La matière noire joue un rôle prépondérant dans le modèle standard de la physique des particules — cet ensemble de théories qui décrit le comportement de la matière à la plus petite des échelles. Elle est présente en très grande quantité dans le cosmos, mais elle est aussi inerte; cela signifie qu’elle ne semble pas interagir ni avec la matière normale, ni avec les ondes électromagnétiques.
Il est donc très difficile de documenter ses propriétés. Jusqu’à présent, elle n’a jamais été observée directement ; on sait seulement que de très nombreuses structures cosmologiques se comporteraient très différemment sans l’influence de cette matière invisible, d’où son nom.
Dans les modèles cosmologiques actuels, cette matière noire est néanmoins une composante très importante de la dynamique de l’univers. La majorité des spécialistes estiment qu’elle se concentre dans ce qu’on appelle des halos. Très vulgairement, il s’agit d’amas de matière noire extrêmement volumineux et massifs qui englobent les galaxies.
Leur masse étant énorme, ils exercent aussi une influence gravitationnelle gigantesque. Cette dernière est considérée comme très importante pour la cohésion des galaxies, et par extension pour leur naissance et leur évolution… ou du moins, c’est ce qu’admettent les astronomes pour l’instant.
Car s’il y a bien une chose sur laquelle ils s’accordent tous, c’est que leur compréhension actuelle de la matière noire comporte de nombreuses zones d’ombre. Il faut donc trouver des approches expérimentales qui permettront de mieux cerner les tenants et aboutissants de ce phénomène. Et des astronomes des unités de Bonn et de Saint Andrews viennent peut-être de tomber sur le sujet d’étude parfait.
Des galaxies naines défigurées
En observant l’Amas du Fourneau, à environ 62 millions d’années-lumière, ils ont repéré des tas de galaxies naines aux formes étranges qui semblaient avoir été déformées. Une observation qui pourrait sembler anecdotique, connaissant la grande variété de ces objets. Mais c’est en fait un constat particulièrement étonnant.
Pour rappel, les galaxies naines sont des petites structures qui orbitent souvent autour de galaxies bien plus volumineuses. C’est aussi le cas de notre Voie lactée, qui dispose de 14 sœurs naines.
Elles sont toutes plutôt normales, que ce soit en termes de masse, de composition ou de forme. Et si elles parviennent à garder une apparence banale malgré l’influence gravitationnelle de la Voie Lactée, c’est en grande partie grâce à leurs halos de matière noire respectifs ; dans les modèles physiques actuels, ils jouent un rôle de bouclier gravitationnel qui empêche les corps avoisinants de les réduire en charpie.
Le problème, c’est que ce constat donne lieu à un cul-de-sac logique ; les galaxies naines les plus déformées, comme celles de l’Amas du Fourneau, ne collent tout simplement pas au modèle communément admis. La piste la plus crédible, c’est que l’influence gravitationnelle d’une autre galaxie soit à l’origine de ces formes particulièrement irrégulières. Mais dans ce cas, où est passé le fameux halo de matière noire qui devrait les en protéger ?
Un halo qui brille par son absence
« De telles perturbations ne correspondent pas au modèle standard », explique Pavel Kroupa, professeur d’astrophysique aux universités de Bonn et de Prague. « Selon ce modèle, le halo de matière noire de ces galaxies naines devrait partiellement les protéger des forces de marée originaires du reste de l’amas », explique-t-il, apparemment dubitatif.
Seule explication convaincante : ces galaxies n’auraient tout simplement pas de halo de matière noire. Mais cette hypothèse amène également un tas de nouvelles questions. La première d’entre elles : si ces galaxies sont effectivement privées de halo, comment ont-elles pu voir le jour, sachant que ce cocon de matière noir est traditionnellement considéré comme une condition indispensable à la formation des étoiles ?
Les chercheurs ne savent pas non plus comment ces galaxies pourraient subsister sans ce bouclier ; selon les prédictions du modèle standard, dans ces conditions, elles auraient déjà dû être déchiquetées par les forces gravitationnelles. « Les naines du Fourneau devraient déjà avoir été détruites par la gravité du centre de l’amas », expliquent les auteurs.
En conclusion, les spécialistes restent perplexes ; ils ne sont pas beaucoup plus avancés que leurs collègues qui ont trouvé d’autres galaxies sans matière noire en mai dernier. Mais cela ne signifie pas qu’ils ont fait chou blanc, loin de là. Hongsheng Zhao, un membre de l’équipe de recherche cité par Universe Today, estime même que « ces résultats présentent des implications majeures pour la physique fondamentale ».
Car il y a une conclusion très importante et commune à tous les travaux sur ce sujet que cette étude a permis de mettre en évidence une nouvelle fois : tout indique qu’il reste des trous considérables dans le tout-puissant Modèle Standard. Cela signifie qu’il va encore falloir affiner ce dernier.
Le Modèle Standard face à ses contradictions
Cette conclusion, de nombreux physiciens y sont déjà parvenus à travers des tas de découvertes diverses et variées. Aujourd’hui, il est de notoriété publique que cette grande théorie, aussi puissante soit-elle, reste encore irréconciliable avec la relativité générale décrite par Einstein (voir notre article). Plutôt problématique, sachant que les deux modèles servent tous les deux de base à la quasi-totalité de la physique moderne !
En explorant les points de rupture de ces deux modèles, comme c’est le cas avec ces travaux, les physiciens espèrent donc découvrir les pièces manquantes du grand puzzle de l’univers. Cela permettra peut-être, un jour, de s’approcher d’une fameuse « Théorie unifiée du Tout », capable de décrire l’ensemble des phénomènes physiques à toutes les échelles.
Au moins, dans le cas de ces travaux, la piste qui permettra d’aller plus loin est assez évidente ; il va falloir débusquer davantage de galaxies naines malformées de ce genre pour les ausculter. Pour les chercheurs, il faudra donc commencer par moissonner une grande quantité de données auprès de nombreuses sources diverses et variées. Ils pourront alors tenter de comprendre pourquoi ces galaxies sont privées de halo, mais aussi ce qui a pu causer ces perturbations.
Et cela tombe bien, car le James Webb ne demande qu’à braquer son objectif sur des objets de ce type ! Une preuve supplémentaire que le nouveau chouchou des astronomes est en passe de révolutionner sa discipline. Il ne reste plus qu’à patienter le temps que ces galaxies défigurées passent aux aveux !
Le papier de recherche est disponible ici.
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Intéressent comme piste pour mieux cerner cette mystérieuse matière noire. Une piste pourrait être que cette dernière n’existe tout simplement pas. Compatible avec le modèle Standard, la gravité emergente, développée par Erik Verlinde, implique de revoir notre vision de la gravitation. La gravitation n est plus alors une des 4 forces fondamentale mais la résultante d’interactions et d’évolution de la matière au niveau élémentaire (telle la température ou la pression par exemple). Pour revenir à l article, effectivement des anomalies dans ces amas “sans matière noire” apparente pourrait être des cas d étude pour valider ou invalider tel ou tel modèle.
Très intéressant en effet. La matière noire ne serait qu’une illusion. C’était le thème du livre “La matière noire: substance exotique ou effet relativiste?”, publié chez DésIris en 2015.