Pour bénéficier d’une greffe d’organes, trouver un donneur compatible ne suffit pas. Il faut aussi être en mesure de réaliser la transplantation dans les plus brefs délais, faute de quoi un précieux organe susceptible de sauver une vie pourrait être perdu. Les délais sont donc extrêmement serrés.
Pour ralentir le décès des cellules, l’organe est placé dans un compartiment réfrigéré; cela permet de rallonger considérablement la durée durant laquelle il reste viable. Mais au bout de plusieurs heures, les cristaux de glace commencent généralement à endommager les tissus; le temps qui s’écoule entre le décès du donneur et la greffe doit être de quelques heures au maximum.
La durée exacte de cette fenêtre dépend de l’organe en question. Pour certains, comme le cœur, elle ne dure que 3 à 4 heures. D’autres sont un peu plus permissifs; le foie peut par exemple être greffé 24 heures après le prélèvement. Mais dans tous les cas, cela génère un véritable casse-tête logistique.
Conserver des organes sans glace
Et surtout, cela a pour effet de priver un receveur d’un organe potentiellement compatible, mais situé trop loin pour pouvoir être greffé dans les délais. Une situation qui pèse lourd en termes de santé publique; aujourd’hui, le manque d’organes disponibles reste de loin le premier facteur qui empêche de nombreux patients d’avoir recours à une greffe souvent vitale.
Pour ces raisons, de nombreux chercheurs tentent de développer des techniques qui pourraient permettre de conserver des organes pendant une durée bien plus importante. Et c’est précisément ce qu’a réussi à faire l’équipe Pierre-Alain Clavien, chirurgien à l’Hôpital Universitaire de Zurich.
Pour préserver le foie plus longtemps qu’à l’accoutumée, ils ont eu recours à une technique baptisée “perfusion normothermique ex situ”. Le nom peut sembler barbare, mais le concept est assez intuitif. Au lieu de fourrer l’organe dans une enclave pleine de glace dangereuse pour les cellules, on le place dans un environnement stérile maintenu à 37°C, soit la température ambiante du corps humain – d’où le terme “normothermique”.
Une durée de conservation plus confortable
On y fait ensuite circuler un fluide chargé d’éléments importants sur le plan physiologique comme des nutriments et des hormones. Et cette approche fonctionne rudement bien; en 2020, une autre équipe de recherche de Zurich a montré qu’elle avait pu maintenir un foie humain en vie hors du corps pendant 7 jours avec cette technique.
Mais il existe évidemment un écart considérable entre garder un tas de cellules en vie et permettre à un organe complet de jouer son rôle normalement. Il restait donc à vérifier la pertinence de cette technique en conditions réelles. C’est ainsi qu’en mai 2021, ils ont trouvé un donneur qui leur a permis de tester leur protocole sur un vrai patient.
Ils ont collecté un foie partiel sur une jeune femme de 29 ans qui souffrait de nombreuses tumeurs abdominales et d’une grave infection généralisée. L’organe devait donc faire l’objet d’un nettoyage minutieux pour s’assurer de sa viabilité avant la greffe. Or, c’est une opération plus ou moins incompatible avec les contraintes de temps associées à cette procédure. En temps normal, cet organe aurait donc de fortes chances d’être désigné inutilisable.
Un succès toujours retentissant un an après la greffe
Mais la perfusion normothermique leur a laissé tout le temps de procéder à un nettoyage en profondeur du greffon pendant trois jours. Au matin du quatrième jour, ils ont procédé à cette greffe expérimentale sur un patient condamné, car souffrant d’une cirrhose avancée et d’un cancer du foie récurrent. Et l’expérience a été un succès retentissant.
Après une année de suivi rapproché, la greffe a parfaitement pris et le receveur se porte comme un charme. Pas de rejet de greffe, de perte de fonction ni même de dégâts au niveau des canaux biliaires, alors qu’ils sont pourtant très fréquents lors des greffes de foie. Les chercheurs expliquent même que les résultats sont comparables à celui du scénario de greffe le plus optimal, où un greffon est prélevé chez donneur vivant et transplanté directement chez le receveur.
Le fait d’avoir pu conserver l’organe aussi longtemps avant la greffe est très enthousiasmant pour les cliniciens. “Cela pourrait ouvrir de nouveaux horizons au niveau du traitement de nombreuses maladies du foie”, expliquent les chercheurs dans leur article. Et le plus intéressant, c’est que ce concept pourtant imaginé il y a longtemps n’en est encore qu’à ses balbutiements; à terme, cette approche va vraisemblablement continuer d’évoluer vers des délais de conservation toujours plus longs pour un éventail d’organes de plus en plus larges. Une logistique qui permettra peut-être de mieux répondre à la demande en attendant que les cultures in vitro de greffons personnalisées arrivent sur le marché.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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