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Votre foie est bien plus jeune que vous ne le pensez

Les essais nucléaires des années 50 ont parlé : notre foie n’est pas aussi vieux qu’on pourrait le penser.

Chez les mammifères que nous sommes, le foie joue très sommairement le rôle de centrale d’épuration. C’est lui qui a la lourde tâche de purger nos fluides des composés qui pourraient représenter une menace pour l’équilibre délicat de l’organisme. Par définition, il est donc en première ligne et particulièrement exposé à ces éléments.

Pourtant, si vous êtes en mesure de lire ces lignes, c’est que votre foie continue de fonctionner malgré ces coups de boutoir. Pour y parvenir, l’évolution a doté notre foie d’une particularité remarquable et encore relativement mal comprise : c’est le seul organe interne capable de se régénérer spontanément à partir du tissu existant.

Ce mécanisme est indispensable à notre survie. Or, c’est un fait déjà bien établi que la capacité des cellules à se régénérer diminue avec l’âge. Des chercheurs ont donc cherché à déterminer dans quelle mesure le vieillissement diminuait la capacité de régénération du foie. Malheureusement, les premières études de ce genre n’ont pas franchement produit de résultats concluants lorsqu’elles ont été menées sur des animaux.

Une équipe de chercheurs de l’Université de Dresden, en Allemagne, a donc décidé de passer cette étape en passant directement à l’étude du foie humain in vivo. Ce groupe multidisciplinaire composé de biologistes, de physiciens, de mathématiciens et de cliniciens a lancé une étude sur différents patients âgés de 20 à 84 ans.

Une étude menée grâce à de vieux essais nucléaires

L’équipe du Dr. Bergmann, auteur principal de l’étude, est spécialisée dans la datation au radiocarbone, ou carbone 14. Il s’agit d’une variante légèrement radioactive du carbone que l’on retrouve un peu partout en très faibles quantités, y compris dans les êtres vivants. Et comme tous les éléments radioactifs, celui-ci se désintègre progressivement à une vitesse bien précise. En se basant sur cette désintégration, les chercheurs peuvent  calculer l’âge du substrat où se trouve cette molécule de carbone grâce à une simple formule mathématique, et ce même à partir d’un échantillon ridiculement petit.

C’est une technique qui fait des merveilles chez les géologues, paléontologues et archéologues; la datation au carbone 14 est aujourd’hui un outil de datation absolument indispensable qui permet de déterminer l’âge d’un fossile ou d’un autre artefact avec une précision parfois étourdissante. Le problème, c’est que cette désintégration est excessivement lente; elle n’est donc pas censée être adaptée à ce genre d’études sur des êtres vivants. Enfin presque, car les chercheurs ont pu se baser sur une ressource inattendue : les essais nucléaires à ciel ouvert menés dans les années 50.

Ces tests ont introduit une quantité massive de carbone 14 dans l’atmosphère terrestre. Or, il fonctionne exactement comme le carbone standard en termes biologiques. Il a naturellement terminé sa course dans le cycle du carbone et par extension dans les êtres vivants. Même s’il s’agissait de quantités négligeables qui n’étaient pas dangereuses en elle-mêmes, toutes les cellules formées à cette époque présentent donc un taux de carbone 14 anormalement élevé.

Les cellules du foie n’ont que trois ans en moyenne

En 1963, ces tests ont officiellement été interdits par décret des Nations Unies. Depuis cette date, le taux de carbone 14 atmosphérique a progressivement chuté; une tendance qui s’est aussi vérifiée chez les êtres vivants. Il s’agit donc d’une corrélation que les chercheurs peuvent utiliser pour déterminer l’âge des cellules en fonction de leur taux de carbone 14. Il ne leur restait plus qu’à appliquer cette technique aux cellules hépatiques de leurs patients.

Verdict : “peu importe si vous avez 20 ou 84 ans, votre foie reste âgé de trois ans en moyenne”, explique le Dr. Bergmann. Ce résultat montre à quel point les cellules de cet organe vital sont régulées avec précision par l’organisme, et que ce mécanisme est maintenu lorsque le patient vieillit. Et pour comprendre ce mécanisme, il faut s’intéresser de plus près aux différences d’âge entre ces cellules.

En effet, ce chiffre de trois ans n’est qu’une moyenne. De précédentes études ont déjà remarqué que certaines cellules hépatiques pouvaient vivre plus longtemps. Ces cellules précises ont la particularité d’accumuler de plus en plus d’ADN au fil du temps; contrairement à une cellule standard, “elles peuvent porter quatre ou huit jeux de chromosomes, voire encore davantage”, explique Bermann.

Et son équipe a fait une découverte intéressante sur ces cellules riches en ADN; il se trouve qu’elles sont capables de vivre jusqu’à dix fois plus longtemps que les autres. “Les cellules typiques se renouvellent approximativement une fois par an, mais celles-ci peuvent résider dans le foie pendant dix ans”, explique Bergmann.

Ces travaux contribuent à la compréhension des mécanismes du cancer, et par extension à son traitement. © National Cancer Institute

Une piste de recherche pour la lutte contre le cancer… et la vie éternelle ?

Autre point intéressant : les chercheurs ont aussi déterminé que ces cellules riches en ADN devenaient de plus en plus nombreuses avec l’âge. Pour les chercheurs, cela suggère l’existence d’un lien avec un mécanisme de protection qui empêcherait les cellules d’accumuler trop de mutations néfastes.

Et comme à chaque fois qu’un mécanisme de ce genre pointe le bout de son nez, il est difficile de ne pas penser immédiatement au cancer, cette maladie grave provoquée directement par lesdites mutations. “Nous avons besoin de déterminer s’il existe des mécanismes similaires dans des maladies chroniques du foie qui peuvent se transformer en cancers”, explique Bermann.

Ces travaux sont particulièrement prometteurs, car leur portée dépasse largement le cancer du foie. Dès que l’on s’intéresse à la régénération cellulaire, on ouvre une boîte de pandore qui contient tout un tas de questions aussi éthiques que scientifiques sur les limites de la vie humaine. Les travaux de ce genre bénéficieront forcément à de nombreux projets qui permettront assurément d’améliorer la vie de nos aînés… et à terme, ils serviront probablement de base aux projets comme celui de Jeff Bezos, qui a tout simplement monté une task-force scientifique d’élite pour mener une guerre sans merci au vieillissement (voire notre article).

Le texte de l’étude est disponible ici.

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