Rogoz-in, rogoz-out; le grand patron de l’agence spatiale russe a été démis de ses fonctions par un décret de Vladimir Poutine vendredi 15 juillet dernier après l’avoir dirigée depuis 2018. La fin d’une ère pas particulièrement glorieuse… et un éventuel nouveau départ pour l’aérospatiale russe ?
Rogozine, c’était un peu le Trump de l’aérospatiale. Il ne ratait jamais une occasion de s’illustrer avec une saillie outrancière, quitte à prendre des libertés avec les faits. Comme le prédécesseur de Joe Biden, son mandat avait été marqué par son nationalisme tous azimuts et sa rhétorique provocatrice.
Une langue bien pendue et un bilan peu glorieux
Il ne ratait jamais une occasion de glisser une pique, en particulier aux Américains. Depuis le début de la guerre en l’Ukraine, il avait aussi pris très à cœur son rôle de porte-parole du Kremlin (Roscosmos est une institution gouvernementale) en défendant corps et âme la légitimité de l’invasion.
Et lorsqu’il le faisait, il n’y allait jamais de main morte. En quelques mois, il a multiplié les déclarations belliqueuses envers les partenaires américains et européens de Roscosmos. On se souvient de ses propos ouvertement menaçants après le déploiement des Starlinks d’Elon Musk, sa vive réaction à l’affaire eROSITA, ses moqueries après l’arrêt de la livraison des moteurs-fusées, ou encore ses menaces à peine voilées par rapport au sort de l’ISS. Tout récemment, quelques jours avant qu’il soit évincé, il avait aussi vivement réagi à l’exclusion officielle de Roscosmos de la mission ExoMars pilotée par l’ESA.
Des exemples qui en disent long sur le caractère du personnage. Pour l’instant, les raisons officielles de son éviction n’ont pas été communiquées ; il y a d’ailleurs peu de chances qu’elles le soient. L’hypothèse la plus probable est que Poutine ait été déçu de son bilan à la tête de l’agence ; il faut admettre qu’il n’est pas vraiment flatteur.
L’incarnation parfaite des maux de l’agence
À l’exception d’un plan de coopération très ambitieux avec la Chine, Rogozine n’a pas fait grand-chose pour sortir l’agence de son bourbier techno-politique. Aveuglée par une illusion perpétuelle de domination héritée de l’époque soviétique, l’institution s’est complètement sclérosée au fil des années.
L’agence a perdu énormément d’influence. Pour commencer, elle est à la traîne, pour ne pas dire stérile technologiquement. Une réalité pas franchement cohérente avec les propos de Rogozine ; il continuait de se comporter comme si le monde entier dépendait de l’aérospatiale russe, alors que cette dernière souffre de profondes défaillances institutionnelles.
Ce qui intéresse le Kremlin au moment de nommer un directeur, ce n’est pas seulement sa vision pour le futur de l’aérospatiale ; c’est avant tout sa capacité à suivre les ordres et à ne jamais dévier de la ligne du Kremlin. La direction de Roscosmos est donc devenue un totem politique qui confère une relative immunité dans la jungle de l’appareil d’État russe, puisqu’il s’agit d’un gage de confiance qui porte le sceau de Poutine lui-même.
Résultat : Roscosmos souffre d’un problème de leadership latent. Cela a notamment conduit à un énorme problème de corruption systémique. Aujourd’hui, c’est un organe presque aussi politique que scientifique. L’agence est traditionnellement pilotée par des oligarques qui semblent bien contents de maintenir ce statu quo peu glorieux pour pérenniser leur statut politique.
À son arrivée à la tête de Roscosmos, beaucoup d’observateurs s’attendaient à ce que Rogozine rentre dans cette catégorie. Une interprétation d’ailleurs encouragée par son CV. L’intéressé n’a jamais suivi de cursus d’ingénieur comme c’est traditionnellement le cas pour les directeurs de ces agences. En fait, il n’a jamais fait d’études scientifiques du tout ; c’est un pur politicien qui a gravi les échelons du pouvoir sur les bancs de la Douma.
Et sans surprise, le leadership de Rogozine s’est donc montré particulièrement faiblard. Lorsqu’on se penche sur son bilan, il semble avoir passé moins de temps à faire évoluer l’agence qu’à alimenter la chambre d’écho de Vladimir Poutine avec ses vociférations.
Une nouvelle ère pour Roscosmos et l’aérospatiale mondiale ?
Or, des déclarations tapageuses ne suffisent pas à faire voler des fusées. Pas plus que cette fierté nationaliste souvent déconnectée de la réalité. Pendant que Rogozine incendiait les autres dirigeants sur Telegram tout en vantant la toute-puissance de l’aérospatiale russe, cette dernière s’est enlisée encore plus profondément. Et la concurrence en a profité.
Sous la houlette du sulfureux oligarque, Roscosmos a complètement raté la grande transition technologique actuelle. Elle a notamment laissé le champ libre aux Américains. Ils ne se sont pas fait prier pour détruire le monopole des Souyouz à grands coups de lanceurs estampillés SpaceX.
L’agence semble aujourd’hui à des années-lumière de la grande transition dont elle a tellement besoin. Désormais, c’est Iouri Borissov qui sera chargé de remettre Roscosmos dans le droit chemin. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cet ancien militaire qui a suivi un cursus d’ingénieur va avoir du pain sur la planche.
Il devra commencer par reprendre la main sur la feuille de route technologique, condition sine qua non pour permettre à cette institution historiquement prestigieuse de se réinventer. Mais surtout, il faudra espérer qu’il se montrera plus ouvert que l’intransigeant Rogozine, avec qui la communication était souvent difficile.
Le temps nous dira s’il permettra aux Russes et à leurs partenaires de repartir sur de meilleures bases diplomatiques ; c’est une question qui pèsera lourd dans les relations internationales lors des années à venir, dans un contexte où l’importance stratégique de l’espace grandit à vue d’œil. Autant dire qu’il va falloir garder ce nom en tête.
🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.