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Sur Jupiter, ce motif géométrique parfait laisse les astronomes perplexes

Les géantes gazeuses sont encore loin d’ avoir livré tous leurs secrets, et ces cyclones en sont la preuve.

Les pôles de notre Terre sont immédiatement identifiables grâce aux calottes de glace qui les recouvrent en permanence, du moins tant que le réchauffement climatique ne les aura réduites à néant. Mais dans le cas de Jupiter, le paysage est beaucoup plus dynamique et également très mystérieux. Récemment, dans une étude repérée par © NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS, une nouvelle équipe d’ astronomes s’est repenchée sur un motif géométrique qu’ils ne parviennent pour l’instant pas à expliquer de manière satisfaisante.

Tout commence avec les fameux cyclones jupitériens, ces énormes tourbillons qui peuvent subsister à la surface de la géante gazeuse pendant des années. Depuis qu’ils ont été documentés par la sonde Juno en 2016, ils sont devenus l’un des spectacles favoris des astronomes; mais s’ils sont visuellement somptueux, ces vortex sont également une grande source de frustration pour les spécialistes.

© NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS

Des tourbillons particulièrement mystérieux

Et pour cause : en dépit de longues années d’efforts, les astrophysiciens sont encore bien loin de comprendre toute la dynamique qui alimente ces phénomènes en coulisse. Mais ces recherches progressent petit à petit; en janvier 2022 une équipe de recherche a confirmé que la mécanique des fluides standard, qui permet déjà de décrire des phénomènes analogues dans les océans terrestres, permettait d’expliquer une partie de ces turbulences.

Mais il ne s’agissait que d’un début. Car aux pôles, ces tourbillons adoptent un comportement pour le moins curieux. On y trouve en effet des tourbillons qui forment un motif étonnamment géométrique, avec un immense cyclone central entouré de plusieurs petits vortex – huit au pôle Nord, et six au pôle Sud.

Ce drôle d’objet a la particularité d’être extrêmement stable dans le temps; sa structure globale n’a pas bougé d’un pouce depuis qu’il a été observé pour la première fois en 2017. Et c’est très surprenant, car la rotation constante de la planète a tendance à repousser ces turbulences vers les pôles. La mécanique des fluides suggère donc qu’ils devraient soit fusionner, comme c’est le cas sur Saturne, soit s’accumuler en grandes quantités, ce qui n’est pas le cas ici.

Pour expliquer cette particularité, des chercheurs ont proposé un premier élément de réponse en 2020, quelques années avant que la dynamique des tourbillons individuels ne soit étudiée en détail (voir l’article de Physics Today).

© NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS

Plusieurs études encore incompatibles

En se basant sur la taille de ces objets (2000 à 3500km de diamètre tout de même !) et leur disposition, ils ont réalisé des modélisations qui leur ont permis de conclure que chacun de ces tourbillons pourraient chacun disposer de leur anticyclone personnel. Dans ce contexte, ce terme désigne une couche d’air qui tournerait dans la direction opposée, stabilisant ainsi la tempête dans une poche bien délimitée.

Une piste plus que prometteuse, mais les explications n’étaient ni suffisantes, ni entièrement satisfaisantes pour l’équipe d’Andrew Ingersoll, professeur de sciences planétaires au California Institute of Technology. Avec ses collègues, ils se sont donc mis en tête d’explorer cette piste plus en détail.

Ils ont donc décortiqué les images du pôle Nord de Jupiter rapportées par le spectromètre de la sonde Juno. L’objectif : suivre la trajectoire des vents à l’aide d’un ensemble d’outils mathématiques très poussés. Et la bonne nouvelle, c’est que leurs travaux rejoignaient en partie ceux de leurs prédécesseurs : ils ont réussi à prouver l’existence d’un vaste anneau anticyclonique autour du vortex principal.

Par contre, contrairement aux travaux précédents, un phénomène très important dans ce contexte manque toujours à l’appel. “Nous ‘n’avons pas trouvé la signature de convection attendue, même à la plus petite échelle spatiale”, déplorent les chercheurs. Il s’agit d’un point de friction majeur qui rend les conclusions des deux études incompatibles, du moins pour le moment.

En effet, ils estiment que ces travaux ne sont pas fondamentalement irréconciliables; par contre, il va falloir employer les grands moyens pour parvenir à une conclusion limpide. Pour commencer, ils suggèrent de mener une nouvelle étude quasiment identique, mais qui porterait cette fois sur le pôle Sud.

Une étude parallèle des tourbillons du pôle Sud de Jupiter, centrée sur l’intensité de la rotation et la stabilité, représenterait un pas dans la bonne direction”, affirment-ils dans leur papier de recherche.

De nouvelles observations à venir

En attendant, ils vont continuer à passer en revue les données produites par Juno dans l’espoir de trouver de nouveaux indices. Et s’ils s’acharnent à ce point, c’est que les implications de ces travaux sont assez profondes.

En effet, même si Jupiter est une exception dans notre système solaire, les géantes gazeuses de ce type sont légion dans l’univers. À cause de leur masse énorme, ces corps célestes sont aussi des puits gravitationnels importants qui ont une influence considérable sur leur voisinage. Par exemple, on estime que les migrations des géantes gazeuses ont déclenché un vaste chamboule-tout gravitationnel qui a joué un rôle déterminant dans la structure du système solaire tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Ces immenses réservoirs de gaz et de poussière occupent donc une place importante dans la dynamique globale de l’univers. Mais pour comprendre précisément tous les phénomènes auxquels elles participent, il faut commencer par maîtriser les tenants et aboutissants de leur fonctionnement intrinsèque – et les planétologues en sont encore bien loin.

Puisque nous sommes encore incapables de construire un appareil capable de résister aux contraintes dantesques de leurs atmosphères, la seule façon d’étudier des géantes gazeuses est de le faire de l’extérieur. C’est pour cette raison que l’étude des phénomènes comme ces tourbillons est fondamentale : ils représentent une fenêtre sur la dynamique interne de la planète.

L’avenir nous dira donc si le fait d’étudier Jupiter sous de nouveaux angles permettra de répondre à ces questions. Dans le cas contraire, il faudra peut-être se mettre à la recherche de nouveaux principes physiques encore jamais documentés pour expliquer l’incroyable régularité de ces tourbillons polaires.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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