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Cet organisme ne mange que des virus, et c’est une grande première

La découverte du premier organisme capable de survivre en ne mangeant que des virus pourrait avoir des retombées énormes dans plusieurs domaines.

[Article mis à jour le 17/01/23 pour corriger une coquille qui sous-entendait qu’Halteria est une bactérie; il s’agit bien d’un cilié eukaryote, comme mentionné plus bas.]

Des bactéries aux plus gros mammifères en passant par les plantes vertes, les champignons et tous les autres organismes, peu importe le règne auquel on s’intéresse, il y en a forcément d’autres qui ont développé des outils pour les manger. À ce niveau, les virus font figure d’exceptions ; il existe certains organismes qui peuvent les attaquer, mais personne n’a encore décrit d’organisme « virovore », c’est à dire capable de se nourrir exclusivement de virus.

Cette lacune laisse les spécialistes perplexes pour plusieurs raisons. La première, c’est que les virus sont très abondants ; même dans un petit étang parfaitement sain, on trouve des millions de particules virales susceptibles d’infecter une grande variété d’hôtes différents. Il est donc surprenant de n’en trouver aucun qui ait opté pour ce régime.

Et cette incohérence a presque tourné à l’obsession pour John DeLong, un microbiologiste de l’University of Nebraska-Lincoln, aux États-Unis. Avec son équipe, il cherche depuis plusieurs années à faire la lumière sur cette zone d’ombre de la chaîne alimentaire. « Ça semble évident que des tas d’organismes se retrouvent avec des virus dans la bouche en permanence, tout simplement parce qu’il y en a de très grandes quantités dans l’eau », explique-t-il dans un communiqué de l’université.

C’est d’autant plus surprenant que du point de vue d’un micro-organisme, les virus sont des amuse-gueules particulièrement appétissants. Ils sont composés d’acides nucléiques, d’azote et de phosphore – des briques essentielles de la vie telle qu’on la connaît.

En toute logique, il s’agit donc d’un mets de choix que « tout le monde devrait vouloir manger », insiste DeLong. « Il ya tellement de choses qui mangent tout ce qui passe à leur portée. Il y a donc certainement quelque chose, quelque part, qui aurait appris à manger ces matériaux bruts très intéressants. » Mais vérifier cette hypothèse était tout sauf trivial.

Une piste venue du plancton

En manque de pistes concrètes, DeLong a donc commencé par ratisser large. Il a collecté un grand nombre de microorganismes variés dans un étang avoisinant avant de les mettre en culture. Restait encore à leur trouver un repas potentiel — un processus terriblement hasardeux, connaissant la variété des interactions possibles entre les différentes espèces. Pour maximiser ses chances de succès, il a choisi de travailler avec des cholorovirus.

Ce sont des espèces qui parasitent les cellules d’algues vertes microscopiques. Au cours de leur cycle de vie, ils font exploser les cellules infectées. Cela a pour effet de libérer du carbone et d’autres nutriments dans le milieu. Et si DeLong les a choisis, c’est parce qu’ils ont déjà été au centre d’une autre étude importante sur la place des virus dans la chaîne alimentaire.

Des chlorovirus à l’assaut d’une cellule d’algue chlorophylienne. © University of Nebraska-Lincoln

Traditionnellement, les chercheurs pensaient que ces éléments venaient alimenter les échelons plus élevés de a chaîne alimentaire. Mais en 2016, le biologiste James Van Etten a montré que le plus gros de ce matériel était en fait consommé directement par la faune microbienne dans une vaste opération de recyclage. Cela a donc conduit certains chercheurs, dont DeLong, à se pencher sur la place des virus dans ce festin pour Lilliputiens.

Il a donc ajouté des chlorovirus à sa culture avant de démarrer une phase d’observation. L’objectif : trouver un organisme, n’importe lequel, qui traiterait le virus comme un casse-croûte plutôt que comme une menace.

Halteria, le premier vrai organisme virovore

Au fil du temps, il a fait un constat inattendu à partir d’une population qu’une population d’Halteria, un genre de micro-organismes unicellulaires ciliés de la famille du plancton. Ces petites bêtes semblaient prospérer étonnamment bien. Or, en microbiologie, il s’agit d’un signe très fort ; cela suggère que l’espèce en question a accès à une source de nourriture dans son environnement direct.

Il a donc isolé ces petits gloutons avant de leur servir une nouvelle portion. Et sa persévérance a été récompensée. Car deux jours plus tard, la tendance était devenue très claire. Le nombre de chlorovirus a été divisé par 100, tandis que la population d’Halteria a été multipliée par 15. En parallèle, dans un second groupe de contrôle sans chlorovirus, elles ont rapidement dépéri.

Deux Halteria vus au microscope. © Yuuji Tsukii – Hosei University

Un résultat très prometteur. Mais avant d’annoncer une grande découverte, comme le tout premier organisme capable de se sustenter uniquement avec des virus, mieux vaut être sûr de son fait. L’équipe a donc intégré un marqueur fluorescent à l’ADN des virus… et les vacuoles des bactéries — l’équivalent fonctionnel de l’estomac chez ces organismes — se sont rapidement mises à briller de mille feux.

Une preuve indiscutable qu’un transfert de matériel avait bien lieu entre les deux populations. Et la cerise sur le gâteau, c’est qu’après-coup, DeLong et ses collègues ont réussi à identifier plusieurs autres organismes virovores supplémentaires. Jackpot !

Des implications majeures dans de nombreuses disciplines scientifiques

« J’ai appelé mes co-auteurs en criant : “Ils ont poussé ! On a réussi !” », se remémore-t-il dans le communiqué. « C’est grisant de pouvoir voir quelque chose d’aussi fondamental pour la toute première fois. » Et il ne s’agit pas d’un euphémisme. En fait, il s’agit même d’une découverte majeure qui pourrait changer considérablement notre façon d’étudier les chaînes alimentaires.

« Si l’on multiplie une simple approximation du nombre de virus, du nombre de ciliés [comme Halteria], et de la quantité d’eau sur terre, on obtient un mouvement d’énergie massif vers le haut de la chaîne alimentaire », explique DeLong. Et cela va encore plus loin. « Si ça se déroule à l’échelle que l’on pense, ça pourrait complètement changer notre conception globale du cycle du carbone. »

Le cycle du carbone et ses quatre réservoirs qui communiquent en permanence. © Wart dark, tooony, bendeck – WikiCommons

Pour rappel, le cycle du carbone, c’est un phénomène aux proportions gigantesques qui décrit la vie d’un atome de carbone, et son passage par les différents réservoirs biologiques, géologiques, aquatiques ou atmosphériques de notre planète. Il est donc intimement lié à la vie sur Terre à absolument tous les niveaux, de la physiologie des organismes au climat de la planète. Autant dire que si les virus ont une influence plus importante que prévu sur ce cycle, il s’agira donc d’une évolution scientifique très importante.

Désormais, tout l’enjeu va être de documenter la vie de ces organismes virovores directement dans leurs environnements naturels. Dans un premier temps, cela permettra de déterminer comment ils impactent la structure des chaînes alimentaires, et l’évolution et la diversité des espèces. Et à ce stade, il sera éventuellement possible de redéfinir la place des virus dans la vie sur Terre, avec tout ce que cela implique pour des tas d’autres champs de recherche.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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3 commentaires
  1. Bravo! Cette analyse, si intelligible, est aussi intelligente que le cycle de la vie, si complexe, est merveilleux. A propos du Covid, je me demandais avec quels matériaux est fait ce virus, comment s’alimente-t-il et comment respire-t-il? Et, enfin, quels sont ses ennemis et a-t-il des prédateurs ? Voici un début de réponse fascinant !

  2. Article de vulgarisartion scientifique remarquable cependant permetter moi de relever un erreur fréquente; la confusion des termes atome et molecule . Les élèves de collège savent ou devraientsavoir que le carbone n est pas une molécule mais un atome qui, lorsqu’il est lié a d autres atomes forme des molécules dites organiques comme par exemple celles des acides aminés ou plus simples comme le méthane CH4.

  3. Article très intéressant, qui résume bien le travail des chercheurs avec une touche d’humour. Attention cependant, Halteria est un eukaryote, pas une bactérie!

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