La pénurie de semiconducteurs nous a une nouvelle fois rappelé à quel point ces matériaux sont importants pour notre espèce. Le silicium, en particulier, est absolument omniprésent ; on en retrouve dans la totalité des puces informatiques, de votre montre connectée aux plus gros supercalculateurs du monde.
Pourtant, ce matériau quasi ubiquitaire est loin d’être idéal à tous les niveaux. Pour commencer, sa conductivité thermique est tout sauf exceptionnelle ; c’est pour cette raison que votre ordinateur a besoin d’être refroidi en permanence.
Au moins, il conduit extrêmement bien les électrons. Mais contrairement à ce que suggère l’intuition, cela ne veut pas dire que sa conductivité électrique est plus idéale pour autant. En effet, le silicium est beaucoup moins accommodant pour ce qu’on appelle les « trous » d’électron.
C’est un concept physique où l’absence d’électron est traitée comme une particule, et ces dernières doivent impérativement être libres de leurs mouvements pour qu’un semiconducteur puisse jouer son rôle. « C’est important parce que quand on construit un appareil, on veut avoir un matériau où les électrons, mais aussi ces trous voyagent sans résistance », explique Gang Chen, co-auteur d’une nouvelle étude sur le sujet.
Un semi pour les conduire tous
Lui et son équipe du prestigieux MIT ont récemment mené une série d’expériences sur un matériau aux propriétés semi-conductrices tout simplement exceptionnelles : l’arséniure de bore cristallisé sous forme cubique (c-BA). Pour commencer, il présente une conductivité thermique phénoménale, quasiment 9 fois supérieure à celle du silicium (1300 W/mK contre 149 W/mK à 28 °C).
Mais cette propriété très intéressante avait déjà été documentée par des chercheurs en science des matériaux. En revanche, ce que ces précédents travaux avaient échoué à montrer, c’est que le c-BA offre aussi une mobilité exceptionnelle aux électrons et à ces fameux « trous ».
Pour ces raisons, les chercheurs affirment qu’il s’agit tout simplement du « meilleur semiconducteur jamais trouvé, et peut-être du meilleur possible » ! « C’est impressionnant, parce que je ne connais aucun autre matériau, à part le graphène, qui rassemble toutes ces propriétés », affirme Chen.
« La température est un goulot d’étranglement majeur pour de nombreux appareils électroniques », explique Jungwoo Shin, auteur principal de l’étude. « Le carbure de silicium remplace le silicium simple dans de nombreuses industries majeures, comme celle des véhicules électriques avec Tesla grâce à sa conductivité thermique 3x supérieure, malgré le fait que la mobilité électronique y soit moins importante », détaille-t-il.
« Imaginez ce à quoi on pourrait parvenir avec de l’arséniure de bore cubique, avec une conductivité thermique dix fois supérieure, mais aussi une mobilité électronique beaucoup plus importante ! Cela pourrait tout changer », souffle-t-il.
Un potentiel aussi énorme que ses limites industrielles
À noter que ce n’est pas un hasard si le chercheur a recours au conditionnel. Certes, le c-BA est une merveille de science des matériaux. Mais il est aussi immensément plus difficile à domestiquer que notre bon vieux silicium.
Première limite, et pas des moindres : l’arséniure de bore est loin d’être aussi abondant que le silicium. De plus, sa synthèse sous forme cristalline est extrêmement compliquée. Même pour des manipulateurs du grand talent qui ont accès à du matériel de pointe. La grande majorité du temps, ces cristaux comportent de gros défauts structurels qui empêcheraient d’exploiter tout son potentiel conducteur.
L’autre souci, c’est la pureté du matériau. Aujourd’hui, le silicium est très bien connu ; au fil de plusieurs décennies de recherche ininterrompue, l’industrie a appris à le produire avec une pureté d’environ 99.99999999 % (on parle de « dix neufs »). Et pour l’instant, les chercheurs n’ont pas encore l’ombre d’une idée qui leur permettrait d’atteindre un score ne serait-ce que comparable avec l’arséniure de bore cubique.
Et même s’ils parviennent à contourner ces problèmes, ils ne seront pas sortis de l’auberge pour autant. Il leur faudra encore répondre à un tas de questions fondamentales avant d’envisager une utilisation dans l’industrie. La plus importante d’entre elles concerne la stabilité et la durabilité de ce matériau.
Malgré tous les défauts du silicium, l’industrie sait qu’il reste stable ; elle peut compter dessus pendant des années. Et c’est un facteur déterminant à absolument tous les niveaux (approvisionnement, stockage, durée de vie, prix…).
Des perspectives d’avenir encore floues
Même si l’on faisait abstraction de ses autres limites, l’arséniure de bore cubique ne pourrait pas être utilisé à grande échelle avant que les industriels ne sachent exactement comment il se comporte sur la durée — et par extension, à quel point il peut être rentable.
Autant dire que ce n’est pas demain la veille qu’un nouveau semi-conducteur viendra remplacer le silicium ; il faudra bien plus qu’un matériau extrêmement prometteur pour convaincre toute une industrie de remplacer le socle sur lequel elle repose depuis des décennies.
« Le silicium, c’est le cheval de trait de l’industrie », résume Chen. « D’accord, nous avons un matériau qui est tout simplement meilleur. Mais est-ce que ça va faire bouger l’industrie ? Nous n’en savons rien. » Même s’il ressemble effectivement au semi-conducteur idéal sur le papier, « s’il peut effectivement finir dans u appareil et remplacer une partie du marché actuel… je pense que ça reste encore à prouver », conclut-il.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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