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Darwin : deux carnets inestimables volés il y a vingt ans refont surface

Plus personne ne s’attendait à retomber sur les deux carnets de Darwin volés il y a vingt ans… mais c’était sans compter sur un mystérieux inconnu qui a rendu le sourire aux académiciens de Cambridge.

Au Royaume-Uni, la bibliothèque de l’Université de Cambridge fait partie des institutions les plus prestigieuses de la communauté scientifique. Elle abrite des pièces à la valeur historique et scientifique étourdissante; on y trouve des pièces exceptionnelles comme une copie précoce de la Bible de Gutenberg, une première édition annotée du Principa de Newton, ou encore le Livre de Cerne.

Il y a 20 ans, elle a cependant été victime d’un odieux larcin. Les auteurs ont visé l’œuvre de Charles Darwin, le plus célèbre des naturalistes qui est passé à la postérité pour avoir formulé la théorie de l’évolution. La copie de première édition de l’Origine des Espèces, l’ouvrage fondateur écrit par Darwin, est restée intouchée; en revanche, deux carnets ont été subtilisés.

Ces deux calepins contiennent une foule de notes manuscrites qui représentent autant de fenêtres sur l’esprit d’un des plus grands théoriciens de l’histoire humaine. L’un d’entre eux contient même le croquis original du fameux “Arbre de la Vie”. Ce schéma simpliste en apparence représente en fait le traité fondateur de la taxonomie, cette discipline qui a pour objet l’étude de la diversité du monde vivant.

Une issue heureuse et complètement inespérée

Il s’agissait donc d’une perte désastreuse, et d’un véritable crève-cœur pour tous les amateurs d’histoire des sciences. Malgré de nombreuses recherches, tout le monde est revenu bredouille. Même chose du côté des appels au public qui sont restés sans réponse. Tout le monde avait donc plus ou moins abandonné l’idée de remettre la main sur ces trésors un jour… jusqu’à ce qu’un véritable miracle se produise.

En effet, les deux carnets ont été restitués très récemment, et dans des circonstances particulièrement mystérieuses. Ils ont été déposés dans un petit sac rose à proximité du bureau de Jessica Gardner, gardienne en chef des trésors de papier de Cambridge. Le seul indice : une petite enveloppe qui contenait un message “Bibliothécaire : Joyeuses Pâques”.

Le voleur a apparemment pris grand soin de son butin; car les deux objets ont été soigneusement emballés dans une couverture de plastique et dans un écrin bleu. Après analyse, ils sont actuellement considérés comme intacts. Mais l’identité du voleur demeure un mystère; et elle le restera probablement un certain temps. En l’absence du moindre indice, l’intéressé emportera vraisemblablement son secret dans la tombe.

© Stuart Roberts/Cambridge University Library

Deux reliques scientifiques de tout premier plan

Mais le versant judiciaire n’a aucune importance pour Jessica Gardner. “La sensation de soulagement que j’ai ressenti lorsque ces deux carnets nous ont été rendus est vraiment profonde, presque impossible à décrire”, concède-t-elle dans un communiqué. “Comme tant d’autres, j’ai eu le coeur brisé lorsqu’ils ont été perdus, et ma joie de les retrouver est immense”, admet-elle, visiblement très émue.

“Je suis incroyablement heureux d’apprendre que ces carnets sont de retour sains et saufs dans leur vraie demeure, aux côtés du reste des remarquables Archives Darwin”, renchérit le vice-chancelier de l’université Stephen J. Toope. “Des objets comme ceux-ci sont cruciaux pour notre compréhension non seulement de l’histoire des sciences, mais de toute l’humanité”, affirme-t-il.

Et il ne s’agit pas d’un euphémisme. Si ces deux responsables éminents sont aussi enthousiastes, c’est qu’il s’agit véritablement de pièces exceptionnelles; elles occupent une place centrale dans l’histoire de l’une des plus grandes découvertes scientifiques jamais documentées. “Il ont beau être petits – à peine la taille d’une carte postale -, mais leur impact sur l’histoire des sciences et sur l’intégrité de notre collection est inestimable”, insiste Gardner.

© Stuart Roberts/Cambridge University Library

En effet, ces deux calepins étaient les confidents privilégiés de Darwin lors de son illustre voyage sur le HMS Beagle. Il s’y était greffé en tant que naturaliste officiel, chargé de documenter la faune, la flore et la géologie des nouveaux horizons pour le compte de Sa Majesté.

Et le jeune naturaliste a pris son travail très à coeur. Il a consigné une grande quantité d’observations dont la précision et la pertinence étaient assez bluffantes pour l’époque. Lorsque le Beagle est enfin rentré au bercail en Cornouailles, en 1836, Darwin est immédiatement rentré à Cambridge pour réaliser le bilan de son expédition.

L’origine de l’Origine des espèces

Quelques mois supplémentaires auront suffi à son intuition légendaire pour faire le tri dans cette montagne de croquis et de notes. C’est à ce moment qu’il a ouvertement spéculé pour la première fois dans son carnet rouge que certaines espèces pouvaient changer au fil du temps. On peut par exemple citer son raisonnement sur les désormais célèbres “Pinsons de Darwin“. C’est dans ces carnets que Darwin a constaté que la forme du bec d’oiseaux pourtant semblable changeait en fonction de leur type de graines préférées; une observation qu’il attribuera à posteriori à une forme de sélection naturelle.

Une note discrète, mais dont on sait aujourd’hui qu’elle a eu des implications colossales; après avoir laissé ces idées décanter une année supplémentaire, il a finalement résumé ses observations dans un schéma aujourd’hui célébrissime baptisé l’Arbre de la Vie.

En haut, le fameux Arbre de la Vie. © Stuart Roberts / Cambridge University Library

Ce croquis qui ressemble à un arbre généalogique occupe une place toute particulière en histoire des sciences; officieusement, il s’agit plus ou moins du traité fondateur de la taxonomie et de la biologie de l’évolution. Ce statut sera officialisé environ 20 ans plus tard, lorsque ce petit carnet rouge deviendra l’un des ouvrages les plus importants de l’Histoire, toutes disciplines confondues : L’Origine des Espèces.

Deux carnets rendus par dépit ?

Ces deux carnets sont donc le matériau de base qui a permis d’établir l’une des théories les plus fondamentales de toute la science. En plus de leur valeur historique exceptionnelle, ils ont donc aussi une grande valeur financière; de nombreux collectionneurs peu scrupuleux n’hésiteraient pas à débourser plusieurs millions de livres pour de tels documents.

Mais heureusement, ces carnets ont immédiatement été placés sur des listes comme le PSYCHE ou l’Art Loss Register. Ce sont des listings qui servent habituellement à traquer les œuvres d’art volées pour éviter qu’elles puissent être revendues hors des circuits officiels. Concrètement, le voleur aurait donc eu beaucoup de mal à s’en débarrasser à moins de passer par le marché noir.

Un état de fait qui a probablement contribué au retour des carnets… à moins que le brigand ne se soit transformé en bon samaritain après avoir cogité sur son acte pendant deux décennies. Mais quoi qu’il en soit, ces joyaux de la bibliothèque de Cambridge sont de retour à la maison. Et cette fois, on souhaite bien du courage à quiconque voudra s’en approcher; il faudra très certainement passer sur le corps de Gardner et ses troupes, qui ne les laisseront repartir sous aucun prétexte !

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