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Un chercheur écœuré proteste contre la vente de fossiles inestimables

Les fossiles remarquables font le bonheur des maisons d’enchères, au grand désarroi des chercheurs à qui ils filent entre les doigts…

La célèbre maison d’enchères Sotheby’s a annoncé la semaine dernière qu’une pièce spectaculaire avait rejoint sa collection : le squelette fossilisé d’un Gorgosaurus libratus âgé de 76 millions d’années va bientôt être mis à la vente… au grand désarroi de certains chercheurs, qui font des pieds et des mains pour sauver ce spécimen des griffes des acquéreurs privés.

Ce fossile de 3m de haut pour 7 m de long appartenait à un cousin du roi des dinosaures, le fameux Tyrannosaurus. Dans un état de conservation remarquable malgré ses 76 millions d’années, cette pièce sublime en tous points est un véritable trésor qui intéresse beaucoup les collectionneurs ; d’après l’Associated Press, la maison d’enchères estime pouvoir en tirer un joli pactole, à savoir 5 à huit 8 millions de dollars.

Il ne fait aucun doute que le futur propriétaire pourra être fier de son acquisition et briller en société. Et il ne s’agit pas d’un cas isolé. C’est même une tendance qui a le vent en poupe. Ces dernières années, de plus en plus de pièces de grande valeur comme celle-ci ont été cédées à des collectionneurs fortunés. Les acteurs américains Nicolas Cage ou Leonardo DiCaprio font par exemple partie des personnalités qui ont déjà tenté d’en acheter, selon Business Insider.

Une situation qui ravit évidemment l’institution. « Au cours de ma carrière, j’ai eu le privilège de vendre de nombreux objets uniques et exceptionnels, mais peu ont la capacité d’émerveiller et de capturer l’imagination comme cet incroyable squelette de Gorgosaurus », exulte Cassandra Hatton, chef du département Science et Culture chez Sotheby’s interviewée par l’Associated Press.

 

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Une tendance qui exaspère les chercheurs

Mais du côté des chercheurs, le son de cloche n’est pas tout à fait le même. Thomas Carr, un paléontologue du Carthage College, a un avis très différent sur la question. Pour lui, la vente de ce Gorgosaure est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et il a tenu à le faire savoir sans mâcher ses mots. « Cette vente aux enchères est dégoûtante », siffle-t-il, visiblement très rancunier.

Ce qu’il reproche à ces enchères, c’est que ces pièces sortent très souvent des circuits académiques lorsqu’elles sont cédées à des collectionneurs privés. Une dynamique absolument terrifiante pour les paléontologues, et qui prend une ampleur telle qu’il commence à priver la communauté scientifique d’objets d’étude inestimables.

Dans de nombreux cas, les acheteurs préfèrent les exposer chez eux et restent anonymes. Et même lorsqu’ils sont joignables, la majorité souhaite rarement laisser des spécialistes s’en approcher. Il s’agit donc d’une perte sèche sur le plan de la recherche. « Ce sont des spécimens vraiment intéressants qui pourraient tout simplement disparaître », se désole Carr.

Une question de priorités

Cette dynamique est d’autant plus préoccupante que ces ventes envoient un message lourd de conséquences au public. Selon le paléontologue, elles laissent entendre que la valeur de ces pièces est monétaire avant d’être scientifique. Ces fossiles sont désormais traités majoritairement comme des objets de collection plutôt que comme des ressources pour la recherche.

L’effet pervers de ce discours, c’est que cela déclenche une spirale d’inflation infernale. Plus ces objets sont revendus, plus ils deviennent désirables, et plus les prix augmentent. Et ainsi de suite. Une bonne nouvelle pour les spéculateurs… et une mise à mort pour certains musées et instituts de recherche.

Cette tendance menace directement la capacité des musées à acquérir de belles pièces pour permettre aux chercheurs et au public d’en profiter. © Chris Nguyen

En effet, puisque ces fossiles sont désormais des commodités comme les autres, les musées doivent les acheter avec leurs propres fonds. Le problème, c’est que ces structures ne roulent traditionnellement pas sur l’or. Et si cette tendance continue, même les plus prestigieuses d’entre elles n’auront tout simplement plus les ressources pour s’offrir de telles merveilles. Ils seront alors suspendus à mansuétude d’une poignée de philanthropes.

Les États-Unis, un véritable Wild West paléontologique

C’est d’autant plus vrai aux États-Unis, où la loi est particulièrement permissive à ce sujet. Dans de nombreux pays, il existe une législation qui protège immédiatement toutes les pièces qui présentent un intérêt scientifique. Le fait de se les approprier est alors passible d’énormes amendes et de peines de prison.

C’est notamment le cas en Chine ; le pays de Xi Jinping a très tôt compris l’intérêt de mettre une chape de plomb sur son patrimoine paléontologique foisonnant. Même chose du côté du Canada, pourtant voisin de l’Oncle Sam. Mais chez ce dernier, n’importe qui peut disposer de ces fossiles comme bon lui semble, à la seule condition qu’ils n’aient pas été exhumés sur un terrain appartenant au gouvernement.

Cette conception très libérale du patrimoine scientifique pourrait aussi conduire à d’autres dérives selon Carr. C’est un fait bien connu : partout où il y a de l’argent, il y a aussi du trafic. Et le prix vertigineux de ces spécimens pourrait encourager des pillards à s’emparer de ces fossiles pour les revendre à prix d’or. En plus du risque lié à la manipulation de ces pièces par des amateurs, cela aurait aussi pour effet d’alimenter le trafic et de consolider ce cercle vicieux.

Enfin, il est important de préciser que l’appropriation du patrimoine scientifique ne concerne pas que les fossiles. Tout récemment, la NASA s’est par exemple lancée dans une bataille judiciaire pour un motif comparable. L’objectif : récupérer un lot de très grande valeur à base de poussière lunaire qui allait lui aussi être vendu aux enchères (voir notre article).

Malheureusement, il n’existe pas de réponse évidente, à moins d’adopter une législation dure pour verrouiller l’accès à ces pièces. Il faut donc espérer que des lanceurs d’alerte comme Carr donneront plus de visibilité à ce phénomène de privatisation des ressources scientifiques.

 

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