Jeux vidéo : les cerveaux des joueurs se synchronisent, même à distance

Si vous avez déjà marqué un fabuleux but en équipe dans Rocket League, repris un site avec une précision chirurgicale dans Counter-Strike ou balayé votre ennemi à l’aide d’un combo collaboratif impitoyable dans MultiVersus, vous savez pertinemment que la coordination est fondamentale dans les jeux vidéo en équipe.

Et si vous avez parfois l’impression de ne faire qu’un avec nos partenaires de jeu, ce n’est pas seulement parce que vous avez l’habitude de jouer ensemble ; d’après des chercheurs finlandais, c’est aussi parce que les cerveaux des joueurs se mettent physiquement au diapason.

Le cerveau des êtres vivants, y compris les humains, présente une activité électrique rythmée. Lorsqu’on mesure l’intensité de ces signaux, on peut les décomposer en plusieurs motifs qui se répètent dans le temps ; on parle d’ondes cérébrales.

Leur étude est très intéressante pour les cliniciens. En effet, cette activité neuroélectrique est un excellent indicateur de l’état de santé physiologique et psychologique du patient. En l’ analysant par l’intermédiaire d’un électroencéphalogramme, on peut notamment identifier certains troubles neurologiques comme l’épilepsie.

Les ondes cérébrales, le mystérieux “langage” du cerveau

Mais l’intérêt de ces ondes n’est pas limité aux diagnostics. Les processus en jeu demeurent assez mystérieux; mais il a déjà été prouvé qu’elles sont directement corrélées à des tas de phénomènes pas forcément liés à une pathologie.

Par exemple, des chercheurs ont déjà montré il y a plus de dix ans que les ondes cérébrales de différents sujets avaient tendance à se synchroniser lors de certaines interactions sociales. Depuis, d’autres travaux ont prouvé que cette synchronisation était significative sur le plan relationnel. Plus les activités neuroélectriques de deux individus sont synchronisées, plus ils sont capables de faire preuve d’empathie l’un envers l’autre ou de travailler efficacement en équipe.

Jusqu’à présent, tous ces travaux présentaient un dénominateur commun. Ils étaient toujours basés sur des interactions entre des sujets physiquement présents au même endroit. En revanche, cette nouvelle étude a été bâtie sur une approche différente. Elle a permis de montrer pour la première fois que ce phénomène ne dépendait absolument pas de la proximité physique entre les deux partenaires.

Des cerveaux synchronisés à distance

Pour parvenir à cette conclusion, ils ont sélectionné 42 étudiants finlandais à qui ils ont demandé de jouer à un jeu où la coopération était indispensable. Ils devaient en effet piloter une voiture à deux ; le premier membre du duo se chargeait de la direction, tandis que son collègue devait gérer la vitesse. Les rôles ont été inversés après chaque tour.

C’est typiquement une situation qui favorise la synchronisation de certaines ondes cérébrales entre les deux joueurs. Ou du moins, c’est le cas lorsqu’ils jouent côte à côte. Mais ici, les chercheurs étaient curieux d’observer ce qui se passerait au niveau neurologique si les joueurs se livraient à la même activité tout en étant séparés.

Chaque joueur a été placé dans une pièce séparée et insonorisée. Ils ont aussi été privés de casque audio, et ne pouvaient donc absolument pas discuter verbalement pendant l’expérience. La seule forme de communication à laquelle ils avaient accès, c’est le comportement de la voiture qu’ils contrôlaient simultanément.

Et il se trouve que malgré cette séparation, les chercheurs ont observé une synchronisation significative de certaines ondes cérébrales (les ondes alpha, bêta et gamma). Plus les ondes gamme étaient synchronisées, plus leurs performances à court terme étaient impressionnantes. Statistiquement, ce sont les équipes qui présentaient une forte synchronisation des ondes alpha qui étaient globalement les plus performantes.

Il leur fallait encore s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une anomalie dans la procédure ou d’un biais statistique. Les chercheurs ont donc constitué de nouvelles paires avec des participants au niveau comparable, mais qui n’avaient jamais joué ensemble. La synchronisation était ici inexistante ou très faible.

Des implications encore floues mais déjà fascinantes

Ces éléments montrent qu’une équipe construit progressivement cette synchronisation cérébrale au fil d’une expérience commune. Il ne s’agit donc pas d’une sorte de « compréhension innée » entre deux joueurs de même niveau.

« Cette étude montre que la synchronisation intercérébrale se produit aussi dans le cadre de jeux coopératifs en ligne, et qu’on peut la mesurer de façon fiable », affirme Valtteri Wikström, neurobiologiste à l’Université d’Helsinki et auteur principal de l’étude.

De l’aveu même des chercheurs, les implications concrètes de cette découverte sont encore assez floues. Mais connaissant les implications profondes de cette synchronisation sur les relations sociales, elles pourraient être assez avancées. Les scientifiques estiment que leurs travaux sont un début de piste prometteur; ils pourraient permettre de développer des technologies avec un impact positif sur les liens humains. Et ce même hors du cadre des jeux vidéo.

« Si l’on peut construire des expériences digitales interactives qui stimulent les mécanismes fondamentaux de l’empathie, ça peut mener à de meilleures relations sociales, au bien-être, et même à une meilleure productivité en ligne », expliquent les auteurs.

Nous n’en sommes pas encore là ; il va désormais falloir déterminer précisément quels mécanismes précis favorisent cette synchronisation et dans quelles conditions. Mais il s’agit en tout cas d’un horizon de recherche fascinant à notre époque où les relations sociales en ligne sont devenues la norme. Surtout que la science manque encore de recul pour étudier convenablement l’impact psychologique et relationnel de ces technologies.

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