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Des villes spatiales dans des astéroïdes ? Ça pourrait marcher… en théorie

Quand des chercheurs surmenés s’accordent une petite récréation en pleine pandémie, cela donne des papiers aussi étonnants que fascinants.

Pendant les confinements liés à la pandémie, chacun s’est diverti comme il le pouvait. Certains se sont mis à la cuisine, à la broderie, à la programmation… et pour certains chercheurs, cette période de flottement a aussi été l’occasion de prendre une petite récréation en écrivant sur des sujets un brin moins sérieux que d’habitude, mais assez exotiques et tout à fait fascinants.

C’est le cas d’un nouveau papier de l’Université de Rochester ; ses auteurs ont imaginé un concept de cosmo-métropole construite sur la carcasse d’un astéroïde.

L’idée est partie d’un incontournable de la science-fiction, à savoir les colonies spatiales à grande échelle. Le sujet a été abordé à d’innombrables reprises dans presque tous les classiques du genre. On pense notamment au fameux Cylindre O’Neill (voir notre article).

Le Cylindre O’Neill, un classique de la science-fiction

Cette structure a été proposée en 1976 par le physicien du même nom dans son livre The High Frontier : Human Colonies in Space. Elle consiste en un énorme cylindre suspendu dans l’espace. La partie centrale a vocation à héberger des habitations, des bâtiments de service, des espaces verts… un petit échantillon de Terre enroulé sur lui-même, en somme.

L’ensemble serait subdivisé en deux cylindres distincts, qui tournent dans le sens opposé. Cela permettrait de générer une force centrifuge dont les effets seraient comparables à ceux de la gravité terrestre ; un élément indispensable pour permettre aux occupants de se tenir debout sur toute la face intérieure du cylindre.

L’idée est très élégante, si bien qu’elle a séduit des tas d’artistes, de scénaristes et même d’ingénieurs. Mais jusqu’à présent, personne n’a réussi à proposer ne serait-ce que des pistes concrètes pour concevoir une telle structure. C’est un défi technique aux proportions dantesques ; à l’heure actuelle, nous ne serions même pas capables de rassembler la quantité inimaginable de matières premières nécessaires. Et c’est sans parler de la conception, de l’assemblage, de l’acheminement…

C’est une problématique qui fascine les équipes de l’Université de Rochester. Car même si nous sommes encore très loin de la faisabilité pratique, l’idée commence à devenir de plus en plus tangible, notamment grâce aux efforts de colonisation spatiale très médiatisés d’Elon Musk et consorts.

Une expérience de pensée pour chercheurs surmenés

Un soir de pandémie, les chercheurs surmenés se sont donc accordé une petite récréation au milieu de cette fichue pandémie. Ils ont commencé à réfléchir à une version plus moderne Cylindre O’Neill. « À l’origine, ce projet était simplement une manière d’évacuer la pression, de mettre de côté le stress du monde avoisinant, et d’imaginer quelque chose de fou », explique Peter Miklavčič, doctorant en ingénierie mécanique.

Mais il ne s’agissait pas seulement d’un simple échange de divagations entre passionnés ; déformation professionnelle oblige, ils ont abordé cette question comme une véritable étude scientifique en bonne et due forme. Et au fil du débat, ils ont identifié une hypothèse très intéressante : pourrait-on utiliser des astéroïdes pour construire des cylindres O’Neill ?

L’idée peut paraître saugrenue — et c’est le cas ! Mais elle repose pourtant sur des bases conceptuelles très sérieuses. Pour commencer, il y a la question des matériaux abordée plus haut. Il semble difficilement concevable d’envoyer des dizaines de millions de fusées vers l’espace pour y acheminer des milliards de tonnes de matériel ; mais pourquoi prendrions-nous la peine de le faire si toutes les ressources sont déjà disponibles sur place ? Dans le concept imaginé par Miklavčič et ses co-auteurs, les futurs colons pourraient trouver tout ce dont ils ont besoin directement dans l’astéroïde ciblé.

C’est une chose de trouver les ressources nécessaires ; c’en est une autre d’assembler un immense cylindre à partir de millions de mètres cubes de roche. Il s’agit évidemment d’un autre défi encore plus gigantesque. On ne pourra pas se contenter de creuser un astéroïde ; puisqu’il faudrait faire tourner la structure pour générer de la gravité artificielle, la roche se disloquerait assez rapidement. De plus, de très nombreux astéroïdes sont en fait des amas de débris à peine cohérents.

Mais il en fallait plus pour décourager ces professionnels en pleine expérience de pensée. Ils ont trouvé une parade très enthousiasmante grâce à l’expertise de Miklavčič.

Un méga-filet à astéroïdes en fibre de carbone

En général, l’intéressé travaille sur les systèmes granulaires. Ce terme désigne les substances composées de très nombreux grains de petite taille, comme le sable. Plus précisément, il s’intéresse à la façon dont des systèmes se comportent en l’absence de gravité. Ses travaux les plus récents portaient par exemple sur la dispersion des poussières suite à l’atterrissage d’une sonde.

Or, il se trouve qu’à ces échelles énormes, les débris d’un astéroïde broyé peuvent être considérés comme un système granulaire. Miklavčič a donc pu y appliquer les simulations mathématiques avec lesquelles il travaille au quotidien. Cela lui a permis d’arriver à une idée folle ; il suggère d’utiliser un énorme sac en fibre de carbone !

Pour rappel, il s’agit d’un composé ultrarésistant à base de nanotubes de carbone enchevêtrés. Selon les chercheurs, nous disposons déjà de la technologie pour construire un filet assez résistant pour envelopper et supporter toute la masse d’un astéroïde.

© Miklavčič et al.

En théorie, il suffirait donc de capturer un astéroïde déjà finement moulu dans ce fameux sac, puis de le mettre en rotation. La force centrifuge ainsi générée pousserait tous les débris vers les parois du sac. Ils pourraient alors s’agglomérer en une couche compacte et épaisse qui définirait la structure de base du cylindre. Un astéroïde d’environ 300 mètres de diamètre pourrait ainsi permettre de former une surface habitable d’environ 57 km².

Un autre avantage de ce concept provient directement du matériel utilisé. En effet, la roche qui compose les astéroïdes est un excellent bouclier contre le rayonnement cosmique. C’est très intéressant dans le cadre de la colonisation spatiale ; car s’ils ne sont pas protégés de ces flux de particules, les futurs colons seront soumis en permanence à une dose de radiations importante. À terme, cela se traduirait par des cancers, maladies neurodégénératives, et ainsi de suite. Rien de très encourageant pour la pérennité d’une telle installation.

Une idée fascinante, mais encore loin de se concrétiser

Évidemment, nous sommes encore excessivement loin de s’approcher ne serait-ce qu’un petit peu de cette éventualité. Les auteurs de ces travaux les décrivent volontiers comme « sauvagement théoriques », et « à la frontière de la science et de la fiction ». « Personne ne va construire une ville dans un astéroïde de sitôt », insistent Miklavčič et ses collègues… en laissant quand même une petite porte entrouverte pour les plus rêveurs d’entre nous.

« …mais les technologies nécessaires pour accomplir ce type d’ingénierie ne brisent aucune des lois de la physique », expliquent-ils. « L’idée de villes-astéroïdes pourrait sembler extrêmement distante, mais d’un autre côté, il faut réaliser qu’en 1900, personne n’avait encore fait voler un avion. »

« Et pourtant, à ce moment précis, des milliers de personnes sont confortablement installées dans des sièges alors qu’ils foncent à des centaines de kilomètres-heure, à des lieues au-dessus du sol. Alors les villes de l’espace sont peut-être encore un fantasme, mais l’histoire montre qu’un petit siècle de progrès peut rendre des choses impossibles possibles. » Reste à voir si certains d’entre nous seront encore là pour en profiter !

Le texte de l’étude est disponible ici.

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