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Des étudiants chinois réalisent un exploit avec leur petit supercalculateur

En battant l’un des supercalculateurs les plus puissants du monde à son propre jeu, ces étudiants ont aussi relancé le débat sur le mystère qui entoure la filière HPC chinoise.

Fugaku, la star des supercalculateurs japonais, a régné sans partage sur cette discipline pendant deux ans – une éternité dans ce domaine. Il a certes été relégué à la seconde place très récemment par l’invraisemblable Frontier (voir notre article), mais il n’en demeure pas moins une merveille d’ingénierie qui reste très difficile à battre sur le terrain de la puissance brute. C’est pourtant ce qu’a réussi à faire une équipe d’étudiants chinois avec une machine immensément moins puissante sur le papier.

D’après le South China Morning Post, tout est parti d’un projet de la Huazhong University of Science and Technolgy. En collaboration avec le géant des technologies Huawei, ils ont développé leur propre mini-supercalculateur.

Ils ont testé leur machine sur un problème de Single Source Shortest Path (SSSP). C’est un problème algorithmique qui nécessite une puissance brute phénoménale pour être résolu à grande échelle; il sert donc souvent de point de repère pour comparer les performances des supercalculateurs.

© Weibo (via South China Morning Post)

 

Un projet étudiant contre un véritable titan

À première vue, on pourrait donc s’attendre à des résultats potentiellement encourageants, mais au mieux modestes. Mais contre toute attente, les résultats ont été absolument épatants; sur ce problème de SSSP, le DepGraph Supernode des étudiants s’est montré deux fois plus rapide que le célèbre Fugaku !

Il est important de préciser que ce résultat ne signifie pas que cette machine est techniquement plus puissante que le Fugaku – très loin de là. Elle a simplement été optimisée à outrance pour dévorer les problèmes de SSSP tout crus. Mais cela représente tout de même un sacré exploit.

Et pour cause : cette machine est bien loin de la puissance théorique brute du géant japonais. Le Fugaku dispose en effet d’environ 4 millions de coeurs (sans compter la partie GPU) alors que le DepGraph Supernode n’en compte que… 128 !?

Un chiffre qui ressemble à une faute de frappe. C’est un nombre de cœurs qui correspondrait plutôt à une station de travail professionnelle (très) haut de gamme qu’à un véritable supercalculateur d’élite; comment ce projet étudiant a-t-il donc pu coiffer un titan de la discipline au poteau ?

© Jeremy Bezanger – Unsplash

Un David à 128 cœurs qui a rusé pour terrasser Goliath

La réponse se cache dans le problème que les étudiants ont cherché à résoudre avec cette preuve de concept bluffante : l’interdépendance des cœurs.

Pour résumer vulgairement, dans un CPU (Central Processing Unit) moderne, on trouve plusieurs cœurs. Ils représentent chacun un assemblage de sous-unités logiques capable de réaliser des calculs de son côté. Lorsqu’on les mutualise, on se retrouve avec une machine qui peut abattre un travail calculatoire considérable.

Mais que se passe-t-il lorsque l’on veut procéder à des calculs complexes où chaque étape dépend de la précédente ? Dans ce cas de figure, les cœurs sont interdépendants et on se retrouve avec un goulot d’étranglement; certains doivent patienter en attendant que leurs collègues aient terminé leur travail.

Et d’après le South China Morning Post, c’est sur cette interdépendance que les étudiants ont joué. Ils expliquent avoir développé une toute nouvelle architecture et plusieurs solutions logicielles qui leur ont permis d’optimiser les performances de chaque cœur enréduisant le chaos causé par la dépendance”.

Très peu d’informations en accès libre…

À première vue, cela ressemble fort à la première étape d’une approche qui pourrait devenir révolutionnaire. Mais le potentiel concret de ces travaux reste aussi obscur que les détails techniques. En effet, les chercheurs ne semblent pas avoir publié de papier scientifique où ils détaillent leur processus. Et c’est bien dommage, car il serait très intéressant de savoir si cette approche pourrait être appliquée à des supercalculateurs qui hébergent des millions de cœurs; intuitivement, cela semble à minima très compliqué.

Mais cela n’enlève rien au potentiel de cette preuve de concept; les implications sont tout de même nombreuses et très intéressantes. En premier lieu, c’est une excellente preuve du fait que l’informatique moderne dispose probablement d’une marge de manœuvre incommensurable; même sans toucher au matériel, il y a probablement matière à multiplier les performances des systèmes actuels rien qu’en optimisant la partie logicielle.

Mais la question principale qui émerge de ces zones d’ombre concerne l’état de la filière HPC (informatique haute performance) chinoise.

© Oak Ridge National Laboratory – Capture d’écran YouTube

… comme pour le reste de l’HPC chinoise

La quasi-totalité des institutions qui disposent d’un supercalculateur documente ses performances sur une plateforme baptisée Top500. Cette plateforme dont la première place a récemment été ravie par Frontier (voir notre article) permet aux observateurs externes de les comparer facilement et de suivre le fil des progrès technologiques.

La Chine est d’ailleurs très bien pourvue à ce niveau; c’est le pays qui dispose du plus grand nombre de machines dans ce classement, avec 173 supercalculateurs parmi les 500 plus puissantes au monde. En revanche, certains des plus remarquables brillent par leur absence.

Plusieurs sources ont par exemple affirmé que le pays de Xi Jinping aurait construit les deux premiers supercalculateurs “exascale” au monde dès 2021. Soit bien avant l’arrivée du Frontier, qui est officiellement devenu le tenant du titre tout récemment. Mais étonnamment, il n’existe aucune trace de ces machines dans le Top500, quand bien même on les attendrait en 1ere ou 2e position sur la base de ces informations. Et il ne s’agit que d’exemples isolés.

Si ces machines manquent à l’appel, ce n’est pas parce qu’elle ne sont pas à la hauteur technologiquement. C’est même loin d’être le cas. C’est tout simplement que le contingent chinois préfère garder leurs performances secrètes.

L’informatique haute performance et l’intelligence artificielle font partie des axes de travail majeurs du gouvernement chinois. © Haluk Beyazab – Flickr

Les supercalculateurs, une ressource stratégique de premier plan

Les raisons de ce mystère demeurent floues, mais il existe tout de même quelques ébauches de pistes. Le gouvernement chinois n’a jamais caché que l’informatique haute performance, en particulier appliquée à l’intelligence artificielle, était une de ses priorités absolues.

C’est en effet un outil redoutablement puissant que Xi Jinping veut mettre au service du rayonnement mondial de la Chine; ils peuvent donc considérer les caractéristiques techniques de ces machines comme des données stratégiques qui méritent d’être gardées secrètes.

Pour le reste du monde, il est donc impossible de savoir à quoi s’en tenir. L’HPC chinoise est-elle aux portes du 10-exascale, soit dix fois le standard établi par Frontier, comme l’affirmait récemment Data Center Dynamics ? C’est une information qui est malheureusement invérifiable. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il convient de prendre le Top500 avec des pincettes, car de véritables monstres informatiques pourraient déjà circuler en toute discrétion.

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2 commentaires
  1. Vu la consommation de ces bêtes, les centrales atomiques qui les alimentent ne doivent pas être éloignées…
    Imaginons de telles installations à la merci d’un blocus pétrolier…

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