Même si l’humanité s’y intéresse depuis des décennies et qu’elle prévoit d’y retourner à travers le programme Artemis, nous sommes encore bien loin d’avoir percé tous les secrets de la Lune. Jusqu’à présent, la quasi-totalité des spécialistes estimait qu’elle aurait mis plusieurs milliers d’années à se former ; une nouvelle étude remet désormais cette chronologie en question en affirmant que le processus pourrait avoir été beaucoup plus rapide.
Les origines précises de notre satellite continuent de faire débat. Aujourd’hui, la majorité des spécialistes privilégient une théorie dite « de l’impact géant ». Elle stipule que la Lune serait née d’une gigantesque collision entre la Terre juvénile et une autre planète, baptisée Théia. Les indices sont en effet nombreux ; il existe de nombreuses similitudes entre les compositions chimiques et les paramètres orbitaux des deux objets.
Selon les modèles modernes, cet objet était à peu près aussi grand que Mars, c’est-à-dire un peu plus volumineux qu’une demi-Terre. Autant dire que l’impact n’est pas passé inaperçu ; il a démoli toute une portion de notre planète. Théïa, de son côté, a été entièrement pulvérisée lors de la collision. Une partie de ce matériel est resté sur place sous la forme d’un grand océan de lave. Le reste, en revanche, a été expédié en orbite.
Le mystère de la post-collision
La suite, en revanche, est nettement plus floue ; il existe plusieurs hypothèses distinctes qui tentent de décrire la chronologie des événements survenus entre l’impact et aujourd’hui. Mais aucun n’est entièrement satisfaisant.
La piste privilégiée stipule que la Lune se serait formée petit à petit, suite à l’agglomération progressive des débris produits par l’impact, et plus particulièrement de ceux qui provenaient de Théïa. Mais là encore, plusieurs questions restent en suspens. Un exemple : si la Lune est majoritairement constituée des restes de Théïa, pourquoi les compositions chimiques de la Terre et de son satellite sont-elles à ce point similaires ?
Expliquer cette particularité s’est avéré plus difficile que prévu. D’autres chercheurs ont commencé par avancer que l’explication la plus évidente pourrait aussi être la plus pertinente : la Lune serait-elle constituée majoritairement de matériel terrestre, tout simplement ?
Malheureusement, le rasoir d’Ockham n’a pas suffi dans ce cas de figure. En effet, ce scénario se heurte pour l’instant aux conclusions d’autres études basées sur des simulations ; la plupart d’entre elles ont conclu que l’orbite lunaire serait très différente de celle qu’on connaît aujourd’hui si elle était majoritairement constituée de débris terrestres.
C’est là qu’intervient une équipe de chercheurs de l’Université de Durham, en Angleterre. Pour tenter de proposer d’autres scénarios moins contentieux, ils ont fait appel au supercalculateur COSMA pour réaliser une énorme quantité de simulations informatiques. L’objectif : modéliser la formation de la Lune dans des tas de conditions différentes.
La simulation, un casse-tête scientifique indispensable
Pour cela, ils ont joué sur des tas de facteurs comme la vitesse de déplacement et de rotation de Théïa. A chaque fois, ils ont obtenu un nuage de débris dont ils ont modélisé le comportement pour déterminer à quoi ressemblerait la Lune d’aujourd’hui dans ce cas précis. Ils ont ensuite pu vérifier la plausibilité du scénario exploré en comparant les propriétés de ce corps céleste simulé à celles de la vraie Lune ; si elles sont très similaires, les chercheurs peuvent considérer que le scénario exploré est proche de la réalité.
Or, dans une étude de ce genre, la qualité des résultats dépend directement de la précision de la simulation (c’est à dire de sa résolution). Pour s’approcher au plus près des conditions réelles, il faut donc simuler autant de particules que possible, avec tout ce que cela implique en termes de puissance calculatoire. Aujourd’hui, c’est cette dernière qui limite encore les travaux de ce genre. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils sont à la fois fastidieux et assez ingrats, car il est difficile de savoir comment progresser.
Travailler à basse résolution permet d’enchaîner les simulations rapidement. Cela produit davantage de données, certes, mais celles-ci sont alors de piètre qualité. Une résolution trop faible peut produire à des résultats fondamentalement faux, mais suffisamment convaincants pour lancer les chercheurs une fausse piste.
Et de l’autre côté du spectre, ils n’ont aucun moyen de prédire jusqu’à quel point il faut pousser cette résolution pour avoir une idée claire de la situation ; il existe toujours une possibilité qu’un petit gain de précision fasse une différence significative dans le résultat final.
Une résolution record au service d’une nouvelle hypothèse
Pour vérifier les théories les plus délicates, ils n’ont pas d’autre choix que de continuer à pousser des machines surpuissantes dans leurs retranchements pour obtenir la meilleure résolution possible. Et c’est exactement ce que les chercheurs de Durham ont fait avec le supercalculateur COSMA.
Grâce à lui, ils ont pu travailler avec une résolution record. Selon Jacob Kegerris, l’un des auteurs de l’étude, les chercheurs qui étudient la formation de la Lune travaillent généralement à une résolution de l’ordre de 100 000, voire 1 000 000 particules ; ici, ils ont réussi à en modéliser jusqu’à 100 millions — soit 100 à 1000 fois plus que toutes les études précédentes. Vous pouvez observer le résultat, visuellement somptueux, dans la vidéo ci-dessous.
Ces simulations à la précision exceptionnelle ont mis en évidence un scénario cohérent avec toutes les propriétés observables de notre Lune. Et contre toute attente, il est très différent de celui qui est privilégié aujourd’hui.
La Lune se serait formée beaucoup plus vite que prévu
Il montre que notre satellite se serait formé beaucoup plus rapidement que prévu ; le processus se serait déroulé en quelques heures à peine, et non sur plusieurs milliers d’années !
Il s’agirait d’une découverte très significative pour les planétologues. Et ses implications vont bien au-delà de la simple question de l’origine de la Lune. Son histoire est intimement liée à celle de la Terre, et par extension de la vie qui y règne ; comprendre l’histoire de notre satellite, c’est aussi comprendre comment notre planète et ses habitants sont devenus ce qu’ils sont aujourd’hui.
La prochaine étape sera donc de trouver de nouveaux éléments susceptibles de confirmer cette hypothèse, ou au contraire de défricher de nouvelles pistes. Pour s’en approcher, il faudra vraisemblablement attendre le retour d’Artemis 3.
Cette mission ramènera des astronautes sur la Lune pour la première fois depuis plus de 50 ans ; une bonne occasion de collecter des échantillons qui pourraient comporter des éléments de réponse à cette question, mais aussi nous éclairer sur des tas d’autres mystères en rapport avec la Lune. Nous vous donnons donc rendez-vous en 2025… au plus tôt, car pour l’instant, il faudrait déjà que le SLS parvienne à décoller pour lancer la mission Artemis I.
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