Les systèmes basés sur l’intelligence artificielle, ou plus précisément sur les réseaux de neurones artificiels dépassent largement les capacités du cerveau humain lorsqu’il s’agit d’extraire des informations de jeux de données très complexes. Au-delà du divertissement, cette approche laisse surtout entrevoir de belles avancées dans des domaines comme la gestion des ressources, la médecine… et même la recherche de vie extraterrestre.
C’est en tout cas ce qui ressort de la dernière annonce des troupes de Breakthrough Listen (BL), l’un des plus grands projets consacrés à la recherche d’une forme de vie née loin de la Terre. À l’aide d’un nouveau programme basé sur le machine learning, des chercheurs ont identifié huit signaux particulièrement intrigants.
Contrairement aux engins comme le rover Perseverance, qui arpente Mars à la recherche de vestiges biologiques, BL se concentre sur ce qu’on appelle des technosignatures. Il s’agit de signaux radio qui ne correspondent à aucun phénomène déjà identifié par les scientifiques. Il existe donc une possibilité qu’ils soient artificiels, produits par des technologies aujourd’hui inconnues.
Une aiguille dans une botte de foin électromagnétique
Les signaux de ce genre sont donc particulièrement intéressants pour les chercheurs. Ces phénomènes inhabituels représentent chacun une pièce manquante dans notre compréhension globale de l’univers ; en les suivant à la trace, les spécialistes peuvent donc identifier des mécanismes qui leur permettront de mieux comprendre ce qui se trame dans les profondeurs de l’espace. Et il n’est pas exclu qu’un jour, l’un d’entre eux soit associé à une civilisation alien.
Le problème, c’est qu’étudier ces signaux est excessivement difficile. Et pour cause : au niveau des ondes radio, l’univers est incroyablement bruyant ! Des différents types d’étoiles aux trous noirs en passant par des objets hypothétiques encore jamais repérés, il existe des tas de corps célestes capables de produire des signaux de ce genre.
Or, pour espérer trouver un signal produit par une autre espèce, il faut être en mesure d’y voir clair dans ce vaste capharnaüm. Mais faire le tri n’est pas une mince affaire. C’est même un casse-tête de première catégorie pour les humains… mais les réseaux de neurones, en revanche, sont des outils exceptionnellement puissants dans ce contexte.
C’est pour cette raison que Peter Ma, étudiant à l’Université de Toronto, s’est associé à Nvidia. Avec le soutien du géant de l’IA, il a développé un nouvel outil au service de Breakthrough Listen. Il s’agit d’un nouvel algorithme spécialement conçu pour identifier des technosignatures potentielles dans un immense jeu de données.
Huit signaux radio non identifiés
Pour tester son nouveau bébé, Ma lui a fait passer en revue plus de 150 TB de données récoltées par le Green Bank Radio Telescope, le plus grand radiotélescope orientable au monde. Au terme du processus de filtrage, l’algorithme a réussi à distinguer 20 515 signaux jugés intéressants qui se démarquent du bruit ambiant.
Il s’agit encore d’un nombre très élevé, mais beaucoup plus abordable que les trois millions de signaux contenus dans la base de données originales. Cela a permis à l’apprenti chercheur et à ses collègues de les inspecter individuellement, un par un. Et au terme de ce travail de fourmi, ils ont identifié huit signaux particulièrement troublants. Ils n’étaient pas attribuables à des interférences et ne présentaient aucun point commun avec les phénomènes déjà connus.
L’autre point qui rend ces signaux surprenants, c’est leur temporalité. En effet, ils étaient tous éphémères et n’ont plus été repérés depuis. « Après avoir repointé notre télescope sur la source de ces signaux, nous n’en avons retrouvé aucun », explique Ma. « Déduisez-en ce que vous voulez », ajoute-t-il.
Pas une preuve de vie extraterrestre…
S’agit-il donc d’une série de messages envoyés par des petits hommes verts ? Évidemment, il est encore beaucoup trop tôt pour l’affirmer. Surtout qu’il existe des points de rupture importants dans ces travaux.
La principale limite concerne la qualité du filtrage réalisé par l’algorithme. Pour traiter des données, les systèmes basés sur l’IA doivent être entraînés au préalable avec des données solides et pertinentes. Or, dans ce cas de figure, cela impliquerait de fournir de véritables signaux extraterrestres à l’algorithme pour qu’il apprenne à les identifier.
Mais puisque nous n’avons jamais repéré d’extraterrestres jusqu’à présent, ce matériel n’existe tout simplement pas. Ma et son équipe ont donc dû se baser sur des simulations de ces signaux. Concrètement, ils ont donc joué aux devinettes. L’IA a ensuite travaillé à partir de ces informations hautement hypothétiques, et cela réduit considérablement l’intérêt pratique de ces travaux. Ma en est d’ailleurs parfaitement conscient et a parlé ouvertement de ces limites.
…pour le moment
En revanche, ça ne veut pas dire qu’il s’agit seulement d’un projet tape-à-l’œil lancé par un chercheur junior en quête d’exposition médiatique. S’il faut effectivement être prudent quant à l’interprétation, la démarche en elle-même est tout à fait valable et repose sur une méthodologie solide. Dans tous les cas, l’étude offre des informations intéressantes sur des phénomènes mystérieux ou complètement inconnus. Ces signaux pourraient par exemple provenir d’un nouveau type d’étoile, d’une interaction particulière entre deux corps célestes…
Désormais, tout l’enjeu va être de trouver de nouveaux éléments pour identifier des technosignatures. Il s’agira d’un travail de longue haleine qui sera approfondi au fil des découvertes des astrophysiciens. Plus ils documenteront des corps célestes et des signaux exotiques, plus ils pourront affiner leurs critères de sélection.
Avec de la persévérance et une bonne dose de chance, cela permettra un jour d’isoler un signal produit par une éventuelle civilisation extraterrestre. Et le travail de Ma permettra déjà d’avancer dans cette direction, puisque ces huit signaux mystérieux proviennent certainement de phénomènes encore jamais observés.
“Ces résultats illustrent de façon dramatique la puissance des approches basées sur le machine learning pour répondre aux défis modernes de l’astronomie“, s’enthousiasme Cherry Ng, l’une des mentors de Peter Ma qui officie aujourd’hui en France, au CNRS. “Ces techniques vont transformer la recherche de technosignatures“, assure-t-elle. “C’est excitant de voir de nouvelles approches de ce genre développées par des jeunes pleins d’imagination“, renchérit Pete Worden, directeur exécutif de Breakthrough Listen dans un communiqué.
Morale de l’histoire : nous sommes encore loin de prouver que nous ne sommes pas seuls dans l’univers. Mais si nous y parvenons un jour, les systèmes basés sur l’intelligence artificielle joueront très probablement un rôle déterminant dans cette grande aventure scientifique.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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