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Le cœur de la Terre s’est-il mis à tourner dans l’autre sens ?

Des chercheurs ont présenté des travaux fascinants sur la dynamique interne de la Terre, et la géologie est peut-être à l’aube d’une petite révolution.

Des chercheurs de l’Université de Pékin ont annoncé une découverte saisissante loin dans les profondeurs de la Terre. Dans un papier paru hier dans la prestigieuse revue scientifique Nature Geoscience, ils ont publié de nombreuses observations qui suggèrent que le noyau interne, la partie la plus centrale du globe, pourrait s’être arrêté de tourner avant de repartir dans le sens inverse.

Loin sous la croûte et le manteau terrestre, on trouve une grosse poche de fer en fusion : le noyau externe. Et encore plus loin, à plus de 5000 kilomètres sous la surface, on trouve une sphère solide de 1200 km de diamètre. constituée essentiellement de fer et de nickel. On parle alors de noyau interne. Puisqu’il est suspendu dans le liquide du noyau externe, il peut tourner indépendamment de la croûte et du manteau.

Mais malheureusement, il n’existe que très peu d’indices sur les phénomènes qui se déroulent à cette profondeur phénoménale. Leurs implications restent donc mystérieuses, et des tas de questions subsistent sur la dynamique du noyau. Étudier les détails de sa rotation pourrait livrer une foule d’informations sur les interactions entre les couches profondes. Par extension, cela pourrait aussi révéler des tas d’autres informations fondamentales pour les géologues.

Or, il est tout simplement impossible de se rendre sur place pour aller le vérifier. Même en faisant abstraction de la difficulté technique, les niveaux de pression et de température dantesque en font un territoire complètement impraticable pour l’humanité d’aujourd’hui.

Pour étudier les entrailles de la Terre, les chercheurs n’ont pas d’autre choix que de l’ausculter. Leur stéthoscope de prédilection : les ondes sismiques, qui peuvent traverser la Terre de part en part. Lorsqu’elles franchissent l’interface entre deux structures géologiques, la trajectoire et le temps de trajet de l’onde s’en trouvent altérée. Avec suffisamment de données et à l’aide d’outils mathématiques avancés, les chercheurs peuvent donc tenter d’identifier les caractéristiques de ces différentes structures.

Des signaux étranges en provenance du cœur interne

C’est ainsi qu’ont procédé Yi Yang and Xiaodong Song, des sismologues à l’Université de Pékin. Ils se sont penchés sur des tas de séismes relativement identiques enregistrés sur une période de 60 ans. Et se concentrant sur les ondes qui se sont approchées du noyau de la Terre, ils ont observé un phénomène très étrange qui a commencé autour de 2009. Certaines trajectoires d’ondes qui présentaient auparavant des temporalités très différentes étaient désormais quasiment identiques !

la structure interne de la Terre
© Kelvinsong – Wikimedia Commons

Cela suggère que le noyau interne de la Terre a tout simplement cessé de tourner à cette période. Par la suite, ils ont trouvé d’autres éléments encore plus surprenants. Ils suggèrent qu’il ne s’agissait pas d’un arrêt à proprement parler, mais simplement d’un point d’inflexion. La rotation du noyau serait donc repartie de plus belle dans l’autre sens. Et surtout, les chercheurs pensent désormais que ce phénomène survient périodiquement, à peu près tous les 70 ans.

Ils ont cherché à confirmer cette hypothèse en s’appuyant sur d’autres éléments. En effet, les géophysiciens considèrent qu’une inversion de la rotation du noyau interne aurait une influence très discrète, mais significative sur certains paramètres de la Terre. Par exemple, si le noyau était reparti dans l’autre sens, la durée du jour s’en retrouverait modifiée d’une fraction de milliseconde sur une année entière… et après analyse, c’est effectivement le cas.

Des travaux très solides, mais pas de conclusion définitive

Mais pas si vite : les chercheurs continuent tout de même de se montrer extrêmement prudents sur l’interprétation. Pas question de tout gâcher en plongeant tête la première dans un gros biais de confirmation. En effet, ces éléments pourraient aussi coller à d’autres modèles auxquels les chercheurs n’ont même pas encore pensé jusqu’à présent. Pour l’instant, ils se refusent à crier victoire, même si toutes les données vont dans leur sens.

Malgré tout, leur publication s’est rapidement imposée comme le scoop géologique de ce début d’année. Car même si elle n’apporte aucune conclusion définitive, la méthodologie était extrêmement sérieuse. La montagne de données fournie par les chercheurs a su convaincre leurs collègues. Aucun doute, il y a bien quelque chose qui se passe au niveau du noyau — reste à savoir quoi.

« Les changements qu’ils ont observés sont valides », commence par affirmer John Vidale, professeur en sciences de la Terre à l’University of South California. « Mais ce qui se passe exactement n’est pas si clair », précise-t-il, confirmant l’interprétation des chercheurs chinois. « Ils ont une excellente analyse et la théorie qu’ils ont avancée fait probablement partie des meilleures à ce jour, mais il reste encore quelques idées concurrentes », nuance-t-il dans les colonnes du Wall Street Journal.

Précisons qu’il n’existe aucun lien évident avec la vitesse de rotation de la Terre en elle-même (voir notre article ci-dessous). Désormais, tout l’enjeu va être de trouver de nouveaux indices. Dans l’idéal, cela permettra qui permettront de corroborer, ou au contraire d’écarter cette théorie une fois pour toutes. Car s’il s’avère que la rotation du noyau interne s’inverse bien toutes les quelques décennies, il s’agirait d’une petite révolution en géologie.

Une piste de recherche aux implications… profondes

Cela permettrait d’améliorer notre compréhension de nombreux phénomènes très importants. On peut notamment citer le champ magnétique terrestre, ce bouclier si important pour protéger les habitants de la Terre des dangereuses radiations qui nous parviennent depuis le Soleil et l’espace profonde (voir notre article). En effet, le noyau externe liquide qui enveloppe le noyau interne est agité en permanence par des mouvements de convection. Cela génère un effet dynamo qui joue un rôle déterminant dans le maintien du champ magnétique. Mais certains spécialistes considèrent que le noyau interne a joué un rôle déterminant dans son apparition.

D’autres estiment que l’interaction entre les deux portions du cœur jouerait un rôle dans son maintien. Le fait de savoir si la rotation du noyau interne oscille ainsi serait une information d’une importance capitale pour répondre à toutes ces questions.

De plus, cette dynamique pourrait aussi jouer un rôle dans la distribution interne de la chaleur de la Terre. Par extension, les caprices du noyau pourraient aussi conditionner des tas de phénomènes géologiques majeurs, comme ceux qui sont à l’origine des éruptions volcaniques et même de la dérive des continents.

Même si elle n’est pas entièrement concluante, il s’agit d’une étude très importante qui ouvre des tas de pistes de recherche toutes plus fascinantes les unes que les autres. Il conviendra donc de surveiller les retombées de ces travaux et des études complémentaires qui vont immanquablement émerger par la suite ; il n’est pas exclu que d’ici quelques années, on se souvienne de ces travaux comme d’un moment-clé dans l’histoire des sciences de la Terre.

Le texte de l’étude publiée dans Nature Geosciences est disponible ici.

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