Ce n’est pas un hasard si la NASA et les autres agences spatiales s’intéressent tant au passé liquide de mars. L’eau est un élément indispensable à la vie basée sur le carbone tel qu’on la connaît, et partout où elle a existé, il existe donc une possibilité de trouver des formes de vie passée.
Sur Mars, par exemple, le fameux rover Perseverance arpente en ce moment le cratère de Jezero. C’est un ancien lac désormais asséché qui pourrait abriter des biosignatures ; même si les chances d’en trouver demeurent faibles, cette perspective est si enthousiasmante qu’elle a suffi à convaincre la NASA de partir à la recherche de vie sur des planètes dont la surface est entièrement asséchée depuis des lustres.
Et si la présence de quelques traces d’eau très ancienne suffit déjà à motiver les planétologues, il existe pourtant d’autres destinations potentielles qui pourraient être encore plus intéressantes dans ce contexte. En effet, les chercheurs connaissent déjà un certain nombre de corps célestes où la présence d’eau a déjà été confirmée.
Et ici, nous ne parlons pas de traces, contrairement à Mars ou à la Lune, mais bien de gigantesques océans d’eau liquide. C’est par exemple le cas d’Encelade, l’un des satellites en orbite autour de Saturne. En 2014, la sonde Cassini a apporté la preuve indiscutable que cette planète abrite un vaste océan liquide souterrain. Europa, une des nombreuses lunes de Jupiter, est aussi suspectée d’héberger un tel océan.
Les planètes gelées, véritables coffre-forts scientifiques
Parmi les nombreux éléments qui rendent ces planètes fascinantes, ces océans sont tout particulièrement excitants pour les chercheurs. Ils abritent vraisemblablement des phénomènes géologiques, voire biologiques qui pourraient tous faire l’objet de travaux scientifiques révolutionnaires.
Le problème, c’est que ces océans sont extrêmement difficiles à étudier depuis l’orbite. L’approche la plus productive serait donc d’y envoyer directement une sonde, mais là encore, c’est tout sauf un jeu d’enfant. Il faut non seulement parcourir les distances énormes qui nous séparent de ces planètes, mais aussi traverser l’épaisse couche de glace qui cache ces océans.
Il s’agit donc d’un immense défi technique auquel la NASA réfléchit depuis longtemps, mais sans vraiment lui donner la priorité. En revanche, cela pourrait bientôt changer grâce à Ethan Schaler, un ingénieur au légendaire Jet Propulsion Lab de la NASA ; il a imaginé un escadron de petits robots submersibles baptisé SWIM qui pourraient un jour partir à la conquête des océans extraterrestres.
L’idée de Schaler consiste à les empiler dans un vaisseau mère qui serait déposé à la surface de la croûte de glace. Comme la plupart des engins de ce type, ses besoins en énergie seraient assurés par un réacteur nucléaire. Cette approche génère une grande quantité de chaleur qui doit habituellement être évacuée à l’aide du radiateur. Mais dans ce cas, elle permettra à l’engin de percer l’épaisse couche de glace pour atteindre l’océan sous-jacent.
Un essaim de limiers scientifiques interconnectés
Une fois immergée, elle pourra alors relâcher une armada d’une quarantaine de petits sous-marins triangulaires imprimés en 3D. Ils partiront tous dans une direction différente pour cartographier la zone. Au passage, ils effectueront rapidement des tas d’analyses sur une large zone grâce à de nombreux capteurs embarqués. Cela leur donnera l’occasion de collecter une grande quantité de données par rapport à un véhicule isolé.
C’est en tout cas ce qu’explique le grand architecte du projet avec une allusion à Ingenuity, le drone qui accompagne le rover Perseverance. « L’hélicoptère étend la portée opérationnelle du rover, et les images qu’il ramène sont autant d’éléments de contexte qui permettent au rover de comprendre comment explorer son environnement », détaille-t-il. « Si nous avions plusieurs hélicoptères au lieu d’u seul, nous en saurions beaucoup plus sur ledit environnement. C’est l’idée derrière SWIM. »
Pendant toute l’opération, ils seront tous reliés au sein d’un même réseau de communication pour pouvoir travailler de façon synchronisée. Cela permettra notamment de repérer certaines variations des conditions environnementales, comme la température ou la concentration en un composé chimique précis (on parle alors de gradient).
Il suffirait alors de remonter à la source de ces gradients pour identifier des phénomènes très intéressants. Il pourrait s’agir de phénomène hydrologiques uniques… ou d’une source de vie primitive, par exemple. « Si on trouve des gradients chimiques ou d’énergie, c’est comme ça que la vie peut commencer à évoluer », indique Schaler.
Ce lien permettra aussi d’envoyer ces relevés au vaisseau mère; il sert à la fois de hub et de relais dans cette architecture. C’est lui qui se chargera de les expédier vers un relais situé à la surface ; ce dernier acteur renverra alors le fruit de la collecte vers la Terre afin que les chercheurs puissent l’exploiter. En quatre mots : dans l’espace encore plus qu’ailleurs, l’union fait la force.
Le nouveau paradigme de l’exploration spatiale
Pour l’instant, SWIM n’en est encore qu’à l’état de concept. Et connaissant la logistique extrêmement complexe sur laquelle repose une telle opération, il n’y a aucune garantie qu’elle soit acceptée telle quelle. La décision reviendra à la prestigieuse division Mission and System Architecture Design qui pilote ces programmes.
Mais même si elle décide de faire l’impasse sur ce programme précis, la conclusion reste la même; il n’y a aucun doute quant au fait que cette philosophie représente l’avenir de l’exploration spatiale. Et il ne s’agit pas que des océans. Comme l’a précisé Schaler, on pourrait parfaitement imaginer qu’un escadron d’Ingenuity V2 parte à l’assaut de Mars en compagnie d’un rover « porte-avion ».
Cela représente un changement radical par rapport aux précédentes missions. Aujourd’hui, les chercheurs doivent encore reconstituer un immense puzzle à partir de quelques pièces isolées ramenées par plusieurs engins indépendants.
Avec cette approche, les spécialistes auront accès à davantage de données. Ils disposeront donc d’un recul plus important, et par extension d’une meilleure vision d’ensemble des questions auxquelles ils cherchent à répondre. De quoi faire littéralement passer la recherche à la vitesse supérieure, en somme.
Lors des mois et années à venir, il sera donc très intéressant de guetter l’évolution de ce programme, mais aussi et surtout l’arrivée inévitable de la prochaine génération de robots qui s’annonce déjà fascinante (voir notre article).
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