L’incroyable diversité du vivant cache des tas d’espèces fascinantes qui présentent des comportements stupéfiants de complexité. Et c’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de se nourrir. La littérature scientifique a déjà décrit plusieurs animaux qui ont développé des stratégies étonnamment proches de l’agriculture en bonne et due forme.
On peut par exemple citer le poisson-demoiselle, cette petite espèce tropicale qui cultive son espèce d’algues préférées dans les récifs de corail en arrachant les autres végétaux pour lui permettre de proliférer. Il existe aussi des exemples spectaculaires du côté des insectes sociaux.
Le plus connu est certainement celui des fourmis parasol; elles ont développé une symbiose avec un champignon qu’elles cultivent dans leur fourmilière. La fourmi noire des jardins, très commune dans nos contrées, élève même des pucerons pour se délecter de leur miellat ! Il y a aussi de nombreuses espèces de termites ou de scarabées qui pratiquent toutes une forme d’agriculture.
Par contre, du côté des mammifères, le tableau est très différent ; à l’exception de l’humain, les espèces qui présentent des comportements de ce genre ne se bousculent pas au portillon. En fait, il n’en existe même aucun exemple dans la littérature scientifique. Même chez les primates les plus développés qui disposent pourtant de capacités cognitives impressionnantes, cette activité n’a jamais été observée.
Une mini-pelleteuse poilue en manque de calories
Ou du moins, c’était le cas jusqu’à très récemment ; cela pourrait avoir changé avec la publication d’un papier de l’Université de Floride à Gainesville, aux États-Unis. Les chercheurs viennent d’identifier ce qu’ils estiment être le premier exemple d’agriculture chez un mammifère autre que l’Homme.
La star de ces travaux, c’est le géomyidé, plus connu sous le nom de gaufre à sac à cause de ses grandes abajoues. Les naturalistes savent déjà que ce petit rongeur solitaire se nourrit principalement de jeunes racines auxquelles il accède en creusant de longs tunnels. En revanche, ce qui leur avait échappé, c’est que ce lointain cousin de la taupe et de la marmotte ne fait pas que les déguster.
En effet, creuser n’est pas de tout repos ; c’est une activité très énergivore. Pour creuser un tunnel, le gaufre doit dépenser environ 3000 fois plus d’énergie que lorsqu’il marche ! Il doit donc s’assurer de toujours avoir accès à un casse-croûte pour recharger ses batteries. Le problème, c’est que ses racines préférées poussent à une vitesse assez limitée.
Une situation qui ressemble fort à un cul-de-sac évolutif. Mais Mère Nature a plus d’un tour dans son sac, et la sélection naturelle a poussé le gaufre à prendre grand soin de son garde-manger.
Les chercheurs ont déterminé que ces rongeurs avaient mis en place une logistique étonnamment complexe dans le seul but de favoriser la croissance de certaines racines bien dodues ; ils sont non seulement des cultivateurs, mais aussi de véritables petits ingénieurs agronomes !
Est-ce vraiment de l’agriculture ?
Cette pratique commence par l’excavation stratégique de certaines zones où se cachent les racines les plus intéressantes. Les gaufres se chargent ensuite de les fertiliser en répartissant consciencieusement leurs propres déjections. Ils vont même jusqu’à les tailler pour encourager une croissance optimale, un peu comme les amateurs de bonsaïs le font avec leurs arbrisseaux fétiches.
Une adaptation très impressionnante et assez fascinante, mais peut-on vraiment parler d’agriculture ? Le terme est à nuancer; évidemment, les gaufres ne se promènent pas dans leurs tunnels équipés d’une houe et d’un tracteur. Si l’on considère que cela implique forcément de planter les végétaux en question et de veiller dessus pendant tout leur cycle de vie, alors ces gaufres ne sont effectivement pas des cultivateurs.
Mais pour les chercheurs, cette définition est injustement réductrice. Et il ne s’agit pas d’un argument de mauvaise foi pour défendre la légitimité de leur trouvaille ; ils avancent même des arguments plutôt convaincants.
Les spécialistes considèrent que l’agriculture humaine est née il y a environ 10 000 ans en Mésopotamie ; c’est là qu’on a retrouvé les premières traces de végétaux sélectionnés, plantés en masse et entretenus spécifiquement pour l’alimentation. Mais selon les auteurs de l’étude, cela tend à occulter le fait que ce modèle était loin d’être exclusif.
« De nombreuses cultures à travers le monde ont développé une agriculture basée sur des parcelles permanentes qu’elles n’avaient pas planté elles-mêmes, mais dont elles s’occupaient activement », explique Jack Putz, l’un des auteurs de l’étude.
Or, historiquement parlant, ces exemples ont toujours été classés parmi les formes d’agriculture. Selon les auteurs, il serait donc incohérent que le comportement des gaufres ne soit pas considéré comme tel. Mais le débat reste ouvert. « Je pense que c’est un problème intellectuellement excitant, parce qu’il n’y a pas vraiment de consensus » explique Putz.
Des travaux plus poussés à venir
Au bout du compte, derrière ce problème sémantique, la réalité scientifique sous-jacente demeure très intéressante dans tous les cas ; elle méritera que les spécialistes s’y attardent lors de nouveaux travaux.
Désormais, ils vont chercher à en apprendre davantage sur ce comportement. Ils se concentreront en particulier sur la façon dont il évolue au cours des saisons. Ils vont aussi chercher à savoir si les gaufres présentent un comportement similaire avec d’autres sources de nourriture, par exemple des champignons.
En conclusion, les chercheurs espèrent aussi que cette anecdote permettra de faire remonter la cote d’amour de ces petits rongeurs fascinants, mais souvent considérés comme nuisibles par la population. « Les gaufres sont beaucoup plus intéressants que les gens ne le croient », expliquent les chercheurs. « Ils méritent plus d’attention ! »
Le texte de l’étude est disponible ici.
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