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La clé de l’agriculture de demain pousse peut-être sur nos têtes

Un jour, votre tignasse servira peut-être à faire pousser des salades.

À notre époque où il devient important de rentabiliser toutes les ressources renouvelables à notre disposition, les tonnes de cheveux dont nous nous séparons chaque année commencent à intéresser de plus en plus de monde. Il existe aujourd’hui plusieurs entreprises et associations qui se chargent de les collecter pour leur offrir une seconde vie.

Ces dernières années, nous avons vu émerger des concepts très intéressants ; nos toisons permettent par exemple de produire des filtres très performants, qui peuvent notamment extraire les hydrocarbures de l’eau. Mais ce n’est qu’un début ; des chercheurs de la Nanyang Technological University, à Singapour, veulent désormais transformer nos cheveux… en nourriture.

Même si certains individus ont développé un tic qui consiste à les mâchouiller, pour la majorité des gens, l’idée d’ingurgiter des cheveux volontairement n’est pas très enthousiasmante. Heureusement, ces scientifiques ne comptent pas les réutiliser tels quels. À la place, ils leur font subir un traitement chimique qui permet de les transformer en substrat de culture pour des fermes urbaines.

Une question de kératine

Cette approche semble assez contre-intuitive ; ces objets ne font pas vraiment partie des déchets qui finissent traditionnellement sur un tas de compost. Pour exploiter tout leur potentiel, les chercheurs ont dû commencer par en extraire la kératine.

Ce terme désigne une famille de composés chimiques que l’on retrouve un peu partout dans le vivant. C’est le constituant principal du bec et des plumes des oiseaux, des cornes des bovins, mais aussi de nos ongles et de nos cheveux. Ce sont des molécules en forme d’hélice qui s’enroulent les unes autour des autres pour former des liaisons chimiques. Cela produit des filaments à la fois flexibles et très résistants. C’est ce réseau qui permet à nos cheveux d’atteindre une longueur importante sans se briser.

Une représentation très simplifiée de l’architecture d’un cheveu, avec différents brins de kératine entremêlés. © ActivLong

Cette architecture a aussi d’autres conséquences ; lorsqu’ils sont compactés, les poils de tête se comportent comme un filet microscopique qui peut piéger de grosses molécules. C’est notamment pour cela qu’ils peuvent servir à fabriquer des filtres.

Du cheveu au chou chinois

Mais c’est une autre propriété qui intéresse les chercheurs singapouriens. Si l’on regarde d’encore plus près, la kératine est composée de deux acides aminés qui peuvent participer à la croissance des plantes.

Une particularité qui, sur le papier, semble très intéressante dans le cadre de l’agriculture hydroponique. C’est une technique qui consiste à cultiver non pas à même le sol, mais sur un substrat qui sert à la fois de support et de réservoir de nutriments.

Les chercheurs ont donc commencé à explorer l’idée d’un substrat hydroponique à base de cheveux. Pour arriver à ce stade, ils ont d’abord dû briser la structure moléculaire de la kératine afin de libérer ces fameux acides aminés. Mais au terme de cette étape, ils ont réalisé que la kératine n’était pas assez résistante. Seule, elle ne pouvait pas servir de substrat. Ils y ont donc ajouté des fibres de cellulose, un des principaux constituants de la paroi des cellules végétales.

Un exemple de culture hydroponique. © Princeton University

Ils ont ensuite essayé de faire pousser différentes espèces végétales sur leur nouveau matériau. Ils ont commencé par Arabidopsis, une plante qui fait partie des organismes modèles les plus communs dans les expériences de biologie végétale.

Les premiers retours étaient assez mitigés. Mais lorsqu’ils ont retenté le coup avec des cultivars alimentaires, comme le bok choy ou la roquette, ils ont obtenu des résultats très impressionnants selon le professeur Ng Kee Woei, auteur principal de l’étude.

« Les plantes ont développé des systèmes racinaires bien plus étendus dans notre substrat kératine-cellulose que dans n’importe quelle mousse phénolique » (un isolant souvent utilisé comme substrat hydroponique, NDLR), explique-t-il. « C’est un signe prometteur que les racines des végétaux peuvent pénétrer de façon très efficace dans ses substrats pour en absorber les nutriments ».

Vers une exploitation à l’échelle industrielle ?

Ces travaux pourraient avoir des retombées bien plus importantes qu’il n’y paraît pour deux raisons. En effet, l’hydroponie ressemble de plus en plus au futur de l’agriculture. Cela fait des décennies que l’humanité cherche à optimiser la rentabilité de chaque mètre carré de terre, et cette approche apparaît donc comme l’évolution naturelle des techniques traditionnelles. Chaque progrès au niveau des substrats constitue donc une avancée significative qui commence à dessiner l’agriculture de demain.

Et si ces travaux sont si intéressants, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de changer de modèle pour le principe, bien au contraire ; cette approche présente même des avantages non négligeables. Cela commence par le fait que la kératine, principal constituant de ce substrat, est extrêmement abondante sur notre planète. En plus des cheveux, il pourrait offrir une seconde vie à des tas d’autres déchets.

« Le bétail produit de grandes quantités de kératine, que ce soit dans la laine, les cornes, les sabots ou les plumes, » explique Ng Kee Woei. « Puisqu’elle peut être extraite de nombreux types de déchets agricoles, développer une hydroponie à base de kératine pourrait devenir une stratégie importante pour recycler ces déchets dans le cadre d’une agriculture durable », précise-t-il. Contrairement aux mousses phénoliques, ce substrat est entièrement biodégradable et ne laisse aucun déchet après la récolte.

De plus, il fait d’une pierre deux coups puisqu’il s’agit à la fois d’un support et d’une source de nutriments. Ce matériau est donc beaucoup plus polyvalent que les mousses habituelles ; ces dernières ont un rôle uniquement structurel, et ne peuvent en aucun cas servir de casse-croûte aux végétaux.

Et cette particularité a une autre conséquence encore plus intéressante. Les chercheurs considèrent qu’en ajustant la composition du substrat avec différents nutriments, il serait possible de produire des milieux de culture sur mesure pour optimiser la croissance de n’importe quelle espèce végétale.

Il sera donc très intéressant d’observer l’évolution de cette technique. Si l’agriculture hydroponique devient majoritaire d’ici quelques décennies, il est tout à fait possible que les substrats à base de kératine jouent un rôle significatif dans cette révolution.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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