Une découverte pour le moins étrange vient de donner beaucoup de grain à moudre aux astronomes, qui sont repartis avec plus de questions que de réponses. Une observation récente a révélé des détails surprenants sur l’anneau de Quaoar, un petit corps céleste qui évolue au-delà de l’orbite de Neptune (on parle d’objets transneptuniens). Selon les modèles astronomiques actuels, un tel anneau ne devrait pas exister du tout !
L’observation en question a été réalisée à l’aide de l’HiPERCAM. C’est un instrument de pointe installé sur le Gran Telescopio Canarias, un observatoire basé aux Canaries qui fait partie des plus performants au monde. Une équipe d’astronomes a profité de ce capteur ultrasensible pour jeter coup d’œil à l’anneau de Quaoar, normalement trop petit pour être observé directement.
Pour y parvenir, ils ont dû attendre de pouvoir capturer ce qu’on appelle une occultation. Ce terme désigne le passage d’un objet devant une source lumineuse, généralement une étoile. Cela a pour effet de faire chuter temporairement la quantité de lumière qui nous parvient. Même s’il s’agit d’un abus de langage, on peut vulgairement les considérer comme des éclipses à longue distance.
Il s’agit de ressources très intéressantes pour les chercheurs. Ces occultations leur permettent d’étudier des objets normalement invisibles pour les télescopes les plus performants. Pour ce faire, ils analysent méticuleusement les variations de la luminosité de l’étoile avant, pendant et après le passage de l’objet. Ils peuvent ainsi en déduire des tas d’informations sur la taille, la trajectoire, et même la composition chimique de certains corps célestes.
La limite de Roche au cœur du problème
Avec le passage d’un objet qui présente un anneau, on s’attend à capter trois variations distinctes. La première est relativement ténue, puisqu’elle correspond à la partie de l’astre cachée par une portion de l’anneau. La seconde, qui correspond au passage de l’objet en lui-même, est bien plus nette. Enfin, on assiste généralement à une troisième variation quasiment identique pour la deuxième portion de l’anneau.
Quand les astronomes se sont penchés sur les résultats, ils ont effectivement observé cette signature caractéristique chez Quaoar. Mais en poussant l’analyse plus loin, ils se sont rapidement rendu compte que leurs résultats présentaient une incohérence curieuse.
Pour comprendre pourquoi, il faut s’intéresser à la Loi de Roche. C’est un concept formalisé par l’astronome français du même nom en 1848, et il s’agit d’un grand classique de l’astrophysique. Cette notion aide les spécialistes à décrire le comportement des objets qui gravitent autour d’un corps céleste.
Elle a permis de définir ce qu’on appelle aujourd’hui la limite de Roche. C’est une sorte de frontière invisible qui entoure un objet massif. Lorsqu’un objet s’approche trop près et dépasse cette limite de Roche, il commence à se disloquer sous l’effet des forces de marée. Ce sont ces débris qui finissent par former un anneau au fil du temps.
Le matériel situé au-delà de la limite, en revanche, évolue différemment. Il a tendance à s’agglomérer, et c’est l’un des principaux mécanismes qui peuvent aboutir à la formation des satellites naturels. D’après l’hypothèse la plus en vogue chez les spécialistes, c’est exactement ce qui s’est passé dans le cas de notre Lune.
Une incohérence flagrante avec les modèles actuels
Mais Quaoar pourrait désormais remettre ce modèle en question. En effet, les trois occultations décrites plus haut étaient particulièrement éloignées les unes des autres. Par extension, cela signifie que l’anneau était beaucoup plus large que prévu. Si large, en fait, qu’il s’agit d’une entorse flagrante à la loi de Roche telle qu’elle est définie aujourd’hui.
Généralement, la distance de cette frontière est établie à environ 2,46 fois le rayon de la planète en question (avec une certaine variabilité). Cela se vérifie à peu près dans le cas de Saturne, Jupiter et Uranus. Dans le cas de Quaoar, on s’attendait donc à ce que son anneau soit situé à une distance maximale d’environ 1700 kilomètres. Mais cette dernière observation a montré qu’il était en fait situé à plus de 4000 kilomètres !
C’est plus de deux fois la distance théorique maximale qui était acceptée jusqu’à présent. En d’autres termes, selon les modèles astrophysiques actuels, l’anneau n’a absolument rien à faire là ! Cela fait belle lurette qu’il devrait s’être aggloméré pour former une lune. Et pour l’instant, c’est un cas complètement unique en son genre. Personne ne sait expliquer pourquoi cet anneau est toujours présent sous sa forme actuelle.
Une piste pour étudier les mystères de Saturne
Cette découverte est donc assez importante. Elle va forcer les astronomes à reconsidérer les modèles qui décrivent la formation des anneaux. Mais ce n’est pas une mauvaise nouvelle en soi, loin de là ! La théorie de Roche repose sur des bases conceptuelles très solides, et elle ne va donc pas passer à la trappe du jour au lendemain.
Désormais, tout l’enjeu va être de l’affiner, de la consolider. Car à chaque fois qu’on identifie un point de rupture dans une théorie solide, cela met en lumière des zones d’ombre qui auraient pu passer complètement inaperçues pendant des années, voire des décennies. Il va maintenant trouver les pièces manquantes de ce grand puzzle. Et c’est une perspective très enthousiasmante.
Car avec ces nouveaux modèles actualisés, les astronomes seront armés pour s’attaquer à des tas d’autres questions fascinantes. À terme, on peut s’attendre à de nouvelles découvertes d’envergure sur des corps célestes encore plus intéressants — à commencer par les majestueux anneaux de nos voisines géantes. « Tout le monde connaît les anneaux de Saturne depuis l’enfance, et avec un peu de chance, ces travaux nous offriront de nouveaux indices sur la façon dont ils se sont formés », se réjouit Vik Dhillon, co-auteur de l’étude.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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Dans le cas de Saturne, Jupiter ou Uranus, on parle de planètes gazeuses, alors que Quaoar, même si je ne trouve cette info nulle part, n’est certainement pas gazeuse vu sa taille. Sans doute tellurique.
A voir donc comment la loi de Roche se fonde à la base sur l’observation de planètes gazeuses et de leurs anneaux, avec les biais que cela implique si on la transpose sur un autre type de planète. Si on parle des anneaux de Jupiter par exemple, avec la loi de Roche actuelle, on aurait des anneaux “en orbite” autour de la couche d’hydrogène métal liquide de la planète.
Si on applique le même coefficient que sur Quaoar (soit +- 5.78), on se rapproche en fait de la couche de glace fondue de la planète (et aussi in fine de son centre), et donc, de la “planète dans la planète” qui se cache dans toutes les géantes gazeuses.
Par effet inverse, si cette hypothèse s’avère correcte, le calcul permettrait de connaître l’épaisseur de l’atmosphère des gazeuses par des observations des anneaux et du rayon moyen.