La National Environment Agency (NEA) de Singapour élève des dizaines de millions de moustiques dans l’objectif de les remettre en liberté. Et son objectif est assez contre-intuitif : c’est un moyen de lutter contre la dengue.
Tous les insectes élevés par la NEA appartiennent à la même espèce, à savoir Aedes aegypti. Elle fait partie de celles qui sont identifiées comme vecteurs potentiels du virus de la dengue, qui infecte plusieurs centaines de millions de personnes chaque année dans le monde. Il n’est pas particulièrement dangereux, mais selon l’OMS, environ 20 000 patients en meurent tout de même chaque année suite à l’apparition de formes aiguës.
Dans ce contexte, une question s’impose : comment le fait de relâcher des millions d’insectes capables de faire voyager ce virus pourrait-il aider à s’en débarrasser ? La réponse se trouve dans une bactérie nommée Wolbachia.
Une bactérie qui empêche la reproduction
Cette dernière modifie la physiologie du moustique, avec une conséquence très intéressante dans ce contexte. En effet, même si les mécanismes physiologiques en jeu ne sont pas encore parfaitement compris, les Aedes aegypti infectés par Wolbachia ne sont plus capables de transmettre la dengue !
Mieux : lorsqu’un mâle infecté par Wolbachia s’accouple avec une femelle non infectée, il y a des cas où les œufs produits n’arrivent jamais à maturité. À terme, si l’on raisonne à grande échelle, cela a pour effet de réduire le nombre de vecteurs potentiels de la dengue.
À l’origine, cette technique a été développée par le World Mosquito Program, un programme de recherche collaboratif qui compte la Fondation Bill et Melinda Gates parmi ses principaux contributeurs.
L’approche en elle-même n’est pas nouvelle ; la libération de moustiques infectés par Wolbachia est déjà pratiquée depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, on trouve des exemples à Singapour, en Australie ou encore en Nouvelle-Calédonie.
En 2020, FranceInfo publiait par exemple un article sur InnovaFeed, une start-up française qui a développé de grandes pouponnières à moustiques spécialement prévues à cet effet. Et les professionnels du secteur ont désormais suffisamment de recul pour en tirer des conclusions relativement solides. Ils affirment que cette technique, qui pourrait sembler un brin hasardeuse, fonctionne bien.
En effet, une étude du World Mosquito Program menée sur plus de 300 000 personnes en Indonésie a montré que l’introduction de ces moustiques infectés par Wolbachia a fonctionné. Elle a même permis de réduire l’incidence de la dengue de manière spectaculaire. Dans les régions concernées, on compte désormais 77 % de cas en moins.
Des pupes triées grâce à la vision par ordinateur
Mais il reste un point noir au tableau. Pour une raison inconnue des chercheurs, lorsque le mâle et la femelle sont tous deux infectés par Wolbachia, il semble que le virus perde son effet bloquant. L’idéal serait donc de ne produire que des individus du même sexe dans ces fermes à moustiques. Et c’est là que l’action de la NEA se distingue des autres projets de ce genre.
D’après ces travaux repérés par Undark, des chercheurs de l’institution ont développé un système de tri automatisé basé sur le machine learning. Pour ce faire, un système de vision par ordinateur commence par scanner les pupes. Ce terme désigne le stade intermédiaire du développement des insectes diptères, entre la larve et le stade final aussi appelé imago.
L’objectif : déterminer le sexe des moustiques avant qu’ils ne prennent leur envol. L’ordinateur repère ainsi les différences subtiles entre les pupes femelles et mâles afin d’exclure ces derniers. Seules les femelles sont ainsi infectées par Wolbachia et relâchées.
Les chercheurs espèrent que cette approche permettra encore d’augmenter l’efficacité de cette méthode. Une bonne nouvelle pour les citoyens de Singapour, où la dengue continue d’être un problème de santé publique considérable.
L’éradication n’est pas la solution
Mais aussi agaçants soient-ils, les moustiques sont aussi des acteurs clés de leurs niches écologiques respectives. C’est par exemple une source de nourriture importante pour de nombreuses espèces d’insectes, d’arthropodes et d’oiseaux.
Il faut donc espérer qu’à terme, le World Mosquito Program misera sur une autre méthode capable d’empêcher la circulation des virus les plus problématiques, mais sans décimer entièrement les populations de moustiques. Les équipes de l’Université de Princeton ont par exemple présenté des travaux dans ce sens l’année dernière (voir notre article ci-dessous).
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