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Avec Chang’e-6, le programme lunaire chinois s’ouvre à l’international

Le programme Artemis de la NASA n’est pas le seul programme spatial ambitieux du moment.

L’humanité a toujours été fascinée par la Lune. Depuis des millénaires, elle occupe une place centrale dans de nombreux folklores, et les terriens ne cessent de la scruter sous tous les angles. On pourrait donc penser que les chercheurs connaissent déjà parfaitement notre satellite ; mais paradoxalement, il reste une zone d’ombre conséquente, à savoir sa face cachée.

Pour rappel, notre satellite est dans une situation de rotation synchrone avec la Terre ; cela signifie que depuis notre planète, nous voyons toujours exactement le même profil de notre voisine. L’archimajorité des missions privilégient donc la face visible, car il est nettement plus facile de l’étudier.

La face cachée, beaucoup plus difficile d’accès, est donc relativement mal connue. Aucun humain ne l’avait observée directement avant la mission Apollo 8, en 1968. Pour combler cette lacune, plusieurs agences spatiales veulent partir explorer cette région comme il se doit.

La face cachée de la Lune, une spécialité chinoise

Et à ce niveau, le programme chinois Chang’e a déjà produit des résultats spectaculaires ; en 2019, l’alunisseur Chang’e 4 est devenu le tout premier engin à se poser sur la face cachée de la Lune avec son petit rover Yutu-2.

Il y a deux ans, c’est la mission Chang’e-5 a pu s’enorgueillir d’un succès retentissant. Ce nouvel alunisseur est devenu le premier engin à ramener des échantillons de matériel lunaire sur Terre depuis Apollo 17, en 1972. Il s’agissait aussi des échantillons les plus jeunes jamais rapatriés depuis la Lune, avec environ 1,2 milliard d’années au compteur. Et ces derniers contenaient d’ailleurs des nouveaux minéraux inconnus des chercheurs.

Et la prochaine étape, sobrement baptisée Chang’e-6, s’annonce tout simplement historique. En juillet dernier, l’agence spatiale chinoise (CNSA) a annoncé un programme particulièrement ambitieux pour ce nouveau volet. Son premier objectif sera de ramener des échantillons de la face cachée de la Lune. En cas de succès, il s’agira d’échantillons à la valeur scientifique colossale. Car jusqu’à présent, tous les prélèvements lunaires provenaient de l’autre hémisphère, sans exception. N’en déplaise à David Gilmour et consorts, aujourd’hui, la Dark Side of the Moon est en train de devenir une vraie spécialité chinoise.

L’Europe sera de la partie

Et il y a aussi une dimension politique à prendre en compte. Car contrairement aux volets précédents, il s’agira d’une mission internationale. La sonde emportera en effet quatre autres engins pour le compte de prestataires européens et pakistanais. Récemment, le CNSA a d’ailleurs détaillé la nature de ces objets dans le média d’état China Daily

Nous savions déjà depuis 2019 que la France ferait partie du voyage. Le CNSA a jeté son dévolu sur le DORN, un détecteur de radon fourni par le CNES spécialement pour l’occasion. Il permettra de mesurer la concentration de ce gaz noble, considéré comme une preuve potentielle que la Lune a été formée à partir de matériel arraché à la Terre.

Nos partenaires italiens se sont aussi greffés à la mission ; ils fourniront un rétroréflecteur laser. Mais celui-ci n’a pas vocation à rejoindre la face cachée ; il permettra de mesurer la distance qui sépare la Lune de la Terre en permanence. Pour l’anecdote, il reste encore plusieurs de réflecteurs de ce genre sur notre satellite à l’heure actuelle. Ils ont été installés dans le cadre du programme Apollo et sont toujours utilisés aujourd’hui.

La Suède, de son côté, va profiter de l’occasion pour déployer son NILS (Negative Ions at the Lunar Surface). Son objectif sera de mesurer l’intensité des vents solaires réfléchis par la surface de la Lune. Enfin, la dernière place a été accordée à l’ICUBE-Q, un satellite pakistanais qui cherchera des traces d’eau depuis l’orbite.

Une mission internationale aux implications profondes

Cela pourrait paraître anecdotique, mais il n’en est rien. L’industrie chinoise a longtemps fonctionné en autarcie complète ; ces collaborations internationales ne faisaient pas partie de ses habitudes jusqu’à très récemment.

Ces accords sont donc significatifs. Ils représentent un signe d’ouverture et de collaboration plutôt rare avec l’aérospatiale européenne; traditionnellement, le Vieux continent est beaucoup plus proche de la NASA américaine. Et les USA tiennent beaucoup à cette prise de position symbolique; ce n’est pas un hasard s’ils essaient de rallier d’autres pays à leur cause par l’intermédiaire des accords Artemis.

Faut-il y voir le début d’un changement des rapports de forces dans cette industrie ? Il est encore trop tôt pour l’affirmer, mais il sera très intéressant de garder un œil sur cette thématique.

Le meilleur est à venir

Quoi qu’il en soit, après avoir déposé ses passagers sur leurs orbites respectives, Chang’ e-6 prendra la direction du bassin d’Aitken. C’est une zone iconique du pôle sud qui présente un gros cratère unique en son genre. Il est suspecté d’être l’un des plus anciens de toute la surface lunaire.

Le rover va donc procéder à plusieurs prélèvements de sol. Ils seront ensuite placés dans un microlanceur qui rejoindra un autre engin préalablement placé en orbite. C’est cette capsule qui se dirigera vers la terre pour rapatrier les échantillons.

Ceux qui ont suivi les péripéties de Perseverance sur Mars auront probablement remarqué la ressemblance avec la mission Mars Return Sample de la NASA (voir notre article). Mais cette dernière ne rapportera pas de matériel avant 2030 au plus tôt. Si Chang’e-6 atteint ses objectifs en 2025, il s’agira donc d’une mission de référence. L’Oncle Sam pourra s’inspirer pour récupérer sa poussière martienne — même s’il ne l’entend certainement pas de cette oreille, connaissant l’ampleur des tensions diplomatiques entre les deux nations.

© NASA

Et il ne s’agira que d’un début ; à partir de là, le programme va encore passer à la vitesse supérieure. Les missions suivantes seront concentrées sur l’objectif prioritaire des Chinois dans l’espace, à savoir la colonisation lunaire. En effet, le pays de Xi Jinping affiche ouvertement son ambition de construire une base permanente sur le sol lunaire. Chang’e-7 et 8 devront en effet tester des technologies novatrices qui permettront de s’installer durablement sur notre satellite.

Autant dire que les amoureux de l’espace auront de quoi faire lors des prochaines années. Le programme chinois commence à devenir tout aussi fascinant que les efforts de colonisation américains. Il conviendra donc de prêter une attention toute particulière à cette nouvelle course à l’espace qui pourrait bien conditionner une part significative de la géopolitique de demain.

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