L’invisibilité a toujours été un concept populaire dans la fiction, que ce soit dans des œuvres fantastiques comme Harry Potter avec sa fameuse cape ou dans des productions censées être plus terre à terre, comme l’Aston Martin invisible de 007 dans Meurs un autre jour.
Il y a bien eu quelques propositions intéressantes et même parfois assez impressionnantes. Mais cette technologie n’a pas encore vraiment franchi la barrière entre la fiction et la réalité — et jusqu’à preuve du contraire, elle en est même encore très loin.
Mais cela n’empêche pas des tas d’ingénieurs, en particulier dans le secteur militaire, de continuer à courir après cette technologie. En 2019, ce sont les Canadiens Hyperstealth Biotechnology qui ont proposé un concept assez bluffant, même s’il était encore loin d’être parfait.
Mais tout récemment, une autre entreprise baptisée Vollebak a présenté une innovation qui pourrait bien constituer l’une des premières étapes concrètes vers un « vrai » vêtement de camouflage actif. Elle a présenté son invention dans un communiqué de presse repéré par Wired.
Une entreprise spécialisée dans les vêtements étranges
Vollebak n’est décidément pas une entreprise comme les autres. En parcourant son site web, on découvre des tas de projets centrés autour de vêtements tous plus farfelus les uns que les autres. On peut par exemple citer leur doudoune solaire luminescente, leur imperméable « pare-balles », ou encore l’« apocalypse jacket », une veste résistante aux déflagrations et à la corrosion chimique. Et depuis trois ans environ, ils s’intéressent justement à l’invisibilité.
Ce périple n’a pas été de tout repos ; pendant un long moment, ils ont échoué dans toutes leurs tentatives de trouver une technologie susceptible de servir de base à ce produit. Mais tout a changé lorsque Steve Tidball, l’un des cofondateurs de Vollebak, a appris l’existence d’un matériau pas comme les autres.
Il explique avoir eu droit à son moment Eureka lorsqu’une connaissance lui a présenté une photo d’un matériel à base de graphène qui pouvait masquer le rayonnement infrarouge issu d’une source de chaleur — un corps humain, par exemple —, avec l’objectif de rendre l’objet en question entièrement invisible pour les caméras thermiques. « Je me suis dit : “ça doit forcément être une première étape vers l’invisibilité », raconte-t-il dans une interview à Wired.
Un mille-feuille de graphène pour dompter l’infrarouge
Le matériau en question a été développé par Coskun Kocabas, un professeur en science des matériaux à l’Université de Manchester. Il s’agit en fait d’une sorte d’écran fait de cellules (ou “pixels”) elles-mêmes constituées d’une centaine de couches de graphène.
C’est un matériau très à la mode dans plusieurs champs de recherche comme les nanotechnologies ou l’optique, car il dispose de plusieurs propriétés uniques. Il dispose notamment d’une conductivité électrique phénoménale, et cette particularité est directement exploitée par ces cellules de graphène.
Entre chaque tranche de ces “sandwichs”, les chercheurs ont fait circuler un fluide conducteur dont ils n’ont pas précisé la nature. D’après le chercheur, cet agencement permet de créer des « surfaces optiques paramétrables »; Il leur a permis de rendre chaque cellule extrêmement réfléchissante dans l’infrarouge.
https://www.youtube.com/watch?v=HJFpwDan360
En somme, lorsqu’on y applique un courant électrique, ces mille-feuilles de carbone sont convertis en véritables miroirs pour radiations thermiques. Les ingénieurs peuvent ainsi contrôler individuellement chaque pixel pour décider de la quantité de rayonnement infrarouge qui a le droit de passer.
Cela permet de faire croire à une caméra thermique qu’elle est braquée sur un objet froid et inerte, alors qu’elle regarde en fait un objet chaud dont la température est masquée par cet assemblage de graphène.
Sur les vidéos, cette approche semble fonctionner plutôt bien. Wired est donc allé consulter des spécialistes de la question pour savoir quelles implications. Et la plupart d’entre eux partageaient la même interprétation ; ils ont reconnu l’ingéniosité de l’approche, mais se montrent sceptiques quant à ses perspectives d’avenir.
La “vraie” invisibilité reste hors de portée
Car c’est une chose de dompter le rayonnement infrarouge – d’autres chercheurs s’en sont déjà approchés, comme par exemple dans ces travaux -, c’en est une autre de soumettre tout le spectre de la lumière visible à sa volonté. C’est même si compliqué qu’en 2016, une équipe de chercheurs émérites a estimé que le concept était théoriquement impossible à l’échelle d’un humain (voir cet article de recherche).
Wired a d’ailleurs retrouvé Andrea Alù, l’un des chercheurs en question ; il a préféré s’abstenir de tout commentaire, car pour l’instant, les concepteurs n’ont pas produit d’article de recherche en rapport avec leurs travaux.
Un autre chercheur explique aussi que même si les troupes de Vollebak arrivent à miniaturiser ces cellules et à recouvrir toute la surface d’un vêtement sans le moindre interstice, ils seront encore assez loin d’une “vraie” cape d’invisibilité. Il s’agirait plutôt d’une cape “caméléon”, ce qui est très différent ; dans ce cas, la personne serait encore parfaitement visible si elle se tenait devant une source lumineuse, ou si deux personnes l’observaient simultanément depuis deux positions différentes.
Pour toutes ces raisons, le co-fondateur se montre toutefois prudent quant aux délais annoncés ; il s’attend à ce que le premier vêtement d’invisibilité n’arrive pas avant une dizaine d’années. Il affirme aussi sans détour qu’en l’état, il ne s’agit encore que d’une preuve de concept. Mais malgré tout, Vollebak continue de croire en son projet. “Tromper des caméras infrarouges, ce n’est que la première partie du voyage”, explique le cofondateur.
Un positionnement un peu curieux pour Mario Pelaez-Fernandez, postdoctorant à l’Université de Lille ; il estime au contraire que ce concept de camouflage thermique pourrait déjà avoir de l’avenir en tant que tel – bien plus, en tout cas, que le fait de courir après une “vraie” invisibilité qui n’arrivera probablement pas de sitôt.
“Ils essaient de vendre leur idée comme une piste plausible vers une cape d’invisibilité… alors qu’ils ont déjà un appareil vraiment cool : une cape d’invisibilité pour les caméras thermiques”, explique-t-il. Nous vous donnons donc rendez-vous d’ici une dizaine d’années pour voir si Vollebak aura ajouté un blouson d’invisibilité à son catalogue, ou si elle aura choisi de privilégier son concept actuel.
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