L’intelligence artificielle continue de se démocratiser dans de très nombreux domaines, et certains n’ont pas peur de mettre la charrue avant les bœufs. Le 26 août dernier, NetDragon Websoft, un éditeur de jeux mobiles chinois, a annoncé la nomination de sa nouvelle PDG, et son identité à quoi surprendre… puisqu’il s’agit d’un robot humanoïde dopé à l’IA.
Baptisée Tang Yu par ses concepteurs, la machine n’est pas là pour faire de la figuration, bien au contraire. Le communiqué de la firme, repéré par Interesting Engineering, explique sans détour qu’elle participera activement aux décisions de l’entreprise.
En premier lieu, elle servira de datacenter et sera équipée d’un tas d’outils analytiques. Ils permettront au comité d’administration d’être plus efficace sur le plan de la gestion du risque et de mettre en place de nouveaux protocoles pour « rationaliser les flux de travail, améliorer la qualité des tâches et augmenter la vitesse d’exécution ».
Ce qui est plus étonnant, c’est qu’elle héritera même de préretraites habituellement réservées au département DRH ; elle jouera un « rôle critique » dans l’identification et le développement des jeunes talents. Tang Yu sera aussi chargée de mettre en place un « environnement de travail équitable, sain et productif pour tous les employés ».
Une nomination avant tout symbolique
Une approche qui ferait pousser des cris d’orfraie à n’importe quel syndicaliste européen ; il faut bien admettre qu’il existe une liste longue comme le bras de dérives potentielles. Mais il faut aussi nuancer la portée de cette nomination. Car même si le communiqué ne le précise pas explicitement, il semble assez improbable que ce PDG virtuel ait le dernier mot lors du processus de prise de décision.
En l’état, ce titre de PDG semble surtout symbolique ; Tang Yu sera en premier lieu un outil au service des vrais décideurs qui permettra d’affiner le processus de décision. Il y a peu de chances que les employés de NetDragon se mettent à faire des courbettes au robot.
S’agit-il donc d’un coup de communication savamment orchestré ? Probablement… mais pas seulement. Tour de passe-passe publicitaire ou pas, Tang Yu pourrait tout de même établir un précédent important. Et ce n’est pas une question d’organigramme.
En pratique, peu importe si cet androïde a hérité du titre de PDG sur le papier ; une fois qu’on gratte la couche de vernis, on réalise qu’en pratique, NetDragon a simplement annoncé l’acquisition d’un outil basé sur l’IA qui l’aidera à prendre des décisions plus objectives.
Mais ce qui est important, c’est que ce robot donne une dimension plus tangible, et même très concrète à l’utilisation de ces outils analytiques en entreprise. Et c’est un geste assez significatif, dans un contexte où ces technologies sont en train de s’implanter de plus en plus profondément dans le monde du travail.
Robot PDG ou pas, l’IA arrive déjà au pas de charge
Cela vaut aussi pour les entreprises normales qui n’ont pas prévu de remplacer leur grand manitou en chair et en os par un robot. Et c’est d’autant plus vrai dans les très grandes firmes qui ont tendance à prendre leurs décisions stratégiques sur la base d’analyses statistiques poussées. Et il faut admettre que cette approche n’est pas dénuée de sens.
Ce n’est pas un hasard si ces systèmes ont déjà permis de réaliser des exploits algorithmiques très concrets ; on peut par exemple citer l’incroyable base de données du repliement des protéines d’AlphaFold qui a déjà révolutionné le quotidien de nombreux chercheur (voir notre article).
Il est de notoriété publique que ces programmes basés sur des réseaux neuronaux sont extrêmement performants lorsqu’il s’agit de traiter des données brutes ; en résumé, ils sont capables de faire émerger des tendances claires à partir de données complètement indigestes qui feraient perdre son latin à n’importe quel humain.
Et il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre en quoi cela intéresse les chefs d’entreprises. Ces systèmes basés sur l’IA pourraient faire des merveilles pour accompagner certaines décisions compliquées, surtout lorsqu’elles dépendent d’une multitude de facteurs sans corrélation évidente. Et il pourrait y avoir de gros bénéfices potentiels à la clé… pour les privilégiés qui y auront accès, en tout cas.
Les législateurs vont avoir du pain sur la planche
Mais d’un autre côté, on peut aussi imaginer tout un tas de questions qui renvoient à des dérives qu’on qualifiera volontiers de dystopiques. Quelques exemples parmi d’autres : un chef d’entreprise pourrait-il se cacher derrière un outil de ce genre pour ne pas avoir à assumer un licenciement massif ? Un robot pourrait-il sabrer systématiquement les employés les moins efficaces sur le plan statistique, voire même décider les remplacer par des machines capables d’opérer 24 heures sur 24 ?
Difficile à dire aujourd’hui ; nous n’en sommes de toute façon pas encore là, et la réponse à ces questions un peu tirées par les cheveux dépendra d’un grand nombre de facteurs. Mais même sans accorder trop d’importance à cette nomination finalement assez anecdotique, il convient donc de ne pas sous-estimer la portée de ce genre de décisions.
Pour les décideurs politiques, il sera en tout cas fondamental d’observer la direction que prendra cette tendance sur les différents marchés. Si les législateurs ne négocient pas ce virage avec précaution, l’explosion des outils basés sur l’IA pourrait faire trembler le Code du travail de certains pays jusque dans ses fondements, avec des conséquences non négligeables sur les sociétés et leurs économies respectives.
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Ce qu’on appelle IA c’est un logiciel comme un autre. Les humains qui l’utilisent et prennent les décisions restent les responsables. Il n’y a pas grand chose à légiférer pour le moment…
J’en connais un qui ne doit pas être payée au mot en tout cas