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Les champignons se “parlent” avec un vocabulaire électrique bien précis

Un bio-informaticien spécialiste des champignons a tenté de percer les secrets de la communication des champignons, et le résultat est assez fascinant à défaut d’être entièrement concluant.

La communication est un élément indispensable à la survie de la quasi-totalité des espèces, et de tous les côtés du spectre du vivant. Des vocalises des oiseaux à la communication chimique des insectes en passant par les mimiques des primates, les chercheurs ont déjà documenté mille et un moyens par lesquels la nature est capable de se faire comprendre.

En revanche, il y en a d’autres pour lesquels c’est beaucoup plus compliqué. Par exemple, il a déjà été démontré que les plantes communiquent par l’intermédiaire de composés chimiques émis au niveau des racines. Mais les détails techniques sont souvent excessivement subtils et varient du tout au tout d’une espèce à l’autre. Même si nous comprenons de très nombreux mécanismes, nous sommes encore très loin d’avoir une compréhension complète de la communication des végétaux.

Et c’est encore pire dans le cas des champignons. Par analogie avec les plantes, les chercheurs en sciences naturelles se sont rapidement intéressés au mycélium, une structure qu’on pourrait (très vulgairement) qualifier de “racines” des champignons.

Ils ont remarqué depuis belle lurette que ce réseau de mycélium était régulièrement parcouru de signaux électriques; ils ont donc suggéré que ce courant avait probablement un lien direct avec un mode de communication. Après tout, c’est déjà comme ça que fonctionne la communication intercellulaire de très nombreux animaux. Par exemple, chez les mammifères, cette communication se fait en grande partie grâce à une structure dédiée, le système nerveux périphérique, qui permet de transporter un signal électrique d’un endroit à l’autre.

Le schizophylle commun est un champion de “vocabulaire”, avec environ 50 “mots” à son actif. © Bernard Spragg – WikiCommons

Des êtres vivants encore bien mystérieux

De nombreux chercheurs ont donc avancé l’hypothèse que le mycélium pourrait être l’équivalent fonctionnel de notre système nerveux. Mais au moment de confirmer cette intuition, les scientifiques se sont heurtés à un mur; personne n’a été capable de proposer ne serait-ce qu’un début d’élément concluant pour percer les secrets de ce langage hypothétique… ou du moins, c’était le cas jusqu’à cette semaine.

Car si la biologie est une discipline multicentenaire qui progresse relativement lentement, ce n’est pas le cas de l’informatique. Cet outil a déjà redéfini le quotidien de la science à tous les niveaux et continue de progresser très rapidement. On assiste donc à un vrai effet boule de neige avec de plus en plus de découvertes significatives qui ouvrent elles-mêmes la porte à de nouveaux travaux… et ainsi de suite.

C’est justement l’une de ces techniques analytiques qui a permis à l’informaticien Andrew Adamatzky de produire un papier de recherche fascinant. Il a appliqué un ensemble d’électrodes à tout un tas de champignons différents afin de mesurer différentes variables du courant électrique dans le mycélium.

Après avoir effectué des mesures d’amplitude, de fréquence et de durée, il a compilé ces résultats dans une gigantesque base de données. Il a ensuite pu comparer cette base à l’ensemble des motifs neurologiques associés à la parole humaine. Cette approche lui a permis d’isoler un ensemble de signaux électriques qui, selon lui, correspondent fonctionnellement à des “mots”.

À la frontière de l’anthropocentrisme

En d’autres termes : il a identifié ce qu’on pourrait assimiler à un véritable “langage fongique ! Et ce dernier semble étonnamment complexe. Adamatzky a repéré des dizaines de “mots”, tous utilisés de façon légèrement différente en fonction des espèces. Le plus “érudit” de ces champignons était le schizophylle commun, un petit champignon blanc qui prolifère sur le bois mort. Chez cette espèce, Adamatzky a repéré pas moins de 50 “mots”, qui étaient en plus organisés en “phrases”.

Pour éviter de tomber dans l’anthropocentrisme pur et dur, Adamatzky n’a pas tenté de “traduire” ces messages. D’ailleurs, il se garde bien de proposer une définition de “mot” et de “langage” dans ce contexte précis; elles ne correspondent de toute façon pas à notre conception humaine de ces concepts. En revanche, cela montre sans ambiguïté qu’il existe bien des motifs très précis et qu’ils sont à la base d’une forme de communication.

Il ne fait aucun doute que d’autres travaux récupéreront cette approche à l’avenir pour tenter de préciser encore ces résultats. L’objectif ne sera pas forcément d’essayer de traduire les messages individuels; à la place, les chercheurs tâcheront de comprendre les subtilités de ce mode de communication qui semble opérer à très large échelle. Et c’est une perspective particulièrement enthousiasmante.

Car il ne s’agit pas seulement de pouvoir comprendre les champignons eux-mêmes; le plus intéressant, c’est de comprendre la façon dont ils interagissent avec leurs écosystèmes. Car êtres vivants jouent un rôle de plaque tournante fondamentale, dont l’importance ne doit en aucun cas être sous-estimée.

Un mycélium de Pleurotus ostreatus. © Toby Kellner – WikiCommons

Des enjeux dans la compréhension du vivant à toutes les échelles

Ils font partie des décomposeurs les plus importants dans de très nombreux écosystèmes. Ils sont également une ressource indispensable pour de très nombreux êtres vivants. C’est bien simple : sans les champignons, la nature telle qu’on la connaît n’existerait pas. Mais au-delà de ces problématiques de base, ils participent aussi à la dynamique des écosystèmes de façon extrêmement subtile.

Pour illustrer cette place particulière, on peut citer l’exemple des mycorhizes. Sans rentrer dans le détail, ce terme désigne une relation particulière entre une plante et un champignon qui a colonisé la zone autour de ses racines. Les deux fonctionnent en symbiose, c’est-à-dire qu’elles coexistent paisiblement et se rendent mutuellement des services écologiques (apport en ressources, protection contre les prédateurs…).

Dans ce papier de recherche, les termes “mots” et “langage” sont volontairement utilisés de façon assez libérale; il ne s’agit évidemment pas de comparer l’expression des champignons à celles des humains, qui comporte de très nombreuses couches de complexité supplémentaires. © PDPics – Pixabay

Des études ont déjà montré que cette symbiose est déterminante pour de nombreuses espèces. À l’heure actuelle, c’est encore un sujet qui est extrêmement étudié; de nombreux biologistes considèrent que ces mycorhizes cachent des secrets potentiellement très importants pour notre compréhension du vivant.

Le fait de pouvoir interpréter le “langage” des champignons serait une avancée déterminante à ce niveau. Et ce n’est qu’un arbre qui cache une immense forêt. Dans l’ensemble, de nombreux spécialistes s’attendent à ce que les champignons jouent plusieurs rôles très importants dans de nombreux autres domaines dont nous n’avons même pas encore conscience.

Morale de l’histoire : les champignons ont bien leur propre “langage” ! Certes, il faut évidemment rester très prudent sur la comparaison avec le langage humain; nous parlons ici d’un système plus proche d’un système nerveux que d’une vraie langue, avec tout ce que cela implique en termes d’intentionnalité, de sémantique, et ainsi de suite. Mais c’est tout de même une porte d’entrée fascinante qui pourrait mener à de grandes découvertes sur ces acteurs cruciaux de notre environnement… et par extension sur l’ensemble des écosystèmes où on en trouve.

Le papier de recherche est disponible ici.

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2 commentaires
  1. mais comment vont faire les vegan??? plus moyen de manger, si même les végétaux sont capables de communiquer et donc possèdent une forme d’intelligence…

    va leur rester que les cailloux

Les commentaires sont fermés.

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