Ces dernières années, l’intelligence artificielle a progressé à une vitesse telle que des systèmes basés sur le machine learning sont déjà capables de battre l’humain à plate couture dans certains domaines. Il n’y a qu’à regarder du côté des échecs ou des jeux vidéo pour s’en convaincre.
Mais dans certains autres contextes, le tableau est très différent. Il existe des points sur lesquels le cerveau humain reste encore infiniment plus puissant que les IA actuelles. On peut par exemple citer les problématiques qui relèvent du bon sens ou de l’éthique des humains, mais aussi les relations de causalité.
Parmi ces relations de causalité, on peut citer le principe de permanence de l’objet. On sait instinctivement qu’un objet continue d’exister lorsqu’il sort de notre champ de vision, à moins qu’un élément externe intervienne.
Même les bébés en sont capables. Au début, ils sont surpris lorsqu’un adulte se « cache » derrière ses mains, et le simple fait de perdre sa mère de vue peut susciter des larmes de crocodile. Mais ils comprennent assez rapidement que leurs parents ne disparaissent pas complètement lorsqu’ils ne les voient pas.
Pour un humain, c’est donc littéralement un jeu d’enfant. Pourtant, même s’il s’agit d’une activité rudimentaire même pour les très jeunes homo sapiens, l’IA revient souvent bredouille ; une information qui a de quoi surprendre les non-initiés, sachant qu’on parle d’une technologie capable d’humilier le champion du monde des échecs à son propre jeu un million de fois d’affilées.
PLATO, une sorte de “bébé-IA”
Et comme souvent dans cette discipline c’est DeepMind qui a commencé à explorer cette zone d’ombre avec une idée particulièrement originale repérée par ScienceAlert. Ils ont imaginé Physics Learning through Auto-encoding and Tracking Objects, ou PLATO; c’est une IA un peu particulière puisque son mode d’apprentissage est inspiré de celui… des bébés humains.
Pour l’alimenter, les chercheurs se sont appuyés sur un gros volume de littérature scientifique spécialisée dans la pédiatrie et la psychologie du développement. « Heureusement pour nous, les psychologues du développement ont déjà passé des décennies à étudier ce que les nouveau-nés savent du monde physique », explique Luis Piloto, un chercheur affilié au laboratoire de DeepMind au Royaume-Uni.
« Ils ont catalogué les différents ingrédients et concepts qui participent à la compréhension physique », précise-t-il. Sur la base de ces travaux, ils ont construit un « jeu de données des concepts physiques » sous la forme de plusieurs vidéos qui « traduisent » ces concepts dans le cadre du machine learning.
Les concepts en question sont au nombre de cinq. Cela commence par la fameuse permanence de l’objet citée plus haut. Les chercheurs ont aussi intégré les notions de solidité (un objet ne peut pas en traverser un autre) et de continuité (un objet ne peut pas se téléporter).
Ils ont complété avec les notions de non-interchangeabilité (les propriétés d’un objet restent les mêmes) et d’inertie directionnelle qui stipule qu’un objet ne peut se déplacer qu’en accord avec les lois de la physique, et notamment le principe d’inertie (un objet ne peut pas ralentir en pleine chute libre, par exemple).
Un bébé plutôt futé
Ces cinq principes ont été intégrés dans ce qu’on pourrait décrire comme des vidéos d’éveil éducatif pour IA. En pratique, elles montraient des balles qui tombaient au sol avant de rebondir les unes sur les autres. Cela force le système à se focaliser sur ces notions.
Une fois entraînée, les chercheurs ont soumis leur IA à un nouveau jeu de vidéos. Elles comportaient cette fois des situations défiant les lois de la physique. Et comme un bébé humain, une fois confronté à ces cas « impossibles », PLATO a manifesté ce qui pourrait s’apparenter à de la surprise !
Ou, pour être plus précis, l’équivalent IA de la surprise – à savoir un résultat complètement incohérent. Mais l’interprétation est la même. En termes d’information brute, ce système réagit à ces phénomènes de la même façon qu’un bambin en chair et en os.
Les chercheurs ont ensuite modifié de nombreux paramètres pour forcer le système à sortir des sentiers battus. Ils ont par exemple changé la forme de certains objets. Là encore, PLATO a prouvé qu’il maîtrisait ces concepts physiques de base dans un contexte légèrement différent de celui où il a été entraîné. Cela montre qu’il est capable d’extrapoler à partir de son entraînement rudimentaire.
Au bout du compte, les chercheurs estiment que leur nouveau-né numérique n’est pas encore tout à fait au niveau d’un nourrisson de trois mois ; mais cela reste plutôt précoce pour un système entraîné en 28 heures à peine !
Pas de bébé-cyborgs au programme
L’intérêt de cette étude n’est pas de créer une intelligence artificielle pour donner vie à de « faux bébés », loin de là. Il s’agit de travaux de fond sur les bases technologiques de l’intelligence artificielle qui cherchent à répondre à un problème très précis.
La raison pour laquelle les chercheurs se sont intéressés au développement de l’enfant, c’est parce qu’il s’agit d’une excellente représentation d’une classe de problèmes que les IA actuelles ont beaucoup de mal à aborder.
Ces travaux montrent justement qu’il est possible d’utiliser des supports visuels pour entraîner une IA dans ces cas de figure « Notre travail de modélisation offre une preuve qu’au moins une partie des concepts physiques intuitifs peuvent être acquis grâce à un apprentissage visuel », expliquent les chercheurs. A terme, cela pourrait conduire à de nouvelles approches algorithmiques qui pourraient faire progresser l’IA dans son ensemble.
Et même s’il ne s’agit pas de l’objectif principal de cette étude, les travaux de ce genre pourraient permettre d’identifier ou de mieux comprendre certains mécanismes encore mystérieux du développement de l’enfant. « Les données suggèrent que la connaissance intuitive de la physique émerge tôt, mais qu’elle peut être influencée par l’expérience visuelle », concluent les chercheurs.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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