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Ce mini-cerveau artificiel est nul à Pong, mais parfait pour la recherche

Des mini-cerveaux artificiels de ce genre pourraient aider les chercheurs à étudier les mécanismes mystérieux que cache l’encéphale humain.

En 2021, les chercheurs une startup baptisée Cortical Labs ont fait grand bruit dans le monde de la neurobiologie. Ils ont présenté un ensemble de “mini-cerveaux” cultivés en laboratoire à partir de neurones vivants qui ont appris à jouer au célèbre jeu vidéo Pong (voir notre article).

Ces travaux étonnants ont été publiés sous une forme préliminaire en 2021 sur le serveur de prépublication bioRxiv. Ils viennent désormais de passer le cap d’ un (très) long processus de relecture par les pairs qui leur a valu une place dans Neuron, une revue scientifique de référence; une bonne occasion de se repencher sur cette expérience pas comme les autres, et surtout sur ses implications qui pourraient être très profondes.

Tout a commencé en 2013 , quand une équipe de chercheurs autrichiens ont développé le premier “mini-cerveau”. Ce terme est à la fois exact et légèrement trompeur, du moins lorsqu’on se réfère au cerveau humain. Ces objets n’ont pas grand-chose à voir avec l’organe qui occupe la majeure partie de notre boîte crânienne. Certes, ils sont aussi constitués de cellules nerveuses capables de créer des liaisons entre elles. Mais la comparaison s’arrête là; l’architecture infiniment subtile qui donne ses propriétés uniques au cerveau humain n’existe pas dans ces “mini-cerveaux”.

© Milad Fakurian – Unsplash

L’objectif des chercheurs qui travaillent sur ces objets n’est pas de créer un véritable monstre de Frankenstein. En biologie, tous les travaux qui touchent de près ou de loin au développement du cerveau et de la conscience sont très encadrés par différents comités d’éthique. L’intérêt de ces travaux, c’est surtout de pouvoir étudier in vivo certains mécanismes neurologiques complexes. Créer un mini cerveau ne revient donc pas à créer un être vivant et conscient de toutes pièces; structurellement parlant, ces objets sont beaucoup plus proches des réseaux de neurones virtuels sur lesquels se basent les programmes d’intelligence artificielle modernes.

Un neural net à base de vrais neurones

Cette analogie a donné lieu à un tas d’expériences fascinantes. C’est dans ce contexte que Brett J. Kagan et ses collègues de Cortical Labs se sont posé une question déterminante : serait-il possible de faire interagir un mini-cerveau avec son environnement, comme les chercheurs en IA le font quotidiennement avec leurs réseaux de neurones ?

Pour le savoir, ils ont collecté des cellules souches humaines et murines (de souris) qu’ils ont cultivées dans des conditions bien particulières, afin qu’elles se différencient en cellules nerveuses. Ils ont obtenu un amas d’environ 800.000 neurones, tous capables de former des liaisons (synapses). Ils l’ont baptisé DishBrain.

En parallèle, ils ont aussi dû choisir une activité qui permettait de comparer les deux systèmes; leur choix s’est porté sur Pong. Pour rappel, il s’agit d’un jeu vidéo rudimentaire où deux baguettes se renvoient une balle jusqu’à ce qu’un d’entre eux la rate, ce qui donne un point à son adversaire.

Pour un humain, le concept est simple comme bonjour : il suffit d’observer le déplacement de la balle et de positionner sa raquette en conséquence. C’est aussi très simple pour une IA, ces dernières peuvent tout simplement analyser les données produites par le jeu en temps réel. Mais c’est beaucoup plus difficile pour un amas de cellules sans yeux…

Le premier exemple d’interaction entre un mini-cerveau et son environnement

Pour permettre à ces mini-cerveaux de jouer, les chercheurs ont donc dû trouver un langage commun à ces deux supports. Par chance, il se trouve que les ordinateurs conventionnels et ces réseaux de neurones biologiques communiquent plus ou moins de la même façon. En substance, ils parlent deux dialectes différents issus d’un même langage : l’électricité.

Les chercheurs ont donc converti les informations nécessaires au jeu, comme la position de la balle et des raquettes, en signaux électriques. Ils les ont ensuite transmis au mini-cerveau par l’intermédiaire d’un ensemble d’électrodes, ill recevait un stimulus fort à chaque fois qu’il touchait la balle, et un stimulus faible et aléatoire quand il la ratait. Cette partie correspond à l’ input d’un réseau de neurones artificiels.

En réponse à ces stimuli, le mini-cerveau s’est mis à produire sa propre activité électrique. Cette dernière a été enregistrée à l’aide d’un second jeu d’électrodes, puis convertie dans l’autre sens pour lui permettre de contrôler Pong.

Comme une IA au début de son entraînement, cet organoïde artificiel ne parvenait même pas à toucher la balle. Mais après cinq minutes à peine, le réseau de synapses a commencé à s’étoffer et à se réorganiser; DishBrain s’est mis à toucher la balle régulièrement. C’est la toute première fois qu’un système de ce genre s’est montré capable d’interagir ainsi avec son environnement.

C’est remarquable, car on ne peut pas apprendre ce type d’auto-organisation”, explique Karl Friston, un neurobiologiste à l’University College London. ”Contrairement à un animal de compagnie, des mini-cerveaux n’ont aucune notion de récompense ou de punition”.

En revanche, il a atteint ses limites bien plus rapidement que les IAs joueuses de Pong. Il touchait la balle assez souvent pour permettre aux chercheurs d’affirmer qu’il ne s’agissait pas d’une série de coups de chance, mais il la ratait tout de même très souvent.

Pas une vraie IA, ni un vrai cerveau

Il y avait également une autre différence très importante entre le comportement de DishBrain et celui des IA. Les chercheurs expliquent que contrairement à ces dernières, le mini-cerveau essaie de progresser en rendant son environnement le plus prévisible possible. Une particularité qui, selon les auteurs, se rapproche plus du fonctionnement d’un vrai cerveau que d’une IA.

On se retrouve donc face à une dualité troublante avec ce DishBrain; structurellement parlant, il ressemble plutôt à un réseau de neurones artificiels. Mais fonctionnellement, il présente des similitudes troublantes avec les vrais cerveaux. Que faut-il en déduire ?

Les chercheurs de Cortical Labs, de leur côté, en ont conclu que leur DishLab était doté de sentience – c’est-à-dire capable d’éprouver des sensations subjectives. Certains de leurs homologues, en revanche, refusent tout net cette catégorisation.

En l’état, c’est un débat plus ou moins stérile, sachant qu’il existe des dizaines de définitions variées de la conscience, de la sentience et de l’intelligence. Ces travaux ne seraient-ils donc qu’un coup de communication sans intérêt de la part d’une startup en manque d’idées ? Absolument pas, et c’est même tout le contraire.

Une plateforme de recherche au potentiel énorme

Car c’est précisément cette drôle de dualité qui rend le DishBrain si intéressant. Rappelons qu’aujourd’hui, les mini cerveaux sont déjà utilisés pour étudier des mécanismes neurobiologiques; après tout, il s’agit bien d’amas de cellules vivantes. Et avec un minicerveau capable de répondre à des stimuli, il sera possible de pousser l’étude de ces phénomènes beaucoup plus loin, et même de découvrir des nouveaux mécanismes neurologiques encore inconnus.

A partir de maintenant, l’équipe compte mener des expériences avec de l’alcool et différentes autres substances psychoactives pour déterminer dans quels genres de protocoles DishBrain pourrait servir de substitut au cerveau humain. S’ils obtiennent satisfaction, il pourra peut-être devenir un outil incroyablement puissant dans la recherche contre certaines maladies neurologiques, comme Alzheimer.

Nous en sommes encore loin, et il est encore difficile d’estimer correctement le potentiel de cette technologie. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’une piste très prometteuse qui pourrait aboutir à une vraie révolution scientifique. Un peu comme l’informatique, dont le potentiel réel a mis du temps à émerger avant de transformer l’humanité en profondeur.

Il faut appréhender cette nouvelle technologie un peu comme nous l’avons fait au début de l’informatique, quand les premiers transistors étaient des prototypes bancals et peu fiables”, explique Bertt Kagan. “Après des années de recherche, ils ont fini par ouvrir la porte à de vraies merveilles technologiques aux quatre coins du monde.”

Le texte de l’étude est disponible ici.

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Source : Nature

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