L’intelligence artificielle fait déjà des merveilles dans de nombreux domaines. Et ces exemples ne sont que la partie émergée d’un immense iceberg de possibilités; récemment, des chercheurs ont eu recours à l’IA capable d’apprendre… la chanson du corail.
Les récifs de corail sont des éléments fondamentaux de nombreux écosystèmes, et pas seulement marins. Ils constituent une interface écologique très importante entre les écosystèmes marins et côtiers. Partout où ils existent, ils jouent le rôle de refuge et de source de nourriture indispensables à la survie de nombreuses espèces; le corail, c’est à la fois un être vivant, mais aussi une niche écologique à part entière.
Le problème, c’est que notre espèce s’est montrée excessivement ingrate envers ces coraux. Le réchauffement climatique et l’acidification des océans provoqués par l’activité humaine ont un impact désastreux sur cet écosystème ô combien délicat. Si bien qu’aujourd’hui, toutes les études qui s’intéressent à la question sont unanimes : la population globale des coraux se meurt à petit feu dans une indifférence quasi totale – et avec eux, tous les milliers d’espèces symbiotiques qui en dépendent, dont l’Homme lui-même.
Le diagnostic est difficile à poser
Un dédain tout simplement consternant. Car même si leur impact sur l’Homme n’est pas aussi évident que pour les tortues, poissons, crustacés et autres espèces qu’ils hébergent, les récifs demeurent très importants pour notre espèce. Ils sont des acteurs indispensables d’un écosystème marin qui rend de très nombreux services à l’humanité. Les récifs bénéficient directement ou indirectement à environ un milliard de personnes sur la planète, selon une étude de l’administration américaine.
Il y a donc une urgence absolue à protéger ces coraux de l’ingratitude humaine; car si la disparition de ces récifs pourrait presque passer inaperçue pour une partie de la population, personne ne pourrait faire abstraction de ses conséquences très importantes. Mais pour les protéger, il faut déjà être capables de déterminer leur état de santé. Et c’est plus compliqué qu’il n’y paraît.
Déterminer l’état de santé d’un individu n’est déjà pas aisé pour un animal individuel; ce n’est pas un hasard si les médecins et vétérinaires doivent s’astreindre à de très longues études pour mériter leur titre. Mais c’est encore nettement plus difficile dans le cadre du corail. Contrairement à ce que suggère leur apparence, il ne s’agit pas de plantes; ce sont en fait des mégacolonies constituées d’une multitude de minuscules êtres vivants apparentés aux anémones de mer (on parle de polypes).
Et comme si cela ne suffisait pas, ces organismes ne fonctionnent pas en vase clos; le corail est l’un des meilleurs exemples du phénomène de symbiose, avec d’innombrables espèces qui se rendent des services écologiques inestimables. Leur survie est intimement liée à celle de la faune avoisinante. Si le corail disparaît, celle-ci en souffrira, et vice-versa. On se retrouve donc face à un tableau clinique très complexe.
On ne peut donc pas se contenter de mesurer les constantes vitales comme chez un mammifère; pour étudier la santé d’un corail, il faut adopter une approche encore plus subtile et tenir compte d’un nombre sidérant de facteurs. Et ce problème déjà complexe revêt encore une nouvelle couche de complexité lorsqu’on tente d’intégrer toutes les espèces des récifs à l’équation.
Les récifs abritent une dynamique extrêmement complexe
Les chercheurs se sont rapidement rendu compte que la santé du récif était intimement liée à celle de ces espèces satellites. Quand le corail se porte bien, la vie prolifère aux alentours; quand il dépérit, toute cette niche écologique en fait les frais. Les chercheurs ont donc eu l’idée d’utiliser cette dynamique comme une constante vitale, comme un médecin qui mesure le rythme cardiaque par exemple.
Mais il leur fallait encore trouver quelle variable physique ils pouvaient mesurer pour quantifier tout cela. De nombreux travaux ont déjà commencé à diagnostiquer les coraux à partir d’indices visuels. On sait par exemple qu’ils ont tendance à perdre leurs couleurs vives lorsqu’ils dépérissent; on parle alors de blanchissement des coraux. Mais les mécanismes sous-jacents sont relativement mal compris, et il ne s’agit vraisemblablement que d’une pièce isolée du puzzle.
Une chorale sous-marine pleine de données intéressantes
De plus, ces approches strictement visuelles sont souvent empiriques et extrêmement chronophages, alors qu’elles produisent souvent des résultats relativement approximatifs. Ils ont donc misé sur une autre approche assez fascinante en enregistrant… la “chanson” du corail. Un terme qui pourrait sembler tout simplement ridicule; comment diable pourrait-on entendre du corail chanter, à moins d’avoir des hallucinations suite à un grave accident de décompression ?
Évidemment, il ne faut pas prendre ce terme au pied de la lettre. Ce sont bien du son que les chercheurs ont enregistré, mais il ne provient évidemment pas d’une chorale sous-marine de minuscules polypes; ce “chant du corail”, désigne en fait l’ensemble des bruits quasiment imperceptibles émis par toute la faune résidente lorsqu’elle se déplace, s’alimente, et ainsi de suite.
Mathématiquement parlant, ce bruit de fond représente un signal dont la forme est intimement liée à la population du récif et à son activité. Les auteurs n’ont évidemment pas surpris un récif mal en point en train de chanter le blues; mais lorsque ce signal s’affaiblit ou qu’il est significativement modifié, on peut en déduire que la santé du récif est altérée et qu’elle ne lui permet plus d’héberger la même activité biologique qu’en temps normal.
Reste ensuite à exploiter ces données. Et il y a quelques années à peine, le fait de décortiquer ces sons aurait ressemblé à une tâche insurmontable; même avec des outils analytiques poussés, c’est typiquement une minuscule aiguille dans une gigantesque botte de foin puisque les chercheurs ne savent même pas ce qu’ils cherchent précisément dans ces enregistrements. Pour décortiquer ce méli-mélo sonore, ils ont donc eu recours à une technologie qui fait déjà des merveilles dans ce cas de figure : l’intelligence artificielle.
L’IA à la rescousse
Que ce soit dans l’imagerie par ordinateur comme Imagen, la recherche fondamentale avec AlphaFold ou même la fusion nucléaire pour ne citer qu’eux, cette technologie a déjà révolutionné de nombreux champs de recherche; elle a prouvé à maintes reprises sa capacité à établir des liens logiques qui échappent complètement au cerveau humain.
Et l’IA s’est avérée absolument parfaite pour traiter ce cas de figure. Car les chercheurs sont bien incapables de déterminer à quoi correspond chaque échantillon sonore individuel; mais cela n’empêche pas l’IA de faire son travail.
Les chercheurs ont commencé par l’entraîner en lui fournissant des tas d’enregistrements capturés dans des récifs sains. Ils ont ensuite complété leur jeu de données avec d’autres sons enregistrés à proximité de coraux à l’agonie. Au bout du processus, leur IA s’est montrée capable de déterminer l’état de santé d’un récif inconnu avec une précision impressionnante.
“Nos travaux montrent qu’un ordinateur peut identifier des motifs indétectables pour l’oreille humaine qui peuvent nous renseigner plus rapidement et plus précisément sur l’état de santé du récif”, expliquent les chercheurs.
Cette étude fascinante ne permettra certainement pas de régler la crise du corail à elle toute seule; mais les médecins ont l’habitude de dire que le fait de poser un diagnostic est la première étape vers la guérison, et cela vaut aussi pour les coraux.
“C’est une avancée très excitante”, s’enthousiasme le Dr Lamont, l’un des co-auteurs de l’étude. “Les enregistrements sonores et l’IA pourraient être utilisés partout dans le monde pour surveiller la santé des récifs, et tenter de déterminer si nos efforts de protection et de restauration fonctionnent”, précise-t-il. Il ne reste qu’à espérer que la réponse à cette dernière question soit positive.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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