Par définition, la science est en constante évolution ; chaque jour, de nouvelles hypothèses émergent pendant que les anciennes sont débattues et détricotées par les spécialistes du monde entier. Et ce n’est pas seulement pour le plaisir de douter ; si la méthode scientifique fonctionne, c’est en grande partie grâce à ces remises en question permanentes.
Même les théories les plus solides ne sont pas épargnées ; il suffirait d’un contre-exemple particulièrement probant pour démanteler des pans entiers de la science moderne. Mais il reste pourtant certaines idées qui fonctionnent tellement bien qu’elles en sont devenues quasiment inamovibles ; on peut par exemple citer la relativité générale formalisée par Albert Einstein.
La relativité générale, un véritable roc scientifique
Ce qu’on sait du monde qui nous entoure et des lois qui le régissent, nous le devons en grande partie à cette fondation extrêmement solide ; aujourd’hui, la quasi-totalité de la physique moderne repose dessus. C’est en grande partie à cause de sa solidité remarquable.
Cela fait plus d’un siècle que les spécialistes de tous horizons dissèquent la relativité générale en espérant y trouver une faille. Mais jusqu’à présent, cette théorie centenaire demeure toujours inébranlable. La plupart des études qui tentent de prendre la relativité générale en défaut sont donc basées sur des travaux extrêmement longs et poussés.
En décembre 2021, elle a par exemple passé avec succès le cap d’une gigantesque expérience qui l’a mise à l’épreuve pendant plus de quinze ans (voir notre article). Tous les résultats concordaient parfaitement avec les prédictions du génial théoricien, jusque dans les moindres détails.
Mais ce processus de remise en question ne s’est pas arrêté là, bien au contraire. Les chercheurs continuent d’imaginer des moyens de pousser la relativité générale jusqu’à son point de rupture. Et tout récemment, les résultats d’une nouvelle expérience de ce genre viennent de tomber.
L’équipe derrière ces travaux s’est concentrée sur un point précis de la relativité générale : le principe d’équivalence faible. Très vulgairement, il stipule que deux objets en chute libre tomberont exactement à la même vitesse (c’est à dire qu’ils présenteront une accélération strictement identique) et dans la même direction s’ils sont placés dans le même champ gravitationnel — et ce indépendamment de leur forme, de leur masse ou de leur composition.
Conceptuellement, c’est une affirmation qui devrait être très simple à tester ; en théorie, il suffit de placer deux objets dans une chambre à vide, de les laisser tomber, et de chronométrer le tout. Si les deux objets touchent le sol au même moment, cela signifie forcément que le principe d’équivalence faible fonctionne, n’est-ce pas ?
L’équivalence faible validée avec une précision extrême
Pas si vite. Il se trouve que les innombrables expériences en chambre à vide répliquées par des tas de chercheurs présentaient toutes un point commun assez problématique : puisque l’humanité n’est tout simplement pas capable de recréer un vide parfait en laboratoire, il existait une part d’incertitude. Il reste toujours quelques particules d’air dans la chambre, et cette approximation n’est malheureusement plus acceptable lorsqu’il s’agit de vérifier une théorie aussi solide.
C’est là qu’interviennent les auteurs de cette nouvelle étude de l’American Physical Society. Ils ont choisi une approche différente en misant sur la plus grande « chambre à vide » à notre disposition : l’espace ! C’est ainsi qu’est né le MICROSCOPE, un petit satellite qui a servi de laboratoire pour tester le principe d’équivalence faible.
En 2016, il a décollé vers l’orbite de la Terre en embarquant deux petites masses métalliques (une en alliage de platine, l’autre en alliage de titane). Pendant deux ans, une myriade de capteurs extrêmement sensibles ont mesuré l’accélération des deux objets pour vérifier si elles étaient différentes ou strictement identiques, comme le prévoit le principe d’équivalence faible.
Les résultats de l’expérience ont révélé une différence statistiquement négligeable (de l’ordre du millionième de milliardième) entre les accélérations des deux objets. Cela signifie qu’ils se sont comportés exactement comme l’avait prévu le principe d’équivalence faible. Conclusion : la relativité générale se porte toujours aussi bien, merci pour elle.
La Théorie du Tout attendra encore
C’est un grand succès, car cela signifie que les bases théoriques avec lesquelles les scientifiques travaillent depuis des décennies sont toujours aussi solides. Mais là encore, il ne s’agit pas d’une conclusion définitive ; ces résultats permettront d’ailleurs d’imaginer des tests encore plus exigeants.
Et si les chercheurs s’acharnent à trouver la moindre brèche dans ce roc qui continue de se montrer inviolable, ce n’est pas seulement pour le plaisir de se triturer les méninges. La raison d’être de ces travaux, c’est que la relativité générale ne parvient pas à tomber d’accord avec un autre pilier de la physique moderne, le modèle standard de la physique des particules.
Chacune de son côté, ces deux théories fonctionnent exceptionnellement bien; elles permettent de décrire la plupart des phénomènes observables de façon plus que satisfaisante. Mais le problème, c’est qu’il existe des points de friction sur lesquels elles demeurent irréconciliables. Le plus connu d’entre eux est la force gravitationnelle ; elle est parfaitement intégrée à la relativité générale, mais aucun élément ne permet de l’expliquer dans le modèle standard.
Nous avons donc deux théories qui semblent à la fois quasiment parfaites, mais aussi fondamentalement incompatibles. Tout l’enjeu est donc de combler le trou béant qui existe entre les deux pour parvenir à ce qu’on appelle la « Théorie du Tout » — un modèle unifié qui permettrait de décrire l’intégralité des phénomènes physiques à partir d’un seul et même modèle, sans devoir jongler entre la relativité générale et le modèle standard.
C’est précisément pour cette raison que les chercheurs multiplient les expériences de ce type. Elles leur permettent d’assurer leurs arrières en testant les limites de leurs modèles actuels ; si les physiciens parviennent un jour à identifier une faille dans l’un d’entre eux, ils mettront probablement la main sur l’une des pièces manquantes du grand puzzle de la Théorie du Tout (voir notre article).
Mais cela demandera de gros efforts, et probablement de nouvelles technologies. Et en attendant, l’expérience de la mission MICROSCOPE restera le meilleur exemple actuel de la solidité de la relativité générale « pour au moins une décennie, peut-être deux », expliquent les auteurs de l’étude.
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Excellent article, bien vulgarisé pour comprendre ces notions scientifiques parfois un peu compliquées, merci !
Je n’arrive toujours pas a comprendre comment ce monsieur, aussi intelligent soit-il, a pu à son époque et surtout avec les moyens de son époque, trouver une théorie aussi parfaite, qui résiste à tous les tests modernes de notre temps…