Chaque discipline a ses stars. Du côté du ballon rond, on peut citer Lionel Messi, le septuple Ballon d’or qui vient de compléter son armoire à trophées avec une Coupe du Monde remportée hier soir face à la France. Le petit monde de la VR a aussi ses célébrités, à commencer par l’inamovible John Carmack.
Ce développeur est arrivé sur le devant de la scène en fondant id Software. Il s’agit d’un studio mythique où il a officié en tant que développeur principal. Sous sa houlette, id a produit des titres historiques tels que Wolfenstein 3D, Doom ou encore Quake. Ses moteurs ont ensuite été réutilisés dans d’autres jeux de premier plan. On peut citer Half-Life, Call of Duty ou Medal of Honor. Il est donc le grand père spirituel d’un pan entier du patrimoine vidéoludique.
Un pionnier de la réalité virtuelle
En 2013, il s’est pris d’amour pour une niche technologique fascinante où tout restait encore à construire : la réalité virtuelle. Il a pris une décision radicale. Terminé, id Software, et bonjour Oculus VR, nouveau fer de lance de cet écosystème balbutiant.
Un an plus tard, en 2014, l’entreprise a été rachetée par un Mark Zuckerberg en pleine bourre ; avec les ressources financières conséquentes de Facebook et un visionnaire aux manettes, Oculus était parfaitement positionné pour régner en maître sur l’écosystème VR.
Cette collaboration a produit des résultats impressionnants ; presque dix ans après, Facebook — qui a été renommé Meta entre temps — est effectivement l’un des géants de la réalité virtuelle. Ses casques Meta Quest font aujourd’hui partie des références absolues en la matière. Et la firme veut encore passer à la vitesse supérieure avec son futur Meta Quest Pro. Nous avons d’ailleurs pu tester lors du Meta Connect 2022 (voir notre article).
Ce succès, Meta le doit en grande partie à l’expertise technique phénoménale de Carmack. Vu de l’extérieur, on pouvait donc penser que l’idylle était partie pour durer. Mais il s’agissait en fait d’un écran de fumée ; ce week-end, un article du New York Times a annoncé que le grand manitou de la VR avait plié bagage.
Le Zuck’ n’a d’yeux que pour le métavers
Il a ensuite détaillé les raisons de ce départ très remarqué sur Twitter. Pour expliquer cette rupture, il invoque en premier lieu une différence de philosophie avec l’incontournable Mark Zuckerberg.
Ce dernier s’est récemment trouvé une nouvelle passion avec le fameux Métavers. Pour rappel, ce terme nébuleux désigne un écosystème entièrement persistant, exclusivement virtuel, où les utilisateurs pourraient s’adonner à des tas d’activités par l’intermédiaire d’un casque VR.
Depuis quelques mois, Meta a fait de ce métavers sa priorité absolue. Et cela s’est fait aux dépens de l’évolution de la technologie VR en elle-même. Le groupe s’est mis à débourser milliard après milliard pour alimenter la nouvelle lubie de son dirigeant – et pour convaincre le public et les entreprises de sa pertinence.
Mais Carmack, en revanche, n’était absolument pas convaincu par cette stratégie ; ce qu’il voulait, c’était avant tout pousser le développement technologique de la VR. Avec l’objectif de se rapprocher encore davantage du véritable photoréalisme.
Il explique avoir régulièrement argumenté dans ce sens ; mais le moins qu’on puisse dire, c’est que cette démarche n’a pas produit les effets escomptés. Il aurait systématiquement été débouté, voire ignoré par les responsables des différents projets.
Fatigué de trouver porte close, il aurait donc décidé de claquer la porte. « Il y a un écart considérable entre moi et Mark Zuckerber sur diverses questions stratégiques. Donc je savais que ce serait particulièrement frustrant de continuer à promouvoir mon point de vue en interne », explique-t-il sur Twitter.
Dans un podcast de Lex Friedman repéré par Gizmodo, il a aussi affirmé que les pertes énormes de la branche AR/VR de Meta (plus de 10 milliards de dollars) le « rendaient malade en pensant à une telle quantité d’argent » jetée par les fenêtres. En substance, il considère donc le métavers comme une vaste usine à gaz.
Le même problème que l’ancien Twitter ?
Mais cette différence de vision à long terme n’était pas le seul point de friction ; Carmack aurait probablement conservé son poste si la branche Recherche et Développement avait fonctionné à plein régime. Or, c’était loin d’être le cas ; la firme souffre apparemment d’un énorme problème d’organisation qui ralentit considérablement les progrès techniques.
« Nous avons un nombre ridicule de personnes et de ressources, mais nous passons notre temps à dilapider nos efforts et à nous saboter nous-mêmes », a-t-il écrit dans un mémo interne récupéré par le Times. « Il n’y a aucune façon de le dire gentiment ; je pense que notre organisation travaille à la moitié de l’efficacité qui me rendrait heureux ».
Il persiste et signe sur Twitter. « J’ai toujours été assez frustré avec la façon de faire » de Meta, affirme-t-il. « Tout ce dont on a besoin pour un succès spectaculaire est là, mais ce n’est jamais assemblé efficacement. »
En lisant ces propos, on ne peut s’empêcher de dresser un parallèle avec Twitter. Pour rappel, Elon Musk avait dressé à peu près le même constat après son acquisition du réseau social. Il avait ensuite entrepris de licencier la grande majorité de ces effectifs, jugés trop peu productifs et par conséquent superflus.
On peut donc légitimement se demander s’il ne s’agit pas d’un problème systémique dont souffrent tous les GAFAM, et en particulier leurs branches américaines. C’est très difficile, pour ne pas dire impossible, à estimer en l’état. Mais si l’on se base sur les licenciements massifs récemment pratiqués par de nombreux géants du numérique, c’est tout à fait plausible. Il sera donc intéressant d’observer les éventuelles retombées supplémentaires de cette annonce.
Cap sur l’IA généraliste
Si des tas de questions subsistent quant à l’avenir du métavers, celui de Carmack semble en revanche tout tracé. Depuis le début de ses frictions avec le management de Meta, il s’est de plus en plus concentré sur son prochain projet, Keen Technologies.
Cette fois, rien à voir avec le jeu vidéo ou la VR ; cette startup travaille au développement d’une intelligence artificielle généraliste. Ce terme désigne un programme capable de réaliser les mêmes tâches d’un humain, y compris en termes de raisonnement et d’abstraction. Le Graal absolu de la recherche en IA, en somme.
Désormais libre de tout engagement avec Meta, il pourra donc se focaliser sur ce grand défi technologique. Et le moins qu’on puisse dire sur la base de son expérience chez Meta, c’est que ses nouveaux employés auront intérêt à progresser rapidement, sous peine de s’attirer les foudres du visionnaire allergique à la stagnation et au gâchis !
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