Depuis les débuts de l’aérospatiale et même de l’aéronautique en général, la question de l’atterrissage a toujours été l’une des principales préoccupations — pour des raisons évidentes. Et lorsqu’il s’agit de se poser sur une autre planète, cela implique généralement des défis techniques très importants. Mais la NASA ambitionne désormais de changer cet état de fait ; au lieu de s’embêter à développer de systèmes sophistiqués pour poser ses appareils délicatement, elle envisage désormais… de les laisser percuter le sol à toute vitesse.
À l’heure où ces lignes sont écrites, l’agence spatiale américaine a déjà posé neuf véhicules différents sur la Planète rouge. On peut par exemple citer les célèbres rovers Curiosity et Perseverance, qui arpentent ses plaines cramoisies en ce moment même.
Mais à chaque fois, les ingénieurs ont dû doter ces véhicules de systèmes divers et variés pour ralentir leur chute ; une condition indispensable pour leur éviter d’être immédiatement pulvérisés à l’impact. L’agence a exploré plusieurs méthodes, comme des parachutes sophistiqués ou des airbags géants.
Des approches qui ont fonctionné jusqu’à présent ; mais le souci, c’est que cela demande énormément de travail aux ingénieurs. Ils doivent réaliser des tas de modélisations et de tests poussés pour garantir la survie du précieux paquetage… et la NASA commence à se demander si tous ces efforts sont bien nécessaires.
Un saut de l’ange spectaculaire
C’est de ce questionnement qu’est né le Simplified High Impact Energy Landing Device, ou SHIELD (« Bouclier » dans la langue de Shakespeare). Il s’agit d’un atterrisseur expérimental sans aucun système de freinage embarqué ; à la place, il est conçu pour absorber un impact très violent après avoir foncé tête baissée vers la planète ciblée.
Pour y parvenir, la NASA s’est appuyée sur l’expertise de Velibor Ćormarković, un ingénieur du célèbre Jet Propulsion Lab qui a mené une longue carrière dans l’industrie automobile en tant que spécialiste des crashs tests.
Pour protéger l’engin, il a imaginé une structure en accordéon positionnée sous la capsule. Elle est conçue pour se replier sur elle-même à l’impact ; cela permet d’amortir la violence de la collision pour protéger la partie importante du véhicule — un peu comme la partie avant d’une voiture moderne qui s’écrase pour protéger l’habitacle lors d’un choc frontal.
Intuitivement, cela pourrait sembler impossible ; rappelons qu’un objet en orbite autour de Mars se déplace à environ 24 000 km/h ! Et jusqu’à preuve du contraire, l’humanité n’est absolument pas capable de construire un engin capable de survivre à un impact aussi violent. Mais heureusement, les ingénieurs peuvent compter sur l’atmosphère martienne.
Même si elle est beaucoup moins dense que celle de la Terre, elle oppose tout de même une résistance significative lorsqu’un engin s’approche à une telle vitesse. En pratique, un véhicule comme le SHIELD ne percuterait donc pas Mars à 24 000 km/h ; il la toucherait à un peu moins de 200 km/h. Une vitesse certes importante, mais beaucoup plus raisonnable lorsqu’il s’agit de protéger les instruments logés dans la capsule.
Un test concluant
Après avoir assemblé un prototype, l’équipe a cherché à reproduire ces contraintes sur Terre. Pour ce faire, ils ont tout simplement hissé le SHIELD en haut d’une tour de 27 mètres de haut — une version verticale d’une zone de crash test, en somme. Cette hauteur a permis à l’engin de percuter une plaque d’acier en contrebas à 177 km/h — une vitesse plus ou moins équivalente à celle d’un orbiteur martien après son grand plongeon.
L’impact a été très violent ; d’après l’accéléromètre embarqué, le SHIELD a subi une force d’environ 1 million de newtons. Mais lorsqu’ils ont ouvert la capsule, les ingénieurs ont eu le plaisir de constater que toute l’électronique était encore parfaitement fonctionnelle. Même le smartphone qu’ils y ont placé par curiosité a survécu ; seuls quelques morceaux de plastique peu importants ont cédé.
Ce test a donc été un grand succès ; il a prouvé que le concept était viable, et l’équipe d’ingénieurs va désormais peaufiner le SHIELD pour l’adapter sur de véritables véhicules martiens. Et même si cette approche n’est pas forcément adaptée à toutes les missions, il y a de quoi être très enthousiaste à ce sujet.
Vers un nouveau standard ?
Comme mentionné en début d’article, la rentrée atmosphérique et l’atterrissage sont typiquement des phases très délicates de chaque mission interplanétaire. Le fait d’équiper d’autres engins d’un tel système pourrait considérablement faciliter cette étape. Cela permettrait à l’agence d’économiser du temps, des efforts et des ressources. Le SHIELD pourrait donc rendre les missions martiennes beaucoup plus abordables.
De plus, avec cette approche, un engin pourrait virtuellement atterrir (ou plutôt, s’écraser) n’importe où, même dans des zones très accidentées. Un avantage considérable par rapport aux systèmes actuels ; ces derniers doivent sélectionner des zones à la topologie adéquate, sans relief susceptible de perturber l’atterrissage.
« Nous pensons pouvoir atteindre des zones à la topologie vicieuse, où nous ne prendrions pas le risque d’envoyer un rover à plusieurs milliards avec nos systèmes actuels », explique Lou Giersch, pilote du projet au Jet Propulsion Laboratory de la NASA. « Peut-être que nous pourrions même en envoyer plusieurs dans des zones difficiles d’accès pour construire un réseau », suggère-t-il.
La cerise sur le gâteau, c’est que le SHIELD pourrait même servir sur d’autres planètes ; la seule vraie contrainte, c’est qu’il y a besoin d’une atmosphère au moins aussi dense que celle de Mars. « Si nous pouvons réaliser cet atterrissage “à la dure” sur mars, nous saurons que le SHIELD pourrait fonctionner sur d’autres planètes ou lunes avec des atmosphères plus denses », se réjouit Ćormarkovic.
Il sera donc très intéressant de surveiller l’avancée de ces travaux ; d’ici quelques années, la NASA organisera probablement une mission de test en conditions réelles qu’il ne faudra rater sous aucun prétexte.
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