoisinants n’ont pas été détruits et fonctionnaient encore normalement. Cela représente un progrès immense par rapport à la greffe d’interfaces artificielles, qui est une véritable boucherie à l’échelle cellulaire.
Une révolution pour la recherche et la médecine
« Pendant des décennies, nous avons essayé de créer de l’électronique qui imite la biologie. Maintenant, on laisse la biologie créer les composants pour nous », résume Berggren. Et c’est peut-être le début d’un grand changement de paradigme dans le domaine des neurosciences et de la bioélectronique.
Car le fait de décloisonner la biologie et l’électronique n’est pas un exercice de pensée futile. C’est un enjeu majeur dans le développement d’une toute nouvelle famille de technologies révolutionnaires. De quoi transformer la recherche fondamentale et la neurologie clinique en profondeur.
En effet, des électrodes de ce genre seraient des outils formidables pour étudier le système nerveux en conditions réelles. Cela permettrait alors de comprendre certains mécanismes mystérieux pour améliorer notre compréhension globale du vivant. Et à terme, on peut même imaginer s’en servir pour combattre des troubles neurologiques graves.
Vers un changement profond dans rapport à la technologie ?
Évidemment, cette technologie est encore loin d’être mature. Il faudra encore patienter de longues années avant d’arriver à un système entièrement fonctionnel, et encore davantage pour la retrouver dans une interface cerveau-machine ou un pacemaker de nouvelle génération. Mais il s’agit tout de même d’une contribution plus que significative. Elle pourrait tout à fait servir de point de départ à un tas de nouveaux travaux scientifiques révolutionnaires.
Les auteurs en sont en tout cas convaincus. « Nos résultats ouvrent la voie à de nouvelles manières d’appréhender la biologie et l’électronique », assure Hanne Biesmans, doctorante à l’Université de Linköping et co-auteure de l’étude.
Il ne reste donc plus qu’à voir jusqu’où les chercheurs vont pousser ce concept extrêmement prometteur et plein d’implications profondes — d’abord en termes strictement technologiques, mais aussi presque philosophiques, puisque ces composants biocompatibles pourraient dynamiter complètement la frontière actuelle entre le vivant et l’électronique. D’ici quelques années, il n’est pas impossible que cette approche vienne redéfinir les fondements de notre rapport à la technologie.
Le texte de l’étude est accessible via ScienceDaily.
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