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L’échec de Vega-C, un coup dur pour les ambitions de l’Europe

La défaillance du lanceur tombe particulièrement mal, car l’ESA négocie en ce moment un virage délicat et déterminant pour l’aérospatiale européenne.

Dans la nuit du 20 au 21 décembre, la fusée Vega C de l’ESA s’est élancée dans le ciel de Kourou, en Guyane française, pour la troisième fois de son histoire. À son bord : deux satellites qui devaient rejoindre la constellation Pléiades Neo d’Airbus. Mais ces engins n’arriveront jamais à bon port ; le lanceur a rencontré un dysfonctionnement qui a conduit à un échec critique de la mission.

Tout avait pourtant bien commencé. Le compte à rebours a pris fin à 10 h 47 heure locale, et la fusée de conception italienne a pris son envol sans problème apparent. Mais la situation a basculé après la séparation du premier et du deuxième étage. Ce dernier a rencontré ce que l’ESA décrit comme une « anomalie ».

Et 2 minutes et 27 secondes après le lancement, à environ 100 km d’altitude, les pires cauchemars des ingénieurs se sont concrétisés ; sous les yeux catastrophés de l’équipe au sol, l’engin s’est mis à dévier de sa trajectoire. La mort dans l’âme, les responsables ont donc été forcées de lancer le programme d’autodestruction du véhicule. Il s’agit de la procédure standard dans ces cas de figure, car cela permet de contrôler la trajectoire des débris. En l’occurrence, le cadavre de Vega-C est tombé directement dans l’Atlantique.

Dans le feu de l’action, les techniciens ont identifié une chute de pression dans la chambre de combustion de ce 2e étage. Mais à l’heure actuelle, la cause exacte de ce dysfonctionnement reste inconnue. L’ESA devra passer en revue toutes les données du vol avant de proposer une explication.

Mais quelles qu’en soient les raisons, il s’agit d’un échec particulièrement difficile à avaler pour plusieurs raisons. Stéphane Israël, PDG d’Arianespace, s’en est d’ailleurs excusé platement auprès de leur opérateur, la division spatiale et militaire d’Airbus. Même son de cloche du côté d’Avio, le prestataire italien qui gère la production de la fusée. Il a indiqué que sa firme en « assumait l’entière responsabilité. »

Deux satellites perdus et un lanceur sur la touche

Le premier élément problématique, c’est la grande valeur de la cargaison, à savoir les 5e et 6e satellites Pléiades Néo. Ce sont des instruments d’imagerie optique extrêmement performants, autant en termes de résolution pure que de manœuvrabilité. Depuis l’orbite, ils sont capables de distinguer clairement des détails de la taille d’une boîte à chaussures à la surface de la Terre. Et surtout, ils sont capables de le faire plusieurs fois par jour.

Leur concepteur a déjà envoyé quatre de ces engins sur une orbite héliosynchrone. Le lancement d’hier devait compléter cette constellation, dont les services sont censés être vendus à des tas de clients très différents. Une telle installation peut collecter des données utiles aux architectes, aux urbanistes, aux biologistes… mais il faudra encore patienter un long moment pour la voir fonctionner à plein régime.

La perte d’une mission de ce genre est tout sauf anecdotique. Arianespace en a bien conscience et va devoir rendre des comptes. Une commission d’enquête a été mise en place pour déterminer les circonstances du drame et la responsabilité des différents acteurs impliqués. Vega-C restera de toute façon cloué au sol pendant un certain temps ; interdiction formelle de procéder au moindre lancement avant d’avoir une vision parfaitement claire de la situation.

Les lanceurs légers, discrets mais incontournables

Et c’est bien là le premier enjeu de cette situation délicate. Certes, la perte des satellites est problématique ; mais le plus préoccupant, et de très loin, c’est que cet échec représente un nouveau coup d’arrêt pour notre agence spatiale déjà mal embarquée. Car les alternatives à Vega-C ne se bousculent pas au portillon.

Les lanceurs lourds, comme Ariane 5 ou le Falcon 9 de Space X, sont généralement au centre des missions les plus ambitieuses et médiatiques. Mais dans l’absolu, ces petits lanceurs sont au moins aussi importants en termes opérationnels. Numériquement parlant, ils se chargent d’une part très importante des lancements. Ce sont eux qui acheminent la grande majorité des petits satellites indispensables aux communications, à la recherche scientifique, à la défense… En résumé, les lanceurs de ce genre sont des pièces indispensables dans la logistique de toutes les agences spatiales.

Les Américains sont déjà très bien équipés à ce niveau grâce à leur écosystème privé très dynamique. Au pays de l’Oncle Sam, les clients n’ont que l’embarras du choix. Ils peuvent faire jouer la concurrence en utilisant l’Alpha de Firefly, la Rocket 3 d’Alpha, le Terran 1 de Relativity Space, ou encore l’Électron de RocketLab, véritable Rolls-Royce des lanceurs légers et référence absolue sur ce segment.

En comparaison, l’Europe fait décidément pâle figure. Le Vieux continent héberge plusieurs jeunes pousses prometteuses ; rien qu’en France, on peut par exemple citer Exploration et HyPrSpace, basées à Mérignac, ou Gama à Paris. Mais rien de comparable avec l’écosystème bien plus mature qui existe déjà de l’autre côté de l’Atlantique.

Une Europe de plus en plus démunie et dépendante

De plus, les capacités de lancement de l’Europe ont encore pris du plomb dans l’aile pour des raisons politiques. Depuis la rupture partielle des liens avec Roscosmos sur fond de guerre en Ukraine, l’ESA n’utilise plus les Soyouz russes. Ces derniers sont certes vieillissants, mais ils continuaient de se montrer très importants dans la logistique opérationnelle de l’Europe.

Ce nouvel échec n’en est que plus préoccupant. Car ce n’est pas la première fois que Vega-C échoue à atteindre l’orbite ; c’est déjà la deuxième en trois lancements. La dernière fois, c’était en novembre 2020, et l’engin avait dû rester sur la touche pendant cinq mois. Or, pendant que le lanceur ronge son frein, la concurrence continue de progresser de tous les côtés.

À l’Ouest, les États-Unis continuent de dominer outrageusement l’espace. Et cette situation devrait encore perdurer un moment. Il n’y a qu’à considérer l’arrivée prochaine du révolutionnaire Starship, ou le développement rapide de l’aérospatiale privée pour s’en convaincre. À l’Est, la Chine multiplie les grandes premières à une vitesse affolante pendant que des jeunes pousses comme l’Inde font leur petit bonhomme de chemin en toute discrétion. Et au milieu de ce sprint mondial, l’Europe claudique tant bien que mal en tâchant de rester dans la course.

Autant dire que l’ESA et Arianespace jouaient très gros ; avec ce lancement, ils espéraient pouvoir rattraper une partie de leur retard. Cet échec va donc bien au-delà du simple tir raté. En substance, c’est un violent crochet au foie qui fait à nouveau vaciller les ambitions d’une industrie déjà en difficulté.

Car pour couronner le tout, il n’y a pas que sur les petits lanceurs que l’Europe est à la traîne. Il y a également du souci à se faire du côté des lanceurs lourds.

Ariane 5, le plus gros lanceur européen du moment, nous a rendus de fiers services;  cette fusée a été le fer de lance indiscutable de l’Europe depuis 1996, et a participé à une foule de missions exceptionnelles. Mais elle est désormais en fin de vie. Selon le programme actuel de l’ESA, il ne lui reste que deux vols début 2023 avant de prendre sa retraite… et c’est un gros problème. Car même dans le meilleur des cas, sa remplaçante Ariane-6 n’arrivera pas avant la fin de cette année à cause d’un report récent.

Et dans tous les cas, cette dernière ne changera pas la donne à elle toute seule. Et pour cause : il ne s’agit pas d’un lanceur réutilisable. Une erreur stratégique énorme, sachant qu’il s’agit du nouveau standard vers lequel toute l’industrie est en train de se tourner. Ariane-6 va donc rapidement céder sa place à Maia ; ce nouveau modèle pourra enfin être partiellement récupéré.

Mais en attendant, on se retrouve donc avec une période de flottement de plusieurs mois où l’Europe sera incapable de lancer ses propres charges lourdes. Et cela a déjà eu des conséquences ; après avoir coupé les ponts avec Roscosmos, l’ESA n’a pas eu d’autre choix que de faire appel à SpaceX.

Il va falloir tirer les conclusions qui s’imposent pour inverser la tendance aussi vite que possible. L’Europe va devoir mettre du cœur à l’ouvrage pour que Vega-C remplisse enfin ses objectifs et que le développement de Maia se passe bien. Dans le cas contraire, les retombées de cette perte d’autonomie pourraient être considérables, connaissant l’importance stratégique et géopolitique de cette capacité de lancement.

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3 commentaires
  1. Cet Échec du lancement de Vega C est une catastrophe pour peut être, un peu pour ASE et l Europe , mais surtout et surtout pour notre Defense et centres de recherches Pays France! Qu il me semble n a pas du tout consciences de cet échec! A l annonce en direct mes pensées ce sont rapidement dirigées vers les THQ Techniciens et Ingénieurs Italiens de ce tres grand groupe Aérospatial Italien AVIO et de ses nombreux sous traitants aux tres hautes compétences! Il n y a et aura aucune autres alternatives de lanceurs de cette catégories pour les pays d Europe, et de la France qui devrait avoir son propre lanceur depuis longtemps ! si ce ne sera que par les US ! En ont ils vraiment conscience ? Grave. Attendons les résultats de l enquête? Le prestataire Italien à annoncé “qu il en prenais l entière responsabilités “. Je lui répondrais ” mais pas tout à fait! “. Il faudra bien que les enquêteurs soient extrêmement “curieux” mais il faut attendre … mais je pense que cela va être encore une histoire de genre “mauvaises connections …” Merci Thank you merci a Tous !

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