La question du contrôle des organismes vivants a toujours fasciné les chercheurs. Ces dernières décennies, ces travaux ont produit des résultats spectaculaires ; des spécialistes ont déjà réussi à contrôler les mouvements de plusieurs espèces. On peut citer des mites, des scarabées, des rongeurs et même des pigeons.
Certains observateurs se demanderont forcément quel est l’intérêt de faire subir de tels traitements à des êtres vivants. Et s’il est vrai que certains de ces travaux ont parfois flirté avec certaines limites éthiques, il s’agit pour la plupart d’études fascinantes qui renseignent les spécialistes sur le fonctionnement du système nerveux et les mécanismes de la cognition chez les espèces concernées.
Parfois, il s’agit même de projets qui pourraient sauver des vies. On peut par exemple citer ce cafard télécommandé (voir l’article ci-dessous), qui pourrait aider à secourir les victimes en cas de catastrophe naturelle.
Le point commun de tous ces travaux, c’est que ces systèmes fonctionnent en « piratant » le système nerveux du cobaye. Cela implique d’accéder physiquement au système nerveux. C’est assez facile dans le cas du cafard cité ci-dessus; il suffit d’appliquer une minuscule stimulation électrique au niveau des antennes.
Mais c’est beaucoup plus compliqué pour d’autres espèces, en particulier pour les rongeurs et les oiseaux. Il faut alors utiliser des systèmes extrêmement invasifs pour accéder directement au système nerveux central. Dans le cas d’une souris, cela implique généralement de percer la boîte crânienne pour appliquer des électrodes au contact du cerveau.
Pirater le système nerveux avec des protéines
Récemment, des chercheurs japonais de l’Osaka Metropolitan University ont exploré une technique très différente ; ils ont réussi à contrôler un ver à distance en utilisant de la lumière et un zeste d’ingénierie génétique.
Le ver en question est baptisé Caenorhabditis elegans, et c’est une véritable star de la recherche en biologie. C’est un organisme modèle qui a déjà servi de base à des tas de travaux révolutionnaires ; une petite recherche sur le moteur académique Google Scholar montre qu’il a été cité dans plus d’un million de publications scientifiques.
Pour le contrôler à distance, les chercheurs ont utilisé des protéines qui appartiennent à une catégorie bien particulière : les opsines. Elles existent un peu partout dans le vivant, où elles sont impliquées dans des tas de réactions métaboliques en lien avec la lumière. On les retrouve par exemple dans les photorécepteurs qui tapissent le fond de notre œil.
Les chercheurs ont commencé par isoler deux de ces opsines. La première provient d’un moustique, et répond à la lumière verte. La seconde est originaire de la glande pinéale d’une lamproie, et réagit à la lumière ultraviolette.
Elles n’ont pas été choisies au hasard ; les auteurs les ont sélectionnées pour leur appartenance à une grande famille de récepteurs cellulaires, baptisée RCPG (ou récepteurs couplés aux protéines G). Ces derniers jouent un rôle prépondérant dans la communication cellulaire. En pratique, ils sont à la base de nombreux processus qui permettent de percevoir des stimuli à base d’hormones ou de neurotransmetteurs.
Or, il se trouve que la physiologie de C. elegans repose également sur ces fameux RCPG. Les chercheurs ont donc utilisé plusieurs techniques de bio-ingénierie pour introduire ces opsines dans le ver, afin qu’elles stimulent les cellules sensorielles qui lui permettent normalement d’éviter le danger.
Une technologie impressionnante au potentiel bien mystérieux
Et le résultat s’est révélé assez impressionnant. Lorsque les chercheurs ont soumis le ver à un faible rayonnement UV, les opsines de lamproies ont réagi en stimulant ce centre nerveux ; C. elegans s’est donc arrêté net. Et lorsqu’ils ont stimulé l’opsine de moustique en le soumettant à de la lumière verte, il s’est remis en route immédiatement.
Ce cycle a pu être répété à de nombreuses reprises, ce qui indique que le système est stable et que les protéines n’ont pas été progressivement détruites au fil des stimuli.
Les auteurs considèrent qu’il s’agit d’une avancée majeure en optogénétique, la discipline qui rassemble les études basées sur des protéines photosensibles dans des organismes vivants. À terme, ils pourraient contribuer à faire émerger de nouveaux outils très intéressants pour mettre en évidence des mécanismes physiologiques particulièrement mystérieux.
Les auteurs suggèrent même que ce progrès pourrait conduire à la découverte de nouveaux médicaments ; mais ils ne précisent pas dans quel contexte. Et il faut avouer que pour l’instant, les implications concrètes de ces travaux dans ce domaine sont encore peu claires. Quoi qu’il en soit, ils auront au moins la satisfaction d’avoir pu télécommander des petites bêtes rampantes !
Le texte de l’étude est disponible ici.
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