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Une intelligence artificielle a identifié 31 millions de matériaux inconnus

MG3Net sera peut-être le grand artisan d’une véritable révolution en sciences des matériaux, un peu comme AlphaFold pour les protéines.

L’objectif des chercheurs en science des matériaux est de comprendre la nature, la structure et les propriétés des substances du monde qui nous entoure. C’est une branche incroyablement vaste de la recherche scientifique ; elle est au cœur de très nombreuses révolutions techniques dans des domaines excessivement importants, autant pour la recherche fondamentale que pour le quotidien de l’humanité.

Mais aussi intéressante soit-elle, elle peut être assez ingrate à cause de sa complexité formidable. En effet, la science des matériaux est à l’intersection de très nombreuses disciplines. Pour comprendre la matière, il faut explorer ses propriétés chimiques, mécaniques, thermiques, électriques… Cela implique de s’appuyer sur des équipes de spécialistes qui disposent de compétences poussées dans de nombreux domaines.

C sont des travaux de fond extrêmement fastidieux qui ont tendance à produire de petites avancées incrémentales. Les révolutions sont donc assez rares dans ce domaine… du moins, pour le moment. Car ces dernières années, les chercheurs ont suivi avec intérêt la montée en puissance d’un outil très prometteur dans le cadre de cette activité : l’intelligence artificielle.

Cette technologie fait des merveilles lorsqu’il s’agit de travailler avec des phénomènes trop subtils ou complexes pour le cerveau humain. Elle a déjà conduit à des avancées spectaculaires en recherche fondamentale. On peut par exemple citer AlphaFold, l’incroyable algorithme de DeepMind ; il a complètement révolutionné le quotidien des spécialistes en proposant une énorme base de données de la structure 3D des protéines humaines (voir notre dossier ci-dessous).

L’AlphaFold des matériaux

Désormais, les chercheurs en sciences des matériaux espèrent parvenir à une avancée comparable dans leur domaine grâce à l’IA. Et l’idée est extrêmement séduisante, car ils pourraient utiliser les mêmes qualités de ces algorithmes qui ont déjà permis à AlphaFold de faire son office.

On pense notamment à leur puissance combinatoire. Dans le cas d’AlphaFold, l’IA a pu tester des milliards de combinaisons et de possibilités pour déterminer les fameuses structures 3D des protéines. Et surtout, elle a pu le faire à une vitesse incroyable, bien supérieure à tous les algorithmes traditionnels basés sur la force brute.

Ici, c’est un peu la même idée. Sur le papier, une IA pourrait explorer des tas de façons d’arranger les atomes pour identifier les propriétés physiques et chimiques des matériaux. Elle pourrait ainsi permettre d’en améliorer certains, ou même de prévoir les propriétés de nouvelles substances encore inconnues.

Et c’est précisément ce qu’a réussi à faire une équipe de l’Université de Californie à San Diego avec M3GNet, un outil basé sur l’IA. Son objectif : construire un catalogue de matériaux un peu particulier. Ils pourraient tous exister en accord avec les lois de la physique; mais ils n’ont jamais été identifiés et restent donc hypothétiques.

La proximité conceptuelle avec AlphaFold est évidente ; si évidente, en fait, que les auteurs de ces travaux y font explicitement référence dans leur papier. On se retrouve donc avec un véritable « AlphaFold des matériaux », dixit Shyue Ping Ong, co-auteur de l’étude.

31 millions de matériaux inconnus simulés

Comme toujours avec ces algorithmes, il a d’abord fallu l’entraîner. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur l’immense base de données du Materials Project. C’est un projet de recherche dont l’objectif est de construire une vaste encyclopédie des matériaux et de leurs propriétés.

Ces informations ont été décortiquées par le programme, qui les a ensuite croisées et recombinées de toutes les façons possibles et imaginables. C’est un peu comme démonter une construction en LEGO pour en assembler de nouvelles à partir des mêmes pièces.

© Robby McCullough – Unsplash

Et au terme de cet entraînement, comme le bijou algorithmique de DeepMind, M3GNet a frappé un grand coup. Les chercheurs ont pu en extraire une immense liste de plus de 31 millions de matériaux hypothétiques, avec leurs structures et leurs différentes propriétés. Et parmi eux, environ 1 million serait parfaitement stable en théorie.

Tous ces résultats ont été compilés dans une base de données en ligne baptisée matterverse.ai. Et il s’agit d’une ressource qui pourra être très utile. La plupart de ces matériaux hypothétiques n’aura pas vraiment d’intérêt pratique ; mais ce catalogue pourrait aussi abriter des perles rares aux propriétés exceptionnellement intéressantes dans certaines situations.

Un potentiel colossal pour la recherche fondamentale

Si des chercheurs ont besoin d’un matériau qui présente des propriétés bien précises, ils pourront se servir de cette liste pour trouver des exemples relativement proches, puis tenter de les synthétiser. Et il ne s’agit pas seulement d’exploration. Une fois mature, cette approche aura vraisemblablement des débouchées très concrètes.

Ong cite notamment l’exemple des batteries. « On s’intéresse souvent à la vitesse de diffusion des ions de lithium dans une batterie Li-ion. Plus elle est rapide, plus on peut la charger et la décharger vite. Or, M3GNet peut être utilisé pour prédire la conductivité au lithium d’un matériau avec une bonne précision », explique-t-il.

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© Michel Jarmolul – Pixabay

Et il ne s’agit que de la pointe émergée d’un immense iceberg. En théorie, cette technologie pourrait supprimer une part non négligeable de l’exploration hasardeuse qui handicape encore ces travaux. De quoi accélérer considérablement la recherche dans ce domaine. « Nous pensons vraiment que M3GNet est un outil transformatif qui va grandement étendre notre capacité à explorer la chimie et la structure des nouveaux matériaux », conclut Ong.

Et le plus intéressant, c’est qu’il ne s’agit que d’un début. Ong et son équipe comptent augmenter massivement le nombre de matériaux simulés, mais aussi le nombre de propriétés prédites. Cela permettra de se concentrer sur ceux qui présentent un vrai potentiel concret pour la recherche fondamentale ou l’industrie.

Il sera donc très intéressant de suivre l’évolution de MG3Net. Car s’il n’est pas encore tout à fait au même stade de maturité opérationnelle qu’AlphaFold, il affiche un potentiel tout aussi important. D’ici quelques années, cet outil et ses équivalents pourraient bien changer radicalement la façon de travailler des chercheurs en science des matériaux, avec des avancées remarquables dans d’innombrables domaines à la clé.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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