Depuis son inauguration officielle le 12 juillet dernier, le James Webb Space Telescope rapporte régulièrement des images somptueuses de certains objets les plus iconiques du cosmos, comme la fameuse nébuleuse d’Orion (voir notre article). Mais ses dernières images proviennent d’un corps céleste beaucoup, beaucoup moins éloigné, et même situé dans notre arrière-cour cosmique ; le nouveau roi des télescopes vient en effet de tirer le portrait à Mars.
On pourrait s’attendre à ce que cette observation soit un véritable jeu d’enfant. Après tout, cet instrument a vocation à observer certains des objets les plus lointains de l’univers, avec l’objectif de remonter aux origines des premières galaxies. Et pour y parvenir, les ingénieurs se sont surpassés en accouchant d’un instrument à la sensibilité tout simplement démentielle, comme nous l’expliquait récemment l’astrophysicien Olivier Berné (voir notre dossier).
La Planète Rouge en a mis plein la vue au Webb
Ces performances lui permettent de repérer de minuscules sources de lumière localisées au fin fond du cosmos avec une aisance remarquable. Mais il y a un revers de la médaille : cela signifie que les objets les plus proches et brillants sont aussi susceptibles “d’éblouir” ses yeux infrarouges ultrasensibles. Et c’est ce qui se serait passé lors de son interaction avec la Planète rouge si les opérateurs n’avaient pas pris toutes leurs précautions.
Pour les néophytes, cette propriété ne saute pas forcément aux yeux. Lorsqu’on cherche un objet brillant dans le ciel terrestre, on a plutôt tendance à se tourner vers le Soleil. Mais Mars est pourtant l’un des objets les plus brillants que l’on peut observer dans notre ciel nocturne. Cela vaut aussi bien pour la lumière visible — celle qui stimule la rétine des humains — que pour la gamme de longueurs d’onde favorite du JWST.
Contrairement à nos yeux d’humains primitifs, ce dernier n’a que faire de la lumière visible. Ce qui l’intéresse, c’est l’infrarouge. Et à cause de sa proximité, la planète préférée d’Elon Musk brille de mille feux dans cette gamme de longueurs d’onde ; une situation qui a demandé quelques ajustements aux astronomes à l’origine de cette observation. « Mars est si brillante que le défi, c’était de la voir », explique Giuliano Liuzzi, astronome au Laboratoire des Systèmes Planétaires du légendaire Goddard Space Center de la NASA.
Pour tirer le portrait à notre voisine, le JWST a donc dû limiter au maximum la quantité de lumière qui parvenait à son capteur principal pour éviter qu’il ne sature. Concrètement, cela signifie que les chercheurs ont soumis l’instrument à des temps d’exposition très courts pour éviter qu’il ne soit complètement ébloui — un peu comme un humain qui clignerait des yeux face à une lampe torche. Ils ont aussi dû développer un tout nouveau protocole de traitement des données pour interpréter ces signaux.
Un nouveau regard sur la géologie martienne
Et ces efforts ont payé. Grâce à ces manipulations, les astronomes ont pu observer Mars avec une précision remarquable. Et surtout, la sensibilité exceptionnelle du Webb leur a permis de se focaliser sur certains des phénomènes les plus intéressants qui animent cette planète.
En effet, la résolution spectrale exceptionnelle du JWST lui permet de distinguer des événements fascinants comme des tempêtes de poussière ou des perturbations météorologiques localisées. La NIRCam — la pièce maîtresse de l’arsenal du Webb — a notamment rapporté des images intéressantes à deux longueurs d’onde différentes.
La NASA explique que la première de ces images, capturée à 2,1 µm (en haut à droite), est « dominée parla lumière réfléchie du Soleil ». Cela permet de repérer des tas de détails de la surface qui seraient autrement difficiles à capturer.
La seconde longueur d’onde explorée, à savoir 4,3 µm, révèle des informations très différentes. Ici, la teinte est directement proportionnelle à la quantité de rayonnement infrarouge ré-émise par la surface lorsqu’elle perd de la chaleur.
Cette campagne d’observation du JWST a aussi permis de montrer les capacités du télescope à réaliser de la spectroscopie grâce à un autre instrument, le NIRSpec. Ici, il ne s’agit plus de tirer le portrait de Mars à une longueur d’onde bien précise, mais de balayer une large portion du spectre ; l’objectif est de mettre en évidence les subtiles variations de luminosité provoquées par la présence de différentes espèces chimiques.
Lorsqu’elles sont traversées par la lumière, ces dernières absorbent une partie du rayonnement à des longueurs d’onde bien précise. On peut donc déterminer la composition de l’atmosphère en observant quelles portions du spectre ont été grignotées, ce qui correspond à un creux sur le graphique ci-dessus. Dans ce cas, les analyses préliminaires ont permis de montrer la présence d’eau ou de dioxyde et de monoxyde de carbone.
Ces éléments font partie de l’interprétation qui figurera dans le papier de recherche associé à ces observations. À l’avenir, les spécialistes pourront les comparer aux données rapportées par les engins consacrés à l’exploration martienne, comme Perseverance. Cela permettra d’affiner encore davantage nos connaissances sur la Planète Rouge, et peut-être même d’apporter une réponse définitive à une vieille question qui concerne le méthane.
Dans la vie basée sur le carbone telle qu’elle existe sur Terre, le méthane est l’un des principaux biomarqueurs associés à la présence d’êtres vivants. Il peut aussi être le produit d’une activité géologique particulière. Les chercheurs traquent ce gaz sur Mars dans l’espoir que ces traces les mèneront à des preuves de vie passée, ou qu’elles permettront de découvrir des trésors géologiques.
Différents rovers ont déjà repéré quelques rares traces de méthane sur place. Mais jusqu’à présent, aucun appareil de pointe n’est parvenu à tirer des conclusions claires sur sa présence à l’échelle de la planète. Même l’ExoMars Trace Gaz Orbiter, pourtant spécialement prévu à cet effet, a fait chou blanc. Avec un peu de chance, le JWST pourrait changer la donne à ce niveau — comme il l’a déjà fait pour l’observation des pouponnières stellaires. « C’est désormais notre objectif principal », conclut Liuzzi.
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