Jeudi 7 juillet, la NASA s’est illustrée avec une déclaration assez inhabituelle. Alors qu’elle tient habituellement à mettre la coopération en avant, elle a fortement condamné les récents agissements des trois cosmonautes russes Sergey Korsakov, Oleg Artemyev et Denis Matveev ; ils ont récemment posé à bord de l’ISS avec les drapeaux des Républiques populaires de Louhansk et de Donetsk — deux régions présentées comme séparatistes par Moscou, qui s’en est servi pour justifier son invasion de l’Ukraine.
Cette histoire n’est pas sans rappeler un épisode survenu en mars dernier, quand un trio de cosmonautes avait débarqué dans des combinaisons jaunes et bleues. Un geste qui, dans le contexte actuel, avait été interprété comme une forme de soutien à l’Ukraine.
Cette information a été démentie par le Kremlin et les intéressés. Ils ont expliqué qu’il ne s’agissait en aucun cas d’un geste politique (voir notre article). Mais cela avait été l’occasion de se rassurer en constatant que les relations étaient au beau fixe à bord de l’ISS ; chacun avait su mettre de l’eau dans son vin pour laisser ces bassesses politiques sur Terre le temps de la mission.
Une friction politique rarissime à bord de l’ISS
En revanche, l’ambiance est très différente ce coup-ci. Il n’y a plus d’ambiguïté ou de place pour l’interprétation : les drapeaux présentés par les trois cosmonautes sont indiscutablement une forme de soutien politique à la campagne russe en Ukraine.
Un positionnement qui a ulcéré les troupes de la NASA ; rien d’étonnant sachant que l’institution tient absolument à préserver le statut de plateforme de coopération pacifique et apolitique de l’ISS. Il semble donc que les relations entre les deux agences se sont détériorées depuis ce printemps.
« La NASA s’oppose fortement à ce que la Russie utilise l’ISS pour des motifs politiques, afin de supporter sa guerre contre l’Ukraine, ce qui est fondamentalement incohérent avec la fonction principale de la station pour les 15 pays qui participent à faire avancer la science et la technologie de façon pacifique », explique la secrétaire de la NASA Jackie McGuinness.
Cette véhémence est rare de la part de la NASA, surtout envers la Russie qui a toujours été son principal partenaire à bord de l’ISS. Cette dernière joue un rôle très important de havre de paix apolitique. Car même si la NASA est une agence gouvernementale et que les deux pays sont loin d’être amis, ils ont traditionnellement toujours fait de gros efforts diplomatiques pour maintenir une coopération saine à bord de la station, indépendamment des tensions qui existent sur Terre.
D’ailleurs, il ne s’agit pas seulement de philosophie ; la conception même de l’ISS pousse l’équipage à la coopération. Tous les éléments sont en effet interdépendants. Par exemple, le contingent américain est responsable de la production d’énergie. Les troupes russes, de leur côté, sont chargées de corriger régulièrement la trajectoire de l’ISS pour lutter contre le déclin d’orbite.
La fin d’une ère ?
Jusqu’à présent, l’ISS avait fait honneur à son statut de sanctuaire. C’est la première fois qu’elle sert de vecteur à un message politique aussi marqué que celui-ci, et cela marque un changement considérable qui pourrait peser lourd dans la suite des événements. Dans toute l’histoire, il est quasiment impossible de trouver un autre exemple où les Russes et les Américains ont coopéré de façon aussi active, respectueuse et productive.
Mais après plusieurs reports, il a finalement été décidé que la station serait officiellement mise à la retraite en 2030 au plus tard. Cela marquera la fin d’un superbe projet qui a encouragé la coopération internationale comme aucun autre auparavant.
Les Russes ont déjà annoncé qu’ils allaient faire bande à part à partir de cette échéance. Désormais, ils feront équipe avec le contingent chinois pour déployer leur propre colonie lunaire, au nez et à la barbe de l’Oncle Sam. Cette dynamique commence déjà à générer quelques frictions. La NASA semble même un peu inquiète de cette nouvelle concurrence (voir notre article). Il faut donc espérer que cette situation ne va pas précipiter la fin de la coopération à bord de l’ISS.
Dans l’immédiat, il n’y a pas de souci à se faire pour les astronautes ; malgré ce geste, il s’agit tout de même de grands professionnels qui seront parfaitement capables de mener à bien leur mission sans conflit ouvert. De plus, les deux pays devront encore coopérer quelque temps, au moins jusqu’à l’échange de personnel prévu en septembre prochain.
Un héritage qu’il est fondamental de préserver
Dans l’idéal, ils continueront de le faire au-delà de cette date. Il serait en tout cas infiniment triste de salir les dernières années de ce sanctuaire avec une sombre querelle politique, alors que la coopération constructive et bienveillante a été le mot d’ordre depuis bientôt 25 ans.
Dans tous les cas, l’ISS ne sera pas éternelle; cette belle histoire prendra fin d’ici 8 ans au maximum. Plutôt que de s’écharper, il conviendra donc d’en profiter comme il se doit tant qu’elle sera encore là. Cela fait bientôt 25 ans que cette tour d’ivoire inébranlable fait partie des meubles, et il serait facile de prendre pour acquis tout ce qu’elle a apporté.
Nous ne le réalisons pas encore, mais le paysage spatial et géopolitique va changer considérablement après son départ. Sans ce lien inextricable, c’est tout un pan des relations internationales qu’il faudra reconstruire. Il ne reste donc plus qu’à espérer que tout le monde saura faire honneur à la longue tradition et à la philosophie de l’ISS d’ici-là; après tout, il s’agit avant tout de préserver l’héritage du plus beau projet scientifique des 25 dernières années.
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Et pendant ce temps, je mate l’uchronie For All MInkind, et je pleure que ce ne ce soit pas passé ainsi.
Si vous ne connaissez pas cette série et que vous aimez l’espace, sans alien et rayons laser, foncez 🙂