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Ce ciment écologique révolutionnaire est produit à partir de plancton

Produire du ciment à partir de ces microorganismes pourrait changer radicalement le visage de toute cette industrie.

Parmi toutes les industries qui exercent une pression considérable sur l’environnement, celle du ciment continue de faire partie des plus problématiques. Mais une équipe de chercheurs américains affirme désormais qu’il serait possible d’y mettre fin à très court terme. Elle a en effet développé une technique qui permettrait de « cultiver » un calcaire présenté comme neutre en carbone qui pourrait permettre de produire du béton respectueux de l’environnement.

D’après des travaux du prestigieux MIT, le béton est aujourd’hui le deuxième matériau le plus utilisé à l’échelle globale, juste derrière l’eau brute. Un chiffre qui illustre bien son importance à l’échelle globale, en particulier dans les pays en développement qui utilisent plus de 70 % du volume total.

C’est bien simple : aujourd’hui, l’infrastructure telle qu’on la connaît n’existerait pas sans le ciment et le béton. Mais le problème, c’est que ce matériau qui a changé le visage de notre planète est aussi à l’origine d’un véritable désastre écologique directement lié au processus de fabrication.

Sa production implique différents minerais relativement abondants comme l’argile, le gypse, et surtout les roches calcaires. Ces dernières doivent d’abord être minées dans des carrières très problématiques en termes écologiques, puis pulvérisées avec de l’argile avant d’être chauffées à environ 1500 °C.

Cette étape est responsable à elle seule d’une gigantesque dépense énergétique ainsi que d’un relargage massif de dioxyde de carbone. Chaque année, ce sont environ 2 gigatonnes (2 milliards de tonnes) de CO2 qui sont relarguées dans l’atmosphère par la production de ce matériau de construction incontournable. Accessoirement, ce processus a aussi tendance à relarguer de grandes quantités de particules fines dans l’atmosphère.

Les coccolithophoridés, les cimentiers de la nature

Pour tenter d’alléger l’impact écologique de la filière, le professeur Wil Srubar et son équipe ont décidé de miser sur des êtres vivants : les coccolithophoridés. Ce sont de minuscules algues planctoniques qui jouent un rôle absolument fondamental dans la vie telle qu’on la connaît ; ce sont par exemple des membres très importants de la chaîne alimentaire marine.

Des coquilles de coccolithophoridés recouvertes de carbonate de calcium. © Dr. Alison Taylor / Robin Mejia – Wikimedia Commons

Mais leur particularité la plus remarquable, c’est leur armure de petites plaques minérales. Pour la produire, les coccolithophoridés jouent sur un ensemble de réactions chimiques qui pompe activement le CO2 de l’océan. Cela leur permet d’assembler de la calcite, un minéral à base de carbonate de calcium. Cette particularité en fait des agents importantissimes de la dynamique climatique à l’échelle planétaire.

Mais ici, ce qui est intéressant, c’est que ce carbonate de calcium est le composant majoritaire des roches calcaires qui servent elles-mêmes à produire le ciment. Le chercheur a ainsi eu une idée : et s’il était possible de remplacer le calcaire naturel, qui met des millions d’années à se former, par du calcaire biologique produit en temps réel par des coccolithophoridés ?

Un bouillon d’algues pour remplacer la carrière

Avec son équipe, il a donc lancé une expérience pour tester la viabilité de cette approche. Ils ont simplement mis ces microorganismes en culture dans une étendue d’eau où ils avaient au préalable dissous une grande quantité de CO2. Il ne leur restait plus qu’à exposer cette cuve au soleil pour reconstituer les conditions dans lesquelles ces microorganismes pompent le dioxyde de carbone pour produire leurs plaques.

Et leurs résultats se sont révélés particulièrement encourageants. D’après les chercheurs, le processus serait à la fois peu exigeant en matériaux bruts (eau, dioxyde de carbone, soleil, et quelques nutriments) et facile à mettre en place. Ces microorganismes sont aussi capables de survivre aussi bien dans l’eau douce que dans l’eau salée. Une polyvalence qui ouvre la porte à une utilisation dans de nombreux environnements différents.

Et surtout, le processus chimique en lui-même est aussi très intéressant dans le contexte écologique actuel. Puisque les coccolithophoridés se servent du CO2 comme ressource pour produire leurs plaques, le bilan carbone de la réaction est même est strictement négatif.

Une approche viable, potentiellement rentable, et même carbone-négative

Et dans ce cas, il ne s’agit pas d’une formule vide de sens employée à la volée par une entreprise en pleine campagne de greenwashing. C’est une réalité scientifique déjà bien documentée par de nombreuses études sur le coccolithophoridés. Sur le papier, cela permet donc de faire d’une pierre deux coups en transformant un problème écologique majeur en piste de décarbonisation.

Au bout du compte, on se retrouve avec une approche qui dispose d’un vrai potentiel. Y compris en termes économiques, ce qui est indispensable pour espérer convaincre les industriels de sauter le pas.

Et les chercheurs ne parlent pas d’une utilisation marginale dans certains cas de niche. Ils raisonnent en termes d’ exploitation à grande échelle. Ils estiment en effet qu’il suffirait de recouvrir 0,5 % de la surface des États-Unis de cultures de ce genre pour assurer l’intégralité de l’approvisionnement en ciment du pays ! De quoi changer significativement le visage de cette industrie.

Pour cette innovation, Srubar et son équipe ont reçu le prix de la National Science Foundation CAREER. Ils ont aussi eu droit à un financement de la part du Département de l’Énergie américain à hauteur de 3,2 millions de dollars. D’après Interesting Engineering, ils se sont aussi associés à de nouveaux acteurs privés. Ils pourront ainsi explorer les applications industrielles de cette technologie.

Cette technologie pourrait contribuer à décarboner l’industrie du béton pour limiter son immense impact écologique. © Pawel Czerwinski – Unsplash

Un intérêt évident malgré quelques limites

Il est important de mentionner que même si elle finit par se développer à grande échelle, cette approche très prometteuse ne sera pas non plus un miracle écologique sans compromis. Il ne permettra pas de régler certains des autres gros soucis de cette filière.

Car c’est une chose de produire du ciment, c’en est une autre de le transporter et d’en faire du béton pour construire des bâtiments. Il faudra donc aussi progresser sur les questions très préoccupantes de l’approvisionnement en eau ou en sable, par exemple. De plus, cette approche ne réglera pas non plus entièrement le problème des particules fines.

Et surtout, il faudra encore s’attaquer à l’écueil de la chaîne logistique qui représente une part significative du problème. Mais cette étude a tout de même le mérite de proposer une piste réaliste qui pourrait conduire à une amélioration concrète sur le plan écologique, ce qui est assez rare pour être souligné. Il sera donc très intéressant de suivre l’évolution de ce concept.

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4 commentaires
  1. Oui , mais c ‘est toujours la même chose , des tas d’animaux se nourrissent du plancton et en plus on ne pourrait surement pas en récolter assez pour tout ce qu on bétonne

  2. @La main du Kremlin : Si j’ai bien compris on parle ici de culture du plancton, et non de récolte en milieu marin. Jusqu’à maintenant, question culture, tous domaines confondus, l’humanité s’est plutôt bien débrouillée pour optimiser le processus et l’adapter à la demande mondiale, donc je ne comprends pas bien vos réticences.

    Note : info à combiner avec les recherches qui tendent à montrer que le fer, élément ultra abondant, tend à favoriser fortement le développement du plancton.

  3. Il faut aussi éliminer la matière organique du plancton avant d’utiliser ses tests calcaires ….ce processus peut demander d’autres produits chimiques à utiliser , et il ne faut pas que ça nuise à l’environnement ….c’est vrai que la vie d’un plancton ne dépasse pas , si je ne me trompes pas, une semaine ….et donc on peut produire assez de carbonate nécessaire à la fabrication du ciment

  4. Oui, il serait plus judicieux de les introduire dans l’océan pour contrecarrer le manque de ces organismes qui conduisent à la mort ou le désert des mammifères marins et donc toute la chaîne alimentaire

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