SI les musées d’histoire naturelle ont autant de succès, c’est en grande partie grâce à leurs reconstitutions grandeur nature d’animaux aujourd’hui disparus, comme le célèbre mammouth laineux. Et il n’y a pas que les enfants et les mordus d’histoire naturelle qui s’y intéressent ; l’entreprise américaine Colossal Biosciences (CB) cherche même à les ressusciter grâce à leur ADN. Et d’après un communiqué repéré par The Intercept, elle peut désormais compter sur le soutien financier de… la CIA.
Colossal Biosciences, c’est une entreprise basée au Texas qui s’est fixé un objectif très ambitieux : ramener des animaux disparus à la vie à grands coups d’ingénierie génétique. Sa cible principale est l’iconique mammouth laineux, l’ancêtre venu des éléphants d’aujourd’hui. Mais elle envisage aussi de travailler sur d’autres espèces célèbres, comme le diable de Tasmanie ou le dodo.
De la fiction à la réalité
Un programme qui semble tout droit sorti de la science-fiction ; et en un sens, c’est effectivement le cas. Malgré les progrès impressionnants de la bio-ingénierie, l’humain est encore incapable de redonner vie à une copie conforme de ces animaux tels qu’ils existaient à leur époque. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il existe une filiation génétique évidente avec les éléphants actuels.
Ils espèrent donc les reproduire à l’identique – ou presque. Leur idée repose entièrement sur la technologie CRISPR, ces fameux « ciseaux moléculaires » qui ont révolutionné la biologie jusque dans ses fondements — avec un Nobel à la clé pour la Française Emmanuelle Charpentier et son homologue Jennifer Doudna.
Cette technologie permet de pratiquer des incisions dans une séquence d’ADN afin d’en supprimer certains éléments ou, au contraire, d’y insérer une autre séquence d’acides nucléiques. Très vulgairement, c’est donc un outil très puissant qui permet aux chercheurs d’éditer les gènes d’une cellule ciblée à loisir. Et c’est précisément ce qu’ils comptent faire avec des éléphants.
Le séquençage du premier génome de mammouth, en 2008, a confirmé que le patrimoine génétique de l’éléphant moderne est encore très proche de celui de son homologue velu, disparu il y a environ 4000 ans. En théorie, il serait donc possible de comparer les deux génomes, puis de transférer les gènes manquants à un embryon d’éléphant grâce à CRISPR ; les chercheurs obtiendraient alors un éléphant génétiquement très proche de ses ancêtres.
La CIA avance ses pions
Et ces travaux pourraient bientôt passer à la vitesse supérieure grâce à un nouvel actionnaire pas comme les autres : In-Q-Tel. Il s’agit en effet d’ un fonds d’investissement créé et piloté directement par la célèbre Central Intelligence Agency.
Lorsqu’on parle de la CIA, la conversation tourne généralement autour d’histoires de renseignement, de contre-espionnage et d’opérations ultra-secrètes controversées ; il y a donc de quoi être surpris à la lecture de cette information. Pourquoi diable cette agence envisagerait-elle de ressusciter des animaux disparus ?
Les amateurs de théories du complot y verront peut-être une tentative de monter une armée de super-pachydermes, voire une force spéciale constituée de dodos de combat mutants. Mais en réalité, la CIA n’est pas spécialement concernée par les mammouths en tant que tels.
La technologie qui se cache derrière ce processus, en revanche, l’intéresse énormément ; elle pourrait en effet leur permettre de remodeler le vivant à leur guise. « La prochaine vague de progrès dans ce domaine fera progresser notre capacité à déterminer la forme et la fonction des organismes à l’échelle macroscopique », explique In-Q-tel dans son communiqué.
Si l’on se fie à ce document, le projet n’a rien à voir avec le renseignement ou le secteur militaire. Le fonds d’investissement explique que ces technologies serviront notamment à créer les biomatériaux de demain, empêcher l’extinction d’espèces menacées, améliorer la résistance des cultures au changement climatique, lutter contre des pandémies, soigner des maladies génétiques humaines… Une liste décidément très hétéroclite.
Un programme de “dé-extinction” controversé
Mais avant d’en arriver là, Colossal va déjà devoir arriver au stade de la preuve de concept. Et il s’agira déjà d’une étape importante, car la firme ne compte pas faire les choses à moitié. il ne s’agit pas seulement de ramener un seul individu à la vie, mais carrément d’en réintroduire des populations entières dans les écosystèmes modernes. Une sorte de dé-extinction, en somme.
Une démarche qui hérisse déjà le poil de nombreux observateurs. En effet, s’il s’agit d’un projet fascinant sur le plan scientifique, il faut admettre que la pertinence d’un tel projet est plus que discutable, pour un tas de raisons à la fois techniques et éthiques.
La raison la plus évidente, c’est que ce n’est pas un hasard si ces espèces n’existent plus ; le mammouth, par exemple, a disparu au même rythme que son habitat naturel… et celui-ci n’existe tout simplement plus aujourd’hui. Et rien ne garantit qu’il se sentira à l’aise dans nos toundras modernes, d’autant plus que ces dernières fondent à vue d’œil sous l’effet du réchauffement climatique.
De plus, laisser proliférer une population entière à partir d’une poignée d’organismes génétiquement modifiés est une opération très risquée. Il serait impossible de les suivre à la trace au fil des inévitables transferts génétiques qui surviendraient lors de leurs interactions avec d’autres espèces, comme des parasites.
Et il ne s’agit que d’exemples isolés ; d’autres problèmes encore plus concrets apparaîtront certainement au cours du processus. Pour toutes ces raisons, In-Q-tel et Colossal affirment qu’ils vont travailler avec le gouvernement pour « mettre en place des standards éthiques et technologiques » avant de se lancer tête baissée dans ces opérations… mais connaissant la réputation peu flatteuse de la CIA à ce niveau, il en faudra certainement plus pour convaincre les détracteurs.
🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.
C’est controversé parce que l’éthique est interrogative. Mais plus tard on verra que l’humain se fichera bien de l’éthique pour survivre. Alors je suis pour ce qu’ils veulent réaliser et ensuite qu’on laisse ces animaux tranquilles.