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Ingenuity : un capteur a rendu l’âme, le début de la fin se profile à l’horizon

Les jours du formidable hélicoptère martien de la NASA sont comptés… mais sa place dans les livres d’Histoire, elle, est déjà verrouillée quoi qu’il arrive.

Ingenuity restera dans les annales comme l’un des engins les plus spectaculaires jamais produits par la NASA. À l’origine, il était prévu pour rester une preuve de concept qui devait simplement prouver la viabilité du concept lors de cinq vols martiens consécutifs; il s’est depuis transformé en éclaireur de luxe au service de Perseverance avec 28 vols à son actif.

C’est en grande partie grâce à cette aide précieuse que l’illustre rover a pu atteindre le delta du cratère de Jezero, qu’il passe en ce moment au peigne fin à la recherche de traces de vie passée. Et le drone a aussi mené quelques expéditions en solitaire. En avril dernier, il s’est notamment offert un pèlerinage aux airs de retour aux sources en revenant tirer le portrait à la capsule qui l’a déposé sur Mars.

Vous l’aurez compris : ce petit engin s’est montré incroyablement vaillant, bien au-delà de toutes les espérances du public et de l’agence. Il serait donc facile d’oublier qu’il ne sera pas éternel; et récemment, c’est la défaillance d’un capteur très important qui a ramené les ingénieurs à la dure réalité.

L’inclinomètre a rendu son dernier souffle

En effet, lors du contrôle exhaustif qui fait suite à chaque vol, les opérateurs se sont rendu compte que l’inclinomètre manquait à l’appel; le capteur a probablement grillé, et les chances qu’il recommence à répondre sont malheureusement quasi nulles.

C’est un problème, car cet inclinomètre est assez important pour Ingenuity. C’est un instrument composé de deux accéléromètres qui permet de mesurer la direction de la gravité. Il fonctionne un peu comme un niveau à bulle extrêmement précis; c’est grâce à lui que l’hélicoptère peut savoir s’il repose à plat ou s’il est penché.

Ingenuity a été un acolyte de premier choix pour Perseverance, ici en train de forer la surface pour collecter un échantillon. © NASA/JPL-Caltech

Heureusement, cet inclinomètre n’est pas utilisé pour gérer l’assiette – l’angle auquel l’engin “grimpe” ou “plonge” au cours du vol. C’est une chance, car sur un hélicoptère à un seul rotor de ce type, cela aurait probablement signé la fin de la mission. Mais ce dysfonctionnement va quand même mettre des bâtons dans les roues – ou plutôt, dans les hélices – du drone.

Il est habituellement utilisé au décollage afin de s’assurer qu’Ingenuity puisse décoller sans encombre; en connaissant son orientation par rapport au sol, il peut éviter de se précipiter vers un relief s’il doit décoller d’un endroit qui n’est pas parfaitement plat. Et surtout, cette mesure donne le top départ au reste des algorithmes qui permettent de gérer le vol.

Un dysfonctionnement problématique, mais pas catastrophique

Sans lui, la NASA a dû trouver un autre système capable de fournir ces informations cruciales à l’ordinateur de bord. Et fort heureusement, un autre instrument baptisé “unité de mesure inertielle” pourra remplir ce rôle. La précision sera moins bonne puisque cet instrument n’a pas été conçu spécifiquement pour cet usage. Mais au moins, cela devrait permettre à Ingenuity de s’envoler à nouveau.

Pour cela, l’agence va simplement devoir développer un patch du firmware; il permettra de remplacer l’inclinomètre par l’IMU dans le protocole qui permet à Ingenuity de décoller. Et la méthode est d’ailleurs très intéressante, puisqu’ils ne pourront pas directement modifier le programme embarqué. A la place, ils devront intercepter ce qui aurait correspondu aux paquets de données émis par l’inclinomètre, puis y réinjecter les données collectées par l’IMU – le tout à partir de la Terre !

Si tout va bien, Ingenuity devrait donc décoller pour son 29e vol dans un futur relativement proche. Mais il ne sera pas au bout de ses peines pour autant, loin de là; cette panne ne sera vraisemblablement pas la dernière à accompagner son déclin inexorable. Sa longévité exceptionnelle commence en effet à se transformer en vraie malédiction.

© NASA

L’enfer de l’hiver martien, synonyme de début de la fin ?

Il évolue en ce moment dans un environnement qui lui est particulièrement inhospitalier, au point de limiter considérablement ses perspectives d’avenir. Rappelons qu’’il n’avait été conçu que pour voler cinq fois; à l’origine, les ingénieurs l’ont calibré spécifiquement pour voler dans les conditions du printemps martien qui régnait au moment de son arrivée. Mais plus d’un an plus tard, la situation a évolué. Le drone doit désormais composer avec les conditions difficiles de l’hiver martien.

C’est une période pendant laquelle l’atmosphère de la Planète rouge est particulièrement chargée en poussière; des conditions évidemment loin d’être idéales pour un aéronef de ce type. De plus, pendant cette saison, elle a la fâcheuse habitude de perdre en densité.

Or, la capacité d’un tel engin à se maintenir en l’air dépend directement de cette variable. Très sommairement, plus elle est élevée, plus il est facile pour l’engin de “s’appuyer “ sur l’air. À l’inverse, si elle est peu dense comme c’est le cas en ce moment, la portance baisse. Ingenuity doit donc fournir des efforts supplémentaires pour voler.

Cela signifie aussi qu’il y a moins de molécules d’air à disposition pour échanger de la chaleur avec le robot. Celle-ci s’accumule donc beaucoup plus vite lorsque les moteurs tournent à plein régime; pour éviter la surchauffe, Ingenuity doit donc se contenter de petits bonds.

De plus, la durée moyenne du jour baisse. Cela a un impact considérable sur le budget énergétique de l’engin, qui fonctionne essentiellement à l’énergie solaire. Cela signifie qu’il a beaucoup plus de mal à faire fonctionner et à protéger ses instruments; ces derniers passent ainsi beaucoup plus de temps exposés au froid impitoyable des nuits d’hiver sur Mars. C’est vraisemblablement pour cette raison que le fameux inclinomètre a fini par rendre l’âme. Et il n’est pas exclu que d’autres instruments subissent le même sort dans un futur relativement proche.

Un appareil déjà historique

Il va donc falloir croiser les doigts pour qu’il s’agisse d’un cas isolé. Il convient aussi de se préparer psychologiquement au trépas de cette merveille d’ingénierie qui nous épate régulièrement depuis des mois. Mais même s’il ne décollait plus jamais, Ingenuity aurait déjà largement dépassé toutes les attentes les plus folles de la NASA et du public.

Il a prouvé sans l’ombre d’un doute que le vol sur Mars est non seulement possible, mais aussi et surtout qu’il s’agit d’une formidable plateforme technologique qui sera assurément réutilisée à l’avenir. Autant dire qu’il faudra profiter des exploits de ce précurseur jusqu’à la dernière goutte avant son trépas inévitable. Ses jours sur Mars sont peut-être comptée, mais sa place dans les livres d’Histoire et dans le cœur des amoureux d’espace est déjà garantie à tout jamais.

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